La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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Juve attendait sans impatience, convaincu que d'esormais, il saurait dans ses plus infimes d'etails tout ce qu’allait faire la ma^itresse de l’infortun'e S'ebastien.
Rita d’Anr'emont ne se d'ep^echait pas. Juve la suivait de plus pr`es. Il avait pass'e deux ou trois fois devant elle, leurs regards s’'etaient crois'es et le policier s’'etait parfaitement rendu compte que la demi-mondaine ne le reconnaissait pas, ne soupconnait d’aucune facon sa v'eritable identit'e.
Aucune inqui'etude `a avoir. Depuis de longues ann'ees, Juve 'etait pass'e ma^itre dans l’art de se camoufler, et peut-^etre ne comptait-il au monde, dans cet ordre d’id'ees, qu’un 'egal, l’Insaisissable en personne.
Les promeneurs cependant se retournaient sur le passage de la belle Rita, d’aucuns h'esitant `a rebrousser chemin pour embo^iter le pas `a la gracieuse promeneuse. Mais alors, ces amateurs de jolies filles ne tardaient pas `a remarquer que quelqu’un suivait la majestueuse personne, avec acharnement et persistance. Et ils renoncaient `a leur projet. Et Juve, en lui-m^eme, lorsqu’il voyait que sa pr'esence d'econcertait les suiveurs 'eventuels, s’amusait infiniment `a l’id'ee qu’il passait dans leur esprit pour un quelconque roquentin en qu^ete d’aventure.
— Me voil`a pass'e vieux marcheur, se disait-il. Il ne manquerait plus que je lui demande un rendez-vous et qu’elle l’accepte.
Juve constatait d’ailleurs que la tenue de la demi-mondaine 'etait 'eminemment correcte. Rita d’Anr'emont, peut-^etre parce qu’elle 'etait tr`es pr'eoccup'ee, ne pr^etait aucune attention aux sentiments suscit'es derri`ere elle. Et Juve se demandait comment allait finir cette promenade, lorsque soudain, Rita tourna `a gauche dans la sombre et populeuse rue de la Bo'etie. L’'etroit boyau 'etait encore plus encombr'e qu’`a son ordinaire. Un chantier occupait les deux tiers de la chauss'ee, cependant qu’`a l’entour les trottoirs 'etaient couverts de cette boue grasse et blanche qui fait le d'esespoir des promeneurs, soucieux de la propret'e de leurs bottines.
Rita d’Anr'emont, elle, sans souci de la boue dans laquelle elle pataugeait, avait, d’un geste machinal, retrouss'e sa jupe, puis, comme si elle 'etait curieuse ou fatigu'ee, s’approchait de la palissade s'eparant le trottoir du chantier pour regarder en curieuse, semblait-il, les travaux qu’effectuaient les ouvriers dans le sol remu'e de la rue. Mais soudain, la jeune femme poussa un petit cri : sa main venait de laisser 'echapper le r'eticule qu’elle portait, l’'el'egant petit sac 'etait tomb'e dans le chantier.
— La maladroite, pensa Juve.
Mais l’'emotion de Rita d’Anr'emont fut de courte dur'ee. Un terrassier qui travaillait `a proximit'e avait vu le malheur et s’'etait empress'e de le r'eparer. L’homme 'etait venu avec des gestes gauches, des mouvements lourds, cependant que du bout de ses doigts sales et satur'es de terre il tenait par la cordeli`ere le r'eticule 'echapp'e de la main de la demi-mondaine.
Celle-ci remercia chaleureusement l’ouvrier, et les deux interlocuteurs plac'es de part et d’autre de la palissade rest`erent un instant `a causer. Puis se s'eparant, l’homme, un robuste gaillard `a la figure bestiale entour'ee d’une 'epaisse barbe noire, retournait `a son travail, tandis que Rita d’Anr'emont poursuivit son chemin. Elle avait dissimul'e son sac souill'e de boue dans l’ampleur de son grand manchon de fourrure. Juve persistait `a lui marcher sur les talons. L’un suivant l’autre, tous deux atteignirent le faubourg Saint-Honor'e, mais alors Rita d’Anr'emont fit signe `a un taxi-auto, montait dans le v'ehicule, disait au m'ecanicien :
— Villa Sa"id, avenue du Bois-de-Boulogne.
