L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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Durant le long voyage de Quimper `a Paris, le policier n’avait pas ferm'e l’oeil. Encore que la chose f^ut invraisemblable, il s’'etait continuellement m'efi'e d’une arriv'ee inopin'ee de Fant^omas, d’une tentative du bandit. Tout lui avait 'et'e sujet `a pr'ecaution, il avait tout surveill'e.
Et maintenant encore, au moment o`u il introduisait sa clef dans sa serrure, il 'etait d'ecid'e `a demeurer debout, `a ne point s’accorder une seconde de repos, que quand il aurait remis, de la main `a la main, le document qu’enfin il avait rattrap'e, `a l’envoy'e du tsar.
— Morbleu, je dormirais bien, songeait le bon Juve, mais il ne sera pas dit que je succomberai `a la fatigue dans les derni`eres minutes. Il faut que je tienne bon, je tiendrai bon.
Et puis, brusquement, Juve songeait que sa t^ache e^ut 'et'e singuli`erement simplifi'ee si `a ce moment il avait pu avoir comme compagnie son ins'eparable ami Fandor, son fils, presque. Mais qu’'etait devenu Fandor ?
Juve ne le savait pas, Juve ne le savait plus, et m^eme ce n’'etait pas sans une certaine inqui'etude qu’il songeait au journaliste.
'Enerv'e, Juve ouvrit brusquement la porte d’entr'ee de son appartement, traversa le corridor obscur, sentant un peu le moisi, cette odeur de tous les appartements inhabit'es depuis quelque temps, et p'en'etra dans son cabinet.
Or, Juve n’'etait pas entr'e dans la pi`ece, il tenait encore en main le bec-de-cane de la porte, qu’abasourdi, il devait s’arr^eter, immobilis'e, les yeux dilat'es par la surprise, mais non point par la peur car Juve ne connaissait pas ce sentiment.
Juve aurait 'et'e peut-^etre fond'e cependant `a 'eprouver `a cette minute une vive crainte. Le spectacle qu’il voyait 'etait peu rassurant.
Devant lui, face `a la porte par laquelle il entrait, Juve apercevait son bureau, et, derri`ere son bureau, visiblement ayant fouill'e dans ses tiroirs, ayant boulevers'e ses papiers, mais maintenant se tenant debout, un revolver `a la main, un revolver braqu'e dans sa direction, un homme : le lieutenant prince Nikita, un homme dont l’attitude 'etait faite de col`ere et de folie, un homme hors de lui 'evidemment et qui accueillait le policier par ces mots, prononc'es d’une voix que la haine faisait trembler :
— Pas un cri, pas un geste. Je sais que vous ^etes un tra^itre. Je vous tuerai sans merci.
Certes, tout autre que Juve, mis `a cette minute en face d’un individu en apparence aussi r'esolu aux pires extr'emit'es que l’'etait le prince Nikita, e^ut 'et'e affol'e.
Juve, lui, ne tressaillit m^eme pas.
— Nom d’un chien, voil`a que le lieutenant Nikita est devenu fou, se dit-il simplement.
— Vous permettez que je pose mon chapeau ? demanda tranquillement Juve, qui savait qu’il importe avant tout de ne jamais exciter les d'ements, de ne pas raisonner avec eux. Je suis tr`es fatigu'e, cher monsieur et enchant'e de vous revoir.
Juve allait continuer `a bavarder avec le lieutenant prince, feignant de ne pas s’'etonner de sa pr'esence, mais l’officier russe ne lui en laissait pas le loisir. De sa m^eme voix vibrante de rage, il reprenait :
— Ah c`a, vous plaisantez. Vous ^etes fatigu'e, monsieur Juve ? Belle affaire. Vous serez moins fatigu'e dans quelques minutes, vous pourrez vous reposer longtemps, toute l’'eternit'e. Je vais vous tuer.
Juve resta tr`es calme.
— Ce n’est pas gentil, r'epondait-il, affectant de rire, se gardant du moindre mouvement, et commencant `a trouver l’aventure d'eplaisante. Vous voulez me tuer ? pourquoi donc ?
— Vous ^etes un tra^itre !
— Et vous, vous ^etes fou.
— Je suis fou, monsieur ? Vraiment ? Ah ca, qui de nous deux est le plus fou ? de vous, qui m’avez trahi et qui revenez beno^itement chez vous, sans vous douter que je vous y guette, que je vous y attends, ou de moi, qui vais me venger de votre trahison, et qui, apr`es, me ferai sauter la cervelle, s’il le faut ?
Juve s’assit.
— Je ne vous comprends pas du tout, d'eclara-t-il. Vous me parlez tout le temps de trahison. En quoi vous ai-je trahi ?
— En quoi vous m’avez trahi ?… en ceci : vous vous 'etiez engag'e, monsieur Juve, `a retrouver le portefeuille rouge. J’'etais charg'e par mon gouvernement de le rapporter au tsar. Le tsar attendra demain, monsieur, `a la fronti`ere, que je vienne lui restituer ce document. Je ne saurais le faire si vous ne me le livrez pas. Or, vous ne me le livrez pas. Le portefeuille rouge que vous deviez me remettre, vous ne l’avez pas retrouv'e. Ou vous n’avez pas voulu le retrouver, je n’en sais rien.
« Demain le tsar croira que je n’ai point su me d'evouer `a sa cause, mais demain je serai mort, je me serai tu'e de ma propre main. Et vous serez mort aussi, vous, Juve, parce que j’estime que si vous l’aviez voulu, vous auriez le portefeuille et que vous ne l’avez pas.
— Le voici.
Le bras de l’officier, une seconde avant tendu vers Juve, le menacant d’un revolver, s’abaissa lentement.
Et des l`evres du lieutenant s’'echappaient une s'erie de phrases, de phrases sans suite, qui trahissaient le d'esarroi de sa pens'ee :
— Je ne le vois pas. Ce n’est pas lui. C’est impossible. Ah mon Dieu.
Dans l’exc`es de son bonheur, l’envoy'e du tsar semblait ne plus m^eme comprendre que c’'etait bien le portefeuille rouge, le fameux portefeuille rouge qu’il avait l`a, `a port'ee de sa main, offert `a son d'esir, retrouv'e, sauv'e, pr^et `a ^etre remis au tsar.
Le policier en cet instant go^utait l’^apre volupt'e du triomphe, du triomphe d'efinitif qu’il venait de remporter sur Fant^omas, en faisant parvenir `a l’envoy'e du tsar le portefeuille rouge, ce portefeuille rouge que Fant^omas avait voulu ravir, qu’il avait ravi par deux fois, mais que Juve pouvait ^etre fier de lui avoir repris. Juve, toutefois, 'etait trop simple, trop bon aussi pour 'eterniser l’angoisse du malheureux officier.