L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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— Puisque te voil`a, Bouzille, tu vas me rendre service. Il faut aller m’acheter d’urgence un couteau. Non pas un couperet. Quelque chose de tranchant comme, comme…
Machinalement, Bouzille l^acha, voulant avoir l’air de plaisanter :
— Comme le couteau de la guillotine ?
— Tu l’as dit, Bouzille, c’est cela.
Bouzille se gratta le front.
— C’est que… commenca-t-il.
Mais Fant^omas lui fit signe de se retourner :
Bouzille ob'eit. Une brave m'enag`ere s’'etait arr^et'ee devant sa boutique, dont la facade sur la rue avait `a peu pr`es une largeur d’un m`etre cinquante.
Avec une certaine m'efiance, elle examinait les produits que Bouzille offrait `a sa client`ele.
Le commercant se fit aimable, il s’avanca vers elle et, souriant, lui demanda :
— Qu’est-ce qu’il vous faut, ma petite dame ?
La m'enag`ere h'esita, puis r'epondit :
— Donnez-moi donc quatre sous de gruy`ere.
— Quatre sous de gruy`ere, cria triomphalement Bouzille, boum, voil`a !
Il tira un couteau de sa poche et tailla dans le grand fromage un morceau 'epais. La m'enag`ere l’interrogeait :
— Vous ne pesez donc pas ? O`u sont vos balances ?
— Oh, fit Bouzille, nous avons supprim'e tout cela ! Les balances, ca n’est jamais exact, on peut faire des erreurs, tandis qu’en calculant la quantit'e `a vue de nez, on est s^ur de ne pas se tromper.
Ce raisonnement ne parut par convaincre la m'enag`ere. Elle prit le morceau de fromage, le tourna et le retourna dans ses doigts. Elle eut une moue de d'epit :
— C’est pas bien beau, dit-elle, et il n’y a que des trous. On dirait que votre gruy`ere a 'et'e mang'e par les rats ?
— Eh, fit Bouzille, qui s’efforcait de plaisanter, les rats dans le fromage, ca ne serait pas `a d'edaigner… Quant `a y avoir des trous, dans mon gruy`ere, c’est bien 'evident, c’est m^eme forc'e. C’est la marque de fabrique.
— Je veux bien vous payer ce morceau-l`a deux sous… pas plus.
— Mettez-en trois, fit Bouzille conciliant.
Mais la brave femme 'etait d'ecid'ee. Elle avait sorti de sa poche une pi`ece de dix centimes, elle la tendait au commercant :
— `A prendre ou `a laisser, dit-elle.
Bouzille haussa les 'epaules et lui dit :
— Prenez, prenez, je ne suis pas regardant et je veux me faire de la client`ele.
Quelques instants apr`es, la pratique s’'etant 'eloign'ee, Bouzille, un peu penaud, expliquait `a Fant^omas qui, malgr'e son air sombre et pr'eoccup'e avait daign'e sourire de l’incident et s’y int'eresser :
— Parbleu, je le sais bien pourquoi il y a des trous dans le gruy`ere, c’est moi qui les fais. Dame, je ne suis pas riche, et comme j’ai toujours un app'etit f'eroce, que diable, `a d'efaut de client`ele, je me sers moi-m^eme et je mange mon fonds. Vous allez voir quand les affaires marcheront mieux.
— Tais-toi, interrompit Fant^omas, qui, reprenant un air s'ev`ere, interrogea :
— O`u vas-tu te procurer ce couperet ?
Bouzille r'efl'echissait :
— Je ne vois gu`ere, fit-il, qu’un boucher qui pourrait me vendre un accessoire pareil.
Fant^omas, r'epliqua en tendant une pi`ece d’or `a Bouzille :
— Voil`a dix francs, je te donne cinq minutes pour aller m’acheter ce dont j’ai besoin. La monnaie sera pour toi.
Au bout du temps fix'e, Bouzille revint.
Il tenait `a la main un robuste et large hachoir de forme triangulaire, qui, comme il avait dit, ressemblait assez exactement au couperet de la guillotine. Il le tendit `a Fant^omas :
— Je l’ai pay'e cher, fit-il, et j’y perds.
Mais le bandit, plus sombre encore qu’auparavant, saisit l’objet redoutable et intima `a Bouzille l’ordre de se taire.
Fant^omas se disposait `a partir.
Bouzille, incapable de dominer sa curiosit'e, l’interrogea :
— Alors, vous avez besoin de ce truc-l`a ?
— Probablement, r'epondit le farouche bandit, et j’aime autant te dire que si jamais on t’en parle, tu t^acheras d’oublier que c’est toi qui l’as fourni.
— Diable, pensait Bouzille, quelle sale affaire va-t-il encore me mettre sur les bras ?
Il insista :
— Que voulez-vous donc en faire ? Je parie que c’est encore une combine `a la manque que vous m'editez. Pourvu que ce ne soit pas un truc dans le genre de l’autobus ! `A ce propos-l`a, vous n’avez pas 'et'e gentil de me fiche `a l’eau.
Fant^omas 'etait d'ej`a sur le pas de la porte. Il revint pour dire `a Bouzille :
— Estime-toi bien heureux d’en avoir 'et'e quitte `a si bon compte, et que cela t’apprenne `a ne pas te m^eler de ce qui ne te regarde pas.
Fant^omas s’'eloigna rapidement, et Bouzille, cependant qu’il reprenait son pinceau pour achever le mot
— Que pr'epare-t-il donc encore ?
***
Le caf'e du Triangle, boulevard Rochechouart, est le caf'e o`u se r'eunissent les com'ediens du quartier, et particuli`erement les artistes du Th'e^atre Ornano.
C’est un petit 'etablissement tranquille et bien g'er'e. Les tables de marbre sont larges, les banquettes de cuir rouge confortables, les consommations abondantes et peu ch`eres.
Les habitu'es ont leur place r'eserv'ee au fond, dans le coin `a droite. C’est l`a, au milieu des manilles et des ap'eritifs, que les com'ediens du Th'e^atre Ornano discutent des 'ev'enements quotidiens, et s’occupent aussi de leur r^ole et de tout ce qui concerne le th'e^atre.