La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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L’entrevue des deux fr`eres n’avait dur'e que quelques minutes. Le docteur interdisait `a S'ebastien toute conversation. Il redoutait pour lui la moindre 'emotion. Et Nathaniel, sur les conseils m^eme de Juve, s’'etait abstenu de para^itre pendant deux jours. Or, ce soir-l`a, il 'etait revenu `a la Villa Sa"id. Le banquier, 'emu, demeura longtemps devant l’h^otel, attendant qu’on v^int lui ouvrir. Enfin la porte s’entreb^ailla, une femme apparu : Rita d’Anr'emont. Elle consid'era le visiteur d’un air glacial :
— Que voulez-vous, monsieur ?
Mais Nathaniel 'etait un homme qui savait dominer ses sentiments.
Que dirait-on dans le monde si, le lendemain, les journaux racontaient que le grand banquier de la rue Laffitte s’'etait livr'e `a un pugilat ridicule et grotesque avec une demi-mondaine et qu’il s’'etait introduit par effraction dans un domicile qui n’'etait pas le sien ?
— Je suis, d'eclara Marquet-Monnier, le fr`ere de S'ebastien, il est malade, je veux le voir.
— Monsieur, r'epliqua hautainement la demi-mondaine, vous ^etes ici chez Mme Rita d’Anr'emont.
— C’est possible, r'epliqua Nathaniel, je vous demande, en ce cas, madame, de vouloir bien m’autoriser `a p'en'etrer chez vous pour arriver jusqu’`a mon fr`ere.
— S'ebastien n’est pas en 'etat de recevoir, monsieur, je regrette beaucoup, mais il m’est impossible de vous laisser entrer.
— Madame…
— Monsieur.
D'esormais, c’'etaient deux adversaires qui se mesuraient du regard, et leurs voix vibrantes r'esonnaient dans le silence de la villa.
Quelques t^etes curieuses de voisins, de domestiques, se montr`erent aux fen^etres, attir'es par le bruit. Nathaniel Marquet-Monnier n’osa plus insister. Il tourna brusquement les talons, cependant que Rita d’Anr'emont refermait doucement la porte derri`ere lui. Elle venait de remporter la victoire, Nathaniel battait en retraite. `A l’entr'ee du jardin, il rencontra Juve :
— Eh bien ? interrogea le policier.
D’une voix que la col`ere faisait trembler, le banquier r'epondit :
— Elle me refuse l’acc`es de la maison, je n’ai m^eme pas pu voir un instant mon pauvre fr`ere. Monsieur, ne pourriez-vous pas user de votre autorit'e, lui imposer l’obligation ?
— N’insistez pas, fit-il, la d'ecision de Rita d’Anr'emont `a votre 'egard a certainement 'et'e m^urement r'efl'echie. Si elle agit de la sorte, c’est qu’elle a ses raisons. Je ne pourrai pas la convaincre. D’une part, elle est chez elle, je n’ai pas d’ordres `a lui donner. Elle est libre de recevoir qui elle veut.
— Chez elle ? c’est-`a-dire, chez mon fr`ere… Car si cette demoiselle est propri'etaire de l’h^otel qu’elle habite, c’est avec l’argent de S'ebastien qu’elle l’a pay'e.
— Nous n’y pouvons rien, monsieur, votre fr`ere est majeur, libre de disposer de sa fortune et la violence ne servirait `a rien. Il faut vous incliner pour le moment. Soyez assur'e que le jour o`u je pourrai agir d’une autre facon, je ne m’en ferai pas faute.
— Merci, monsieur, d'eclara s`echement le banquier, qui, r'esign'e, s’'eloigna, saluant `a peine l’inspecteur de la S^uret'e.
