La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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— De mieux en mieux, dit Juve.
Il prit son chapeau, salua l’employ'e d’un petit air protecteur, se dirigea en h^ate vers la sortie.
— Monsieur Juve ?
— Quoi ? mon ami.
— Si cela peut vous rendre service, voulez-vous que je continue les recherches ?
— Quelles recherches, mon ami ?
— Eh bien, monsieur, celles que vous faisiez sur la demoiselle Rita d’Anr'emont. Je suis `a votre disposition.
Juve ne r'epondit pas. Il pouffa au nez du fonctionnaire. Puis en s’en allant, lui jeta :
— Mon cher, vous pouvez laisser Rita d’Anr'emont tranquille et remettre `a sa place le dossier de Julie Person, je suis tr`es suffisamment document'e.
Juve, sortant de la Pr'efecture, h'ela un taxi-auto :
— Place du Danube.
Le policier avait encore not'e autre chose en examinant la fiche de Julie Person. L’adresse que l’on donnait comme 'etant son domicile, 'etait la suivante :
Depuis combien de temps la personne qui int'eressait Juve avait-elle quitt'e cette demeure ? L’habitait-elle encore ? c’est-ce qu’il importait de savoir, et il faut croire que la chose avait de l’importance aux yeux du policier, puisque sans perdre un instant il se rendait `a Belleville. Et puis, Juve 'etait d’autant plus d'esireux d’aller dans ce quartier, qu’il s’en 'etait entretenu la veille avec Fandor et qu’il savait que, pr'ecis'ement, c’'etait aux environs de la place du Danube, sur les hauteurs, dans les passages qui entourent le point culminant du quartier, que s’'etaient install'es les membres 'epars des T'en'ebreux. Juve, au fur et `a mesure qu’il approchait du but de sa course, manifestait sa joie par de bruyantes exclamations. Toutefois, il n’'etait plus l’'el'egant clubman qui, quelques heures auparavant, suivait Rita d’Anr'emont, huit reflets en t^ete et monocle `a l’oeil. Juve, `a la Pr'efecture de Police, s’'etait enti`erement d'eshabill'e. Il avait fait t'el'ephoner `a son domestique de lui apporter la valise n° 2, o`u il avait trouv'e des v^etements plus modestes et plus simples aussit^ot rev^etus. D`es lors, le policier pouvait passer dans le quartier populeux pour un petit commercant, un ouvrier endimanch'e ou un employ'e modeste.
Le policier l^acha son v'ehicule `a l’entr'ee de la place du Danube, mais, comme il passait pr`es du m'etro, il s’arr^eta brusquement.
— Il y a, murmura-t-il, un Dieu pour les policiers. Ca n’est pas possible. Si cependant… C’est mon homme.
Juve venait d’aviser au milieu d’un groupe d’ouvriers qui 'emergeait du sous-sol, un terrassier `a la face hirsute, au visage embroussaill'e d’une barbe noire 'epaisse. C’'etait bien l’homme qui, dans l’apr`es-midi, se trouvait au quartier de la rue de La Bo'etie et qui s’'etait entretenu myst'erieusement avec la demi-mondaine.
Juve provisoirement, renonca `a se rendre rue Compans et embo^ita le pas au terrassier. L’homme avec des mouvements lourds et p'enibles, remontait le long de la butte abrupte, jusqu’`a la rue de la Libert'e.
Arriv'e au num'ero 150, grand immeuble `a six 'etages qui se dressait comme une tour isol'ee au centre des terrains vagues, il jeta son sac d’outils dans le couloir de la maison, cependant qu’il criait `a la concierge :
— Ayez l’oeil dessus madame, je vas `a c^ot'e prendre un verre car je suppose bien que la bourgeoise n’est pas encore rentr'ee.
— Si donc, avait r'epliqu'e la concierge, qu’elle est rentr'ee vot’ dame, et depuis longtemps.
Mais le terrassier, sans doute, ne voulait pas entendre car il ne rebroussa pas chemin, continua de suivre la rue de la Libert'e, se dirigeant vers un bar aux allures interlopes, sur la facade duquel se d'etachait cette enseigne : Aux Amis du Lioran.
