La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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J'er^ome Fandor apercut une premi`ere porte, puis une autre, puis d’autres encore.
— Qu’est-ce que vous voulez, vous ?
J'er^ome Fandor n’eut m^eme pas `a r'epondre.
— Qu’est-ce que vous savez faire ? cocher ? valet de chambre ? chauffeur ? Tenez-vous donc correctement, mon garcon, enlevez vos mains de vos poches.
— Ma foi, madame, je ne suis pas valet de chambre, je sais un peu conduire les chevaux, je suis capable `a la rigueur de tenir un volant et…
— Vous ne savez rien faire, en somme ?
« C’est `a peu pr`es cela », pensa Fandor.
La sous-directrice poursuivit d’un ton tranquille :
— Cela vaut dans les quarante-cinq francs par mois. Allons, entrez l`a.
J'er^ome Fandor avait de plus en plus envie de rire. Il n’eut gu`ere le temps de r'efl'echir, toutefois. La porte ouverte, il apercut une grande salle, assez propre, divis'ee dans toute sa longueur par trois grandes banquettes de bois sur lesquelles 'etaient assis une trentaine d’hommes `a face glabre, menton fuyant, l’air de s’ennuyer `a mourir.
— Entrez, r'ep'eta la sous-directrice. Asseyez-vous.
Fandor entra, avisa la banquette qui se trouvait le plus pr`es de lui. Il s’appr^etait `a y prendre place, quand on le tira par la manche :
— Pas celle-l`a, voyons. Vous ne savez donc rien de rien, mon ami. Dans tous les bureaux de placement, c’est pourtant la m^eme chose, de droite `a gauche, les banquettes sont dispos'ees suivant le m'erite des domestiques. Au fond avec les d'ebutants.
Apr`es de longs quarts d’heures d’attente et de discussions autour de lui, la sous-directrice lui fit signe, enfin :
— Vous, l`a-bas, venez.
J'er^ome Fandor se leva, accourut :
La sous-directrice l’entra^ina dans le petit couloir, le fit entrer dans une sorte de bureau s'ev`ere et froid que meublaient une table, deux chaises et un lustre `a gaz :
— Votre nom ?
— Je m’appelle J'er^ome.
— J'er^ome quoi ? T^achez donc d’^etre moins gourde, mon garcon.
— J'er^ome rien, je suis un enfant trouv'e, je n’ai pas de nom de famille.
— Il fallait le dire tout de suite. Vous ne valez pas plus de quarante francs.
— Si ca continue, pensait le journaliste, si j’'enum`ere d’autres qualit'es, bien s^ur que je ne vaudrai plus que dix francs puis cent sous par mois, encore heureux si je ne dois pas payer mes ma^itres.
— En somme, vous vous appelez J'er^ome, vous ^etes bon `a rien et bon `a tout, ni valet de chambre ni cocher, ni chauffeur et un peu tout cela.
— Oui, madame.
— Vous ^etes propre ?
— Je suis tr`es propre.
— Faites voir vos mains ?
J'er^ome Fandor les tendit :
— Bon ca va. Vous avez m^eme les mains soign'ees, mon ami. Si vous aviez quelque capacit'e, ce serait excellent, mais dans la place o`u je vais vous envoyer…
— Vous avez une place pour moi, madame ?
— D’abord, ordonna-t-elle, habituez-vous `a parler correctement. On dit :
— Madame a une place pour moi ?
— Oui peut-^etre. Ce serait une place de confiance, chez un brave homme, un vieux client, d’ailleurs Mme la directrice va vous en parler. Venez.
Derri`ere la sous-directrice, tenant son chapeau `a la main, feignant de marcher avec pr'ecaution, en homme qui n’ose point faire du bruit, mais en r'ealit'e 'etouffant un fou rire mal r'eprim'e, tirant la langue par gaminerie, J'er^ome Fandor arriva dans le bureau directorial.
C’'etait une pi`ece assez richement meubl'ee. Un tapis couvrait le sol, les meubles de velours rouge et d’acajou 'etaient cossus, un feu de bois p'etillait dans la chemin'ee, des gravures en couleurs 'etaient pendues au mur dans des cadres de bois dor'e, cependant qu’un agenda volumineux fix'e `a la muraille 'etait ratur'e d’inscriptions au crayon bleu.
J'er^ome Fandor, du premier coup d’oeil, inspectait la pi`ece, d'evisageait les deux personnes qui s’y trouvaient d'ej`a.
L’une 'etait une vieille femme, Mme Thorin, directrice de l’agence de placement. Elle avait grand air, portait une chevelure blanche, fris'ee en longs bandeaux, un costume tr`es simple que rehaussait un col d’une impeccable blancheur, comme en ont les nurses anglaises.
En face d’elle, carr'e sur un large fauteuil, d’o`u son ventre d'ebordait, un gros homme `a la figure rouge et poupine, l’air tr`es bon enfant. Il avait une 'enorme main, velue aux ongles taill'es courts, aux doigts charg'es d’'enormes chevali`eres en or massif et incrust'ees de diamants. Il paraissait jovial et de bonne humeur :
— Entrez, mon garcon, ordonna la directrice… Monsieur Labourette, voici le jeune homme dont je vous parlais, dont vous parlait madame. C’est un honn^ete garcon que nous connaissons depuis tr`es longtemps. Je suis persuad'ee qu’il fera votre affaire. Il accepterait les gages que vous offrez, quarante francs, nourri, log'e, couch'e et blanchi.
M. Labourette, cependant que Fandor songeait que Mme Thorin avait un beau toupet d’affirmer qu’elle le connaissait depuis longtemps, examinait le journaliste avec des yeux clignotants de maquignon cherchant la tare d’un cheval de belle apparence.
— H'e, h'e, d'eclara le gros homme, il n’est pas mal, ce coco-l`a. Et alors, comme ca, vous voulez entrer `a mon service ?
— Ce serait pour quelle besogne, monsieur ? demanda-t-il.
C'elestin Labourette leva les bras au ciel d’un air d'esesp'er'e :
— Pour quelle besogne ? Ah bien, dame un peu pour tout `a la fois. Moi, mon ami, je n’ai pas besoin d’un larbin ras'e qui m’intimide et qui me regarde du haut de sa grandeur. Je suis riche, pas fier pour deux sous, bon copain, et les ceusses qui travaillent avec moi, si ils ne boudent pas `a l’ouvrage, ne sont pas malheureux. Tout de m^eme, voil`a ce que vous aurez `a faire. Ah, d’abord, voil`a mon nom, C'elestin Labourette, marchand de cochons. Oui, c’est pas un m'etier de la haute, mais c’est un bon m'etier. On y gagne des sous qui ne doivent rien `a personne. Marchand de cochons, C'elestin Labourette, rappelez-vous ca. Et vous ? comment vous appelez-vous ?