La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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— O`u le p^echer ? se redemandait Fandor. Un homme du genre de Juve doit ^etre chez lui ou nulle part. Or, comme il n’est pas chez lui, il n’est nulle part. C’est vraiment bien commode pour le d'ecouvrir.
En fin de compte, Fandor quitta la place. Or ce jour-l`a, c’'etait le printemps. Lass'ee d’avoir fait rage, la temp^ete s’'etait calm'ee. Les bourrasques avaient balay'e le ciel devenu d’un bleu prometteur. Le soleil brillait, l’air 'etait parfum'e, tout invitait `a la promenade, tout 'etait joli ce matin-l`a.
— J’en aurai le coeur net, murmura Fandor, puisque Juve est en vadrouille, puisqu’il ne peut pas enqu^eter ce matin, c’est moi qui enqu^eterai `a sa place.
J'er^ome Fandor longea les quais, traversa le pont des Saints-P`eres, gagna les Tuileries et, parvenu rue de Rivoli, s’engouffra dans le m'etropolitain.
Le journaliste, quelques instants plus tard, se trouvait `a la Porte-Maillot, gagnait les grilles, entrait dans Neuilly. Une fois `a Neuilly, d’ailleurs, J'er^ome Fandor, en bon parisien qu’il 'etait, semblait compl`etement perdu. Il connaissait les moindres rues de la capitale, son m'etier d’informateur l’avait conduit depuis des ann'ees dans les quartiers les plus excentriques. En revanche il ignorait, ou presque, Neuilly.
Neuilly est une ville calme, une paisible retraite adopt'ee par les bons bourgeois riches qui n’ont jamais d’affaires et qui ne sont jamais touch'es par l’actualit'e. Ils y coulent des jours tranquilles sans souci de ce qui se passe `a quelques m`etres d’eux, dans la Ville Lumi`ere.
— Par o`u passer ? se demandait le journaliste. Dans ce patelin-l`a, toutes les avenues se ressemblent, on n’y rencontre que des cur'es et des vieilles femmes.
Et pourtant non. J'er^ome Fandor s’'etait rappel'e soudain l’affaire qui avait boulevers'e sa vie et celle de Juve, le myst`ere dont les p'erip'eties s’'etaient pr'ecis'ement d'eroul'ees `a Neuilly et o`u n’'etaient pas m^el'es des personnages de cur'es ou de vieilles femmes, mais bien de terribles h'eros : Fant^omas et Lady Beltham.
— Parbleu, songeait J'er^ome Fandor, 'evoquant en une seconde la terrible aventure qui avait d'etermin'e sa premi`ere poursuite contre Fant^omas, parbleu, c’'etait, si je ne m’abuse, boulevard Inkermann, que cela se passait et pr`es du boulevard Inkermann se trouve la rue Perronet o`u je vais aujourd’hui.
— Zut et zut, se dit J'er^ome Fandor, s’'etant repris, ce n’est pas de Fant^omas que je m’occupe mais d’une affaire plus que banale : le vitriolage d’un excellent jeune homme qui a eu le tort d’engager `a la l'eg`ere une domestique inconnue.
Dans la pens'ee du jeune homme les choses s’encha^inaient de facon tr`es simple :
— Cette Ad`ele, se disait J'er^ome Fandor, on ne sait apr`es tout ni qui elle est, ni d’o`u elle vient. Il y avait vingt-quatre heures qu’elle 'etait plac'ee chez Rita d’Anr'emont lorsque le cambriolage a eu lieu. Pourquoi ne pas imaginer que cette bonne est, comme le sont tant d’autres, une simple indicatrice `a la solde d’une bande d’apaches, qui, renseign'ee par elle, vient d'evaliser les patrons chez qui la bonne se place provisoirement.