Juve, apr`es avoir h'esit'e un instant, convaincu que le terrassier 'etait pour quelque temps install'e au cabaret, p'en'etra sans h'esiter dans le couloir du 150.
— O`u est-il ? demanda Juve `a la concierge.
— Qui ca ? demanda la brave femme en consid'erant le nouveau venu.
— Eh bien, r'epliqua Juve d’une voix bourrue, le compagnon du b^atiment, Dominique. Celui qui vient de poser ses outils dans votre entr'ee.
Stup'efaite, la concierge r'epliquait :
— Dominique ? Connais pas. Nous n’avons pas ca ici.
Juve insista avec un formidable aplomb :
— Vous plaisantez voyons, ces outils ?
— C`a ? s’'ecria la concierge, mais c’est les outils de Bernard, si c’est lui que vous cherchez, il ne doit pas ^etre loin.
— C’est vrai s’'ecria Juve, c’est la langue qui m’a fourch'e, qu’est-ce que vous voulez, quand on est comme moi conducteur de travaux, on en conna^it tant des Bernard, des Francois, des Dominique, qu’on s’embrouille et qu’on les confond les uns avec les autres. C’est un Belge, pas vrai ?
La concierge 'eclata de rire et r'epliqua :
— Ah s^ur que non. Il est de quelque part dans le Midi, du Limousin ou de l’Auvergne, cela s’entend rien qu’au premier mot qu’il prononce. Tenez. Lorsqu’il restait rue Compans qu’on l’appelait tout le temps le « bougnat ».
Ces derni`eres paroles frapp`erent Juve :
— Rue Compans, pensait-il, ce terrassier, ce Francois Bernard, a habit'e rue Compans, et voici que Julie Person y a demeur'e aussi, oh, oh, ca ce corse.
Et Juve, sans se pr'eoccuper de la concierge `a laquelle il tourna brusquement le dos, s’en alla `a grands pas dans la rue d'eserte, et d'esormais sa conviction 'etait faite. Non seulement il savait que le terrassier qu’il venait de suivre s’appelait Bernard et qu’il travaillait au chantier de la rue La Bo'etie, mais encore il avait d'ecouvert que Rita d’Anr'emont, l’'el'egante demi-mondaine, propri'etaire du somptueux h^otel de la villa Sa"id, n’'etait autre que celle que la Police, douze ans auparavant, avait connue et inscrite sur ses documents confidentiels sous son nom v'eritable de : « Julie Person, fille majeure, originaire du Limousin, deux fois condamn'ee pour outrages aux agents ».
7 – UN AMI D’ENFANCE
— La lune tomberait quelque jour au beau milieu de mon assiette `a soupe que je n’aurais pas le droit de m’en 'etonner. Quelque part, je ne sais pas o`u, sur les tablettes du Destin, il doit ^etre 'ecrit que je n’aurai jamais dix minutes de tranquillit'e et que mes contemporains se ligueront pour m’emp^echer d'efinitivement d’avoir la paix. Et puis, si je ne tiens pas cette goutti`ere, s^ur que je vais me flanquer par terre et me livrer `a une exposition de triperie sur le trottoir, apr`es l’empalement sur la grille du jardin. Allons, ca va mieux.
Il faisait nuit. Les nuages tr`es bas alourdissaient le ciel o`u nul clair de lune, nulle 'etoile ne luisait, et, de temps `a autre tombaient les gouttelettes fines d’une pluie qui ne se d'ecide pas franchement `a tomber, mais menace depuis l’apr`es-midi. Les neuf coups de neuf heures venaient de sonner au clocher de l’'eglise voisine.
La voix reprenait :
— Cela va mieux, mais cela ne va pas tout `a fait bien. Ce sacr'e brouillard fait les choses suintantes et humides et il y a de quoi perdre vingt existences aussi pr'ecieuses que la mienne et quarante complets plus 'el'egants que le mien. Ah, j’en ai eu du flair de me mettre sur mon trente et un. Je ne sais pas si Fashionable habille mieux, mais ce dont je me doute, c’est que mon tailleur va avoir ma visite. Ca ne vaut rien, les op'erations de plomberie, pour les complets clairs.