La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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— Je suis `a votre disposition, messieurs, d'eclara Backefelder, pour m’en aller `a l’h^otel avec vous. Acceptez-vous de d^iner avec moi ?
— Impossible, dit Juve, vous ^etes en France, c’est-`a-dire mon h^ote.
Et, en disant ces mots, le policier posait lourdement sa main sur la robuste 'epaule de l’Am'ericain et ce geste 'etait si 'etrange, si 'enigmatique, qu’on se demandait s’il s’agissait d’un mouvement spontan'e de sympathie ou d’un r'eflexe professionnel.
***
— Savez-vous `a quoi je pense, monsieur Juve ?
— Oui, fit le policier et je m’en vais vous le dire. Vous vous dites que vous avez devant vous un gaillard qui a toutes les allures d’un brave homme, et qui peut-^etre, comme il vous l’a d'eclar'e, est inspecteur de la s^uret'e, mais vous n’en ^etes pas bien s^ur et par moments vous supposez que peut-^etre cet individu est tr`es fort, que c’est l’homme qui vous a vol'e votre premier million et que s’il ne vous l^ache pas, c’est parce qu’il a l’intention de r'ecidiver.
— Exactement. Vous m’^etes tr`es sympathique, mais j’aurais un plaisir immense `a vous faire sauter la cervelle avec mon revolver si je ne me trompais pas.
— Bien, voil`a qui est cat'egorique.
— Maintenant, je m’en vais vous dire aussi ce que vous pensez, vous : ce grand Am'ericain que j’ai pris pour H. W. K. Backefelder, citoyen am'ericain, c'elibataire habitant Philadelphie, et caetera, n’est peut-^etre pas le vrai Backefelder et il faut que je m’en assure avant de le l^acher, car son histoire me para^it invraisemblable. Il a demand'e une semaine de cr'edit, il a l’intention de rembourser de sa poche une perte dont il n’est pas tellement responsable. C’est suspect.
— Vous avez raison, cher monsieur, c’est exactement ce que je pense.
L’Am'ericain se versa un dernier verre de fine :
— Monsieur Juve, donnez-moi la main. Votre attitude me pla^it et j’esp`ere que la mienne ne vous r'epugne pas. Nous pouvons former trois hypoth`eses, et m^eme quatre : vous avez raison et j’ai tort ; vous avez tort et j’ai raison ; nous avons tort tous les deux ; nous avons raison tous les deux.
— L’avenir r'epondra.
— Soit, `a dans huit jours.
L’Am'ericain se levait, Juve se leva de m^eme :
— J’accepte le d'efi, monsieur, fit-il, mais il est entendu que pendant ces sept jours et jusqu’`a la date fix'ee par vous pour le remboursement du million d^u `a ce pauvre M. Marquet-Monnier, qui est reparti voici une heure, et sans d^iner, nous ne nous quittons pas d’une semelle.
— Entendu. Vous m’offrez l’hospitalit'e au Havre. Demain nous partons pour Paris. `A mon tour de vous recevoir, je d'esire vivre incognito. Je viens de charger une agence parisienne, l’agence Thorin, de me retenir un appartement meubl'e dans un quartier voisin de l’Arc de Triomphe. Je m’appellerai pour la circonstance M. Back, tout court. Monsieur Juve, je vous recois chez moi.
« L’agence Thorin, songea Juve, oh, oh.
Et `a haute voix :
— C’est une affaire entendue, `a nous deux monsieur.
11 – LE LANGAGE DES FLEURS
— Monsieur Juve, je pense que votre sant'e est bonne et que vous ne refuserez pas de venir un peu faire la noce avec moi ?
Juve, qui lisait le journal, d'eshabill'e, en pantoufles, ne songeant nullement `a sortir, avait regard'e son h^ote avec stup'efaction :
— Faire la noce avec vous, monsieur Backefelder ? mon Dieu, je ne dis ni non, ni oui. Que proposez-vous ?
— Une partie quelconque, un souper, quelque chose de bien… et apr`es, si le coeur vous en dit… enfin, je n’insiste pas…
— Ah c`a, qu’est-ce qui vous prend ?
— Rien du tout, ou peu de chose. Vous comprenez, j’ai quinze jours `a rester `a Paris, quinze jours tout juste pas seize, quinze, il faut que j’en profite. Je comptais remettre les fonds dont j’'etais porteur le lendemain de mon arriv'ee en France et consacrer ensuite une huitaine de jours aux visites officielles obligatoires, puis passer le plus agr'eablement possible la derni`ere semaine de mon s'ejour. Les 'ev'enements en d'ecident autrement. Je n’ai plus les fonds, je ne les aurai pas avant cinq ou six jours maintenant, et par cons'equent, toutes mes visites officielles sont retard'ees. Donc, programme modifi'e, on commence par la noce. Je vous demande de m accompagner `a Montmartre.
Juve 'etait d'ej`a debout. La tranquille assurance de l’Am'ericain qui ne se d'ementait pas une seconde n’'etait pas pour d'eplaire au caract`ere imp'etueux de Juve. Le contraste 'etait piquant d’abord entre lui et cet homme et puis, Backefelder commencait `a en imposer `a Juve par son flegme.
— Allons, dit-il, allons faire un bon souper. M. Backefelder, je suis votre homme si vous voulez bien de moi. Mais qu’allez-vous faire des fonds demeur'es en votre possession ? Il serait imprudent de les laisser seuls ici et, d’autre part…
— Bah, j’emporterai l’argent. Dans ma poche. Je ne pense pas que personne vienne l’y prendre.
`A cela, il y avait si peu `a r'epondre que Juve s’'etait content'e d’approuver d’un hochement de t^ete. Il lui fallut une heure `a peine pour faire sa toilette. `A onze heures, les deux hommes 'etaient pr^ets, et le cigare `a la bouche, ils sautaient dans un fiacre, se faisaient conduire `a une des
Juve en proposant `a J. H. W. K. Backefelder d’aller souper au Crocodile avait tout bonnement donn'e l’adresse d’un restaurant qui ne lui 'etait certes pas inconnu. Jadis, en compagnie de Fandor, en compagnie de Bobinette, …mais il s’agissait bien de ca.
Basse de plafond, affectant une forme irr'eguli`ere, tapiss'ee de tentures rouges, meubl'ee de banquettes rouges qui formaient un d'ecor sombre faisant ressortir la blancheur des nappes, le scintillement de l’argenterie, le chatoiement des verreries des couverts, la salle du Crocodile 'etincelante de lumi`ere 'etait d'ej`a pleine d’une foule de consommateurs attabl'es devant des boissons vari'ees, scandant du cliquetis des fourchettes, du heurt des verres, le rythme d’une valse n`egre.