Et Fandor compliquait les choses comme `a plaisir. Il voyait `a merveille comment l’organisation mat'erielle du cambriolage avait pu ^etre faite : Ad`ele s’'etait trouv'ee sortie au moment o`u le drame se d'eroulait ? Mais bien entendu : elle 'etait sortie ostensiblement, d’abord, pour se cr'eer un alibi susceptible de tromper la police, ensuite pour avoir l’occasion de laisser une porte ouverte par o`u pourraient s’introduire ses complices. Puis les apaches s’'etaient introduits dans l’h^otel, avaient cambriol'e tout `a leur aise les pi`eces du premier 'etage. `A l’arriv'ee de S'ebastien, surpris par sa venue, ils l’avaient vitriol'e, cependant qu’un guetteur, un veilleur quelconque, s’emparait dans l’escalier de Rita, l’assommait `a moiti'e, allait la jeter dans la cave afin de retarder les d'ebuts de l’enqu^ete sans toutefois engager les graves complications d’un v'eritable assassinat.
Et c’'etait pour retrouver Ad`ele que J'er^ome Fandor se rendait `a Neuilly, rue Perronet o`u, il le savait par Juve, dans un ancien couvent d'esaffect'e apr`es la loi de s'eparation, dans une 'enorme b^atisse qu’entourait un grand jardin et qu’un liquidateur n'egligeant ou voleur louait pour une bouch'ee de pain, le bureau de placement Thorin s’'etait install'e. C’'etait ce bureau de placement qui avait indiqu'e Ad`ele `a Rita d’Anr'emont, c’'etait `a ce bureau de placement qu’il fallait, 'evidemment, aller enqu^eter sur la jeune femme de chambre.
J'er^ome Fandor fut favorablement impressionn'e par le Bureau de Placement.
— H'e, h'e, songea le jeune homme, ce ne sont pas les femmes de m'enage `a huit sous de l’heure qu’on doit venir engager ici. Ce sont plut^ot les domestiques de haute vol'ee, les ventres-blancs de grandes maisons, larbins, cochers, chauffeurs, valets, femmes de chambre, bonnes d’enfants, cordons bleus, gouvernantes, ah sapristi, qu’on a donc du mal `a se faire servir.
J'er^ome Fandor cependant, l’air d'egag'e, les mains dans les poches, regardant `a droite et `a gauche, avec la curiosit'e naturelle d’un jeune homme c'elibataire, qui n’a de sa vie mis les pieds dans un bureau de placement, traversa le parc, se dirigea vers le couvent proprement dit o`u l’on acc'edait par un perron. Il allait en gravir les degr'es, lorsqu’une femme d’une trentaine d’ann'ees, correctement habill'ee de noir, les cheveux bien tir'es sur le front, portant un petit tablier `a bavette o`u se devinait un mouchoir brod'e, apparut `a quelque distance d’une autre porte de la maison.
J'er^ome Fandor qui ne savait trop o`u il fallait s’adresser, s’arr^eta. La femme, voix criarde, l’interpella :
— Qu’est-ce que vous d'esirez ?
— Je viens pour une place. C’est bien le bureau Thorin, ici.
— C’est bien le bureau Thorin, mon ami. Venez par ici.
— Mon ami, grommela Fandor, nous n’avons jamais tress'e des chaussons de lisi`ere ensemble, elle exag`ere, la belle enfant.
— Pourrais-je parler `a Mme la directrice ?
— Mme la directrice ? Vous y allez bien, vous, tout de suite, comme ca, en arrivant ? Vous croyez peut-^etre qu’elle est `a vos ordres. Allons, entrez. Jetez-moi votre cigarette, on ne fume pas ici. Allons, d'ep^echez-vous. Vous verrez la directrice, je pense, d’ici une heure, vous n’aviez qu’`a arriver plus t^ot si vous ^etes press'e.
— On va bien voir, songeait le journaliste, et je n’en mourrai pas pour dix minutes d’une erreur peu flatteuse. En tout cas, j’y gagne d’^etre pendant quelques instants t'emoin de la facon dont les domestiques sont trait'es ici, ce qui n’est peut-^etre pas inutile pour mon enqu^ete, et puis l’aventure vaut d’^etre v'ecue.
Il suivit le couloir, long, tortueux qui devait courir derri`ere d’immenses salons, pour rejoindre une s'erie de petites pi`eces situ'ees sur le derri`ere du b^atiment.