`A la v'erit'e, Juve, s’il avait bien voulu, aurait certainement pu user de son autorit'e pour obtenir de Rita d’Anr'emont ce que voulait M. Marquet-Monnier, mais, outre que ce grand banquier rigide et pr'etentieux n’inspirait `a Juve qu’une m'ediocre sympathie, le policier jugeait inutile pour le moment du moins, une entrevue des deux fr`eres, qui n’aurait eu pour cons'equences, que de d'eterminer un 'echange d’aigres propos. En outre, Juve avait ses raisons pour ne point se mettre actuellement en opposition franche avec Rita d’Anr'emont. M^eme, il s’efforcait de gagner sa sympathie, sa confiance, car Juve estimait qu’il y avait diff'erentes choses pas tr`es nettes dans l’attitude de la demi-mondaine et qu’il importait d’'eclaircir.
Il avait raison, puisque, lorsque, apr`es avoir quitt'e M. Marquet-Monnier, il entra dans l’h^otel de la villa Sa"id, Rita d’Anr'emont le remercia chaleureusement de n’avoir pas fait aupr`es d’elle la d'emarche que depuis quelques instants, elle appr'ehendait. Elle avait suivi en effet, dissimul'ee derri`ere une fen^etre, le colloque du banquier et de l’inspecteur de la S^uret'e.
***
Juve avait pass'e une mauvaise nuit. Il s’'etait lev'e de bonne heure et il 'etait retourn'e `a la villa Sa"id. Son enqu^ete termin'ee, il 'etait revenu chez lui, anxieux d’avoir des nouvelles de Fandor. Le policier commencait `a s’assoupir lorsque la sonnerie du t'el'ephone l’arracha au repos. Juve bondit `a l’appareil :
— C’est vous, Michel ? Bien. Allo. Vous dites ? Elle va sortir dans une demi-heure environ ? Bon. J’y serai. Si par hasard j’arrivais en retard, prenez la filature et arrangez-vous pour que je vous retrouve.
Vingt minutes apr`es cette communication t'el'ephonique, Juve se trouvait `a l’entr'ee de la Villa Sa"id. Ce n’'etait plus le policier tel que les familiers de la villa avaient l’habitude de le voir, mais bien un gentlemen des plus 'el'egants : la moustache cir'ee, conqu'erante, cheveux grisonnants, fris'es, semblait-il, au petit fer. Il portait monocle, fumait un gros cigare, avait une canne `a pommeau d’or `a la main, et sa taille encore 'el'egante 'etait sangl'ee dans une jaquette de chez le bon faiseur. Juve, homme du monde, clubman accompli, s’arr^eta un instant sur le trottoir, fouilla dans sa poche, comme pour faire l’aum^one `a un gueux qui lui tendait la main, mais celui-ci, tout en faisant le geste d’empocher, murmurait :
— Rien encore, chef, la demoiselle est en retard. Ca n’a rien d’'etonnant… Vous savez quand les femmes sont `a leur toilette, elles n’en n’ont jamais fini.
— Je connais ca, merci, Michel. Vous pouvez vous en aller.
Flegmatiquement, l’inspecteur de la S^uret'e alluma son cigare et descendit lentement l’avenue du Bois-de-Boulogne. De temps `a autre, il se retournait d’un geste rapide pour s’assurer que la demi-mondaine n’allait pas sortir sans qu’il l’aperc^ut. Vingt minutes encore s’'ecoul`erent jusqu’au moment o`u le policier s’arr^eta net et se dissimula derri`ere un bec de gaz. Rita d’Anr'emont, modestement v^etue, sortit de la villa et se dirigea `a pied vers l’'Etoile.
Juve examina les alentours, les fiacres 'etaient rares.
— Pourvu, se dit-il, que je trouve une voiture imm'ediatement apr`es qu’elle en aura pris une.
Car le policier 'etait convaincu que la demi-mondaine ne continuerait pas longtemps `a arpenter le trottoir, il se trompait. Le temps invitait `a la promenade et le policier, pendant plus d’un quart d’heure, suivit `a faible distance Rita d’Anr'emont.
— Prendrait-elle, se demandait-il, un tramway, un m'etro, un autobus ?