La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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— J'er^ome.
— J'er^ome ? Ca me va. C’est un nom qui se retient, ca me va tout `a fait. Donc, voil`a ce que vous aurez `a faire. D’abord, soigner mes bidets. J’en ai deux que j’attelle `a un tilbury, ensuite, promener mes chiens, ca, j’en ai quatre, gentils tout plein. Enfin, mettre mon vin en bouteilles et puis balayer de temps en temps, en haut et en bas. J’habite aux Lilas, une petite maison. Ah, je vous demanderai aussi de me pr^eter la main pour b^echer le jardinet. C’est pas grand, c’est pas dur. Ah, et puis encore, de venir avec moi aux abattoirs. Ca, ca ne sera pas emb^etant pour vous, mon garcon. Quand on va `a la Villette, on en revient toujours avec du vent dans les voiles : c’est un copain qui offre un verre, faut le rendre, il vous refait la politesse, on lui refait de m^eme, et puis on est tous comme ca, quoi, pas fier, bon copain, des sous dans le porte-monnaie, gueulard un peu. Ca vous va-t-il ?
J'er^ome Fandor h'esitait de moins en moins. D’abord, son futur patron l’int'eressait, l’amusait, ce devait ^etre un type et un bon type, ce gros marchand de cochons. Et puis il y avait autre chose qui intriguait J'er^ome Fandor, c’'etait le visage renfrogn'e de Mme Thorin…
La directrice du bureau de placement semblait fort peu go^uter l’exub'erante gaiet'e, la jovialit'e bonhomme du marchand de cochons. Pourtant, elle fit signe `a J'er^ome Fandor d’accepter les offres du gros homme. Elle semblait se porter garante de la v'eracit'e de ses dires.
C'elestin Labourette cependant r'ep'etait, se tapant sur les cuisses, tirant de sa poche une poign'ee de sous qu’il faisait tinter dans sa main :
— Ca vous va-t-il, mon garcon ? Avec moi, faut pas que les choses tra^inent, et votre t^ete me revient. Dites oui, dites que ca vous botte et je vous donne tout de suite un petit acompte et je vous emm`ene bouffer des escargots. Hein ? avec un verre de vin blanc.
J'er^ome Fandor ne pouvait r'esister vraiment `a une offre pareille :
— Ma foi, monsieur C'elestin Labourette, r'ep'etait-il, ca me va. J’aime les chevaux et les clebs, je ne demande pas mieux que d’entrer `a votre service.
C'elestin Labourette, ravi, tapa sur l’'epaule de son nouveau serviteur et l’entra^ina dehors.
10 – LE MILLION DISPARU
Le policier, en descendant du train, s’'etait imm'ediatement rendu au Grand-H^otel. Malgr'e l’heure tardive, M. Marquet-Monnier l’attendait dans l’appartement somptueux retenu depuis le matin m^eme.
Le banquier de la rue Laffitte n’avait plus l’attitude arrogante. M. Marquet-Monnier donnait les signes de la plus grande inqui'etude et du plus parfait d'esarroi. Cet homme si flegmatique, ce col de fer blanc rigide, pond'er'e, qui jamais ne prononcait une parole plus haute que l’autre, paraissait absolument troubl'e, d'esorient'e.
Il poussa un long soupir de satisfaction en voyant Juve entrer dans le salon attenant `a sa chambre `a coucher. Les deux mains tendues, il alla vers lui :
— Merci, monsieur, d'eclara-t-il, merci de tout coeur d’^etre venu, vous avez r'epondu `a mon pressant appel et vous ne pouvez imaginer combien je vous en sais gr'e.
— J’ai r'epondu `a votre appel, en effet, monsieur, mais je vous informe que mes instants sont compt'es. Ne perdons pas notre temps, je vous en prie, en congratulations inutiles. Vous connaissez mieux que personne la valeur du temps.
— J’irai droit au but, fit-il, mais comme nous avons `a causer quelque temps et que la nuit s’avance, faites-moi le plaisir, monsieur Juve, d’accepter une tasse de caf'e. Je vous assure que nous avons, l’un et l’autre, besoin de toute notre lucidit'e.
— Soit.
M. Marquet-Monnier prit deux tasses sur un plateau, versa d’une cafeti`ere le liquide fumant qu’il avait fait pr'eparer en attendant le visiteur.
— Un, deux morceaux de sucre ? proposa-t-il.
— Pas de sucre du tout, fit Juve, qui, pour s