La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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En r'ealit'e, J'er^ome Fandor ne se rendait pas justice quand il s’affirmait `a lui-m^eme n’avoir rien d'ecouvert de bien int'eressant. Le jeune homme avait fait preuve d’une prodigieuse habilet'e pour filer, `a travers tout Paris, le brave terrassier Francois Bernard qui, quoique feignant de marcher `a l’aventure, s’'etait rendu de Belleville `a la porte Dauphine, puis, sans sonner, utilisant probablement une cl'e en sa possession, s’'etait introduit `a l’int'erieur de l’h^otel de Rita d’Anr'emont. Qu’y venait faire le terrassier ?
Juve, qui tenait de plus en plus comme assur'ee la culpabilit'e de Rita dans la tentative d’assassinat et le cambriolage de l’h^otel, n’aurait pas 'et'e long `a conclure que l’ouvrier 'etait venu s’introduire aupr`es de sa complice. Fandor, lui, n’en 'etait pas s^ur.
Un quart d’heure plus tard, Fandor 'etait sur le toit et, cinq minutes apr`es, se penchait sur les chemin'ees avoisinantes.
Il fallut peu de temps au journaliste, ainsi qu’il l’avait pr'evu, pour trouver la chemin'ee correspondant `a la pi`ece o`u le terrassier se tenait avec Rita. L’oreille tendue, J'er^ome Fandor distinguait tr`es nettement des 'eclats de voix. Il n’en entendit pas davantage. H'elas, le vent qui soufflait avec rage faisait un tel vacarme, hurlant si bien dans les autres chemin'ees que les paroles de ceux qu’il soupconnait d’^etre complices ne parvenaient qu’absolument indistinctes jusqu’`a ses oreilles. Que faire ?
J'er^ome Fandor n’avait gu`ere h'esit'e pour monter sur le toit du petit h^otel. Il n’h'esita pas plus sur la suite.
— De plus en plus l’affaire Dollon, murmura J'er^ome Fandor. La chemin'ee est assez large pour que je puisse tenter l’aventure avec succ`es, il y a assez de potin, gr^ace `a la temp^ete, pour qu’on ne s’apercoive pas du bruit que je vais faire. Et puis, si on me d'ecouvre, je ne risque qu’une balle de revolver ou un coup de couteau apr`es tout.
« Apr`es tout », c’'etait le mot de Fandor, le mot qu’il lancait comme un d'efi `a la Destin'ee, `a chaque fois qu’il s’engageait dans quelque entreprise d'esesp'er'ee.
Le journaliste se d'ebarrassa de sa veste qui pouvait le g^ener. Il retira ses bottines pour faire moins de bruit et ^etre plus s^ur de ses mouvements, puis, ces pr'eparatifs sommaires termin'es, d'elib'er'ement il entreprit de d'echausser le champignon de tuiles qui terminait la chemin'ee o`u il venait en vain d’'ecouter.
Le champignon de tuiles enlev'e, le conduit proprement dit de la chemin'ee apparaissait. J'er^ome Fandor s’y introduisit, comme s’il e^ut accompli la chose la plus naturelle du monde.
— Si c’est large comme ca jusqu’en bas, ce sera parfait, murmura-il.
Et c’'etait en effet le moyen que venait d’inventer J'er^ome Fandor pour surprendre la conversation de Rita et de Francois Bernard, de se glisser dans la chemin'ee communiquant dans la pi`ece o`u se trouvaient la jolie femme et le terrassier, s’y tapir et de la sorte, sans ^etre vu, tout apprendre. Cependant, J'er^ome Fandor, encore qu’il f^it grande attention, ne pouvait emp^echer de faire du bruit. La chemin'ee 'etait large, en effet. Pour 'eviter de d'egringoler, il dut s’arc-bouter du dos et des genoux, en se retenant aux moindres saillies. De temps `a autre, il entendait en frissonnant des gravats qui se d'etachaient et tombaient `a grand bruit.
— Si mes bonnes gens remarquent cela, se disait le journaliste, continuant `a descendre et trouvant de plus que son entreprise n’allait pas sans de r'eels inconv'enients, car il 'etait `a moiti'e suffoqu'e par la suie que d'etachait son passage et qui lui entrait dans la bouche, dans le nez, dans les oreilles, dans les yeux, s’ils remarquent cela, je suis fichu, ni plus ni moins.
Heureusement, il est un Dieu pour les coureurs d’aventures. J'er^ome Fandor eut beau faire un bruit terrible, eut beau m^eme descendre un peu rapidement, `a son corps d'efendant, les derniers m`etres de la chemin'ee et, pour finir, toucher terre avec rudesse, personne ne parut avoir rien entendu.
C’est en toute tranquillit'e, d`es lors, que le journaliste s’accroupit sur ses talons, tendit l’oreille, ravi de se rendre compte que seule une plaque de t^ole, la plaque de la chemin'ee, le s'eparait des interlocuteurs, plaque tr`es l'eg`ere, tr`es mince, qui n’interceptait nullement le bruit des voix.
J'er^ome Fandor n’'etait accroupi dans sa myst'erieuse cachette que depuis quelques secondes qu’il avait d'ej`a parfaitement identifi'e les a^itres de l`a pi`ece qu’il ne pouvait pas voir, mais qu’il pressentait tout proche de lui : c’'etait assur'ement le salon, sans nul doute Rita et le terrassier qui s’entretenaient. Il reconnaissait aussi bien la voix de l’homme que la voix de la femme. Que disaient-ils ? Avec une avidit'e sans pareille, J'er^ome Fandor tendait l’oreille :
— Alors, tu me jures que ce n’est pas toi ?
— Bon, pensait Fandor, ca, c’est la voix de Rita, voyons la r'eponse du terrassier…
— Je ne te comprends pas, je ne comprends pas comment tu as pu, une seule seconde, concevoir une chose pareille. Tu sais bien pourtant, Julie, comme je t’aime, et par cons'equent…
— Je t’ai d'ej`a d'efendu, Francois, de m’appeler Julie. Julie, c’est mon nom de jeune fille, je te l’ai dit `a maintes reprises, et personne ne le conna^it. Il m’est d'esagr'eable qu’on me le rappelle.
— C’est vrai, tu as raison, je l’oublie toujours, Julie Person, ma petite amie d’enfance, est devenue Rita. Rita d’Anr'emont, la grande dame chic que j’adore et qui…
— Et qui t’aime bien aussi.
« Ah c`a, pensa le journaliste, mais voil`a que je m’imaginais tomber en plein complot d’assassin et que j’assiste `a une idylle. Parbleu, c’est tr`es clair tout ca. Julie Person a connu, 'etant gosse, le terrassier Francois Bernard. Maintenant qu’elle est lanc'ee dans la haute vie, elle a pour amant ce brave homme. Cela ne prouve pas du tout qu’ils aient fait, l’un ou l’autre, quoi que ce soit de r'epr'ehensible. En somme si Rita trompe S'ebastien, c’est son affaire, et le Code ne d'efend pas ca.
Rita et Francois Bernard, dans la pi`ece, librement, continuaient `a causer :
— Voil`a, reprenait le terrassier, c’est cela qui fait tout mon mal, c’est ca qui fait que je souffre. Toi, Rita, tu es la belle d’entre les belles, tu es la femme que tout le monde admire. Moi je suis l’ouvrier, la brute, l’homme grossier, l’homme que tu ne peux pas aimer.
— Mais si, je t’aime.
— Tu le dis. Mais tu prouves toi-m^eme le contraire.
Si tu m’aimais, tu n’aurais pas pens'e un seul instant `a me soupconner, Rita.