— Tiens, pensa Juve, elle se doute de quelque chose. Elle s’imagine peut-^etre qu’on la suit, soit suivons-la. Je parie qu’elle va changer d’adresse.
Les maraudeurs par bonheur sont nombreux dans le faubourg, et Juve trouva ais'ement une autre automobile `a laquelle il donna pour consigne de suivre le taxi de Rita d’Anr'emont. Quelques minutes plus tard, en d'epit des pronostics de Juve, le taxi-auto de Rita d’Anr'emont revenait avenue du Bois-de-Boulogne, la demi-mondaine rentrait chez elle. Juve s’'etait tromp'e. Mais tandis qu’il prescrivait `a son m'ecanicien de ne pas s’arr^eter, de continuer jusqu’`a l’extr'emit'e de l’avenue et de le ramener ensuite `a la pr'efecture de police, Juve monologuait :
— Je suis un imb'ecile de ne pas avoir compris tout de suite. Parbleu, c’est 'evident, j’ai trouv'e le complice, il 'etait dans le chantier, tout au moins si ce n’est pas lui, ce terrassier est un interm'ediaire par le moyen duquel elle correspond avec quelqu’un que nous ne connaissons pas encore, mais que nous conna^itrons bient^ot.
Parbleu, continuait `a monologuer le policier, o`u donc avais-je la t^ete, lorsque j’ai 'et'e t'emoin de la sc`ene du r'eticule tombant comme par hasard dans les travaux ? Une femme comme Rita d’Anr'emont ne commet pas de ces maladresses sans les vouloir. Et d’autre part, elle n’a donn'e aucun pourboire `a ce brave ouvrier. Enfin, cet accident survenu, elle est rentr'ee tout de suite chez elle, ce qui prouverait que si elle n’avait pas eu un rendez-vous, ce rendez-vous pr'ecis, cat'egorique, de la rue de La Bo'etie, sa sortie aurait 'et'e inutile. Allons, c’est du nouveau. Il me reste `a conna^itre exactement l’identit'e de cette femme, puis `a d'ecouvrir celle du myst'erieux terrassier.
Bient^ot, le policier install'e dans les bureaux de la pr'efecture, feuilletait de gros registres et faisait d'efiler ensuite sous son doigt exerc'e une multitude de fiches.
— D’Anr'emont, r'ep'eta-t-il, en s’interrompant de temps en temps pour jeter un coup d’oeil sur l’employ'e qui avait mis toutes ces pi`eces `a sa disposition, vous ne connaissez donc pas cela ? Je croyais que vous vous occupiez du service des moeurs.
— En effet, monsieur l’inspecteur, r'epondit le jeune homme, et vous avez l`a sous les yeux tous les documents relatifs aux femmes l'eg`eres de Paris. Mais d’Anr'emont, connais pas.
Soudain Juve, eut un sursaut :
— Et ceci ? Qu’est-ce que c’est ?
Juve tendait `a l’employ'e une photographie vieille, d'efra^ichie, jaunie par le soleil et le temps. Elle repr'esentait une toute jeune femme aux cheveux tir'es, au corsage d'emod'e, `a la mise d’ouvri`ere modeste.
« P. 1898. Dossier H. Z. – Collection n° 4 » dit l’employ'e.
— Bien, fit Juve, voulez-vous me rechercher la fiche signal'etique de cette personne ?
Au bout d’un quart d’heure, l’employ'e revint dans le bureau o`u Juve attendait, non sans une certaine impatience. Il apportait un carton rectangulaire sur lequel 'etait reproduit le portrait que Juve avait choisi dans la collection de documents.
Au bout du carton, d’une belle 'ecriture de ronde, 'etait trac'ee cette inscription :
« Julie Person, fille majeure, n'ee en 1874, deux condamnations pour outrages aux agents ».
— Cela vous suffira-t-il, monsieur l’Inspecteur ?
— Oui, fit Juve, tout va bien.
Mais aussit^ot le policier reprit le document qu’il venait de rendre `a l’employ'e :
— Pardon, fit-il, rendez-moi ca ; j’ai oubli'e de noter le lieu de naissance : Saint-Symphorien (canton de Limoges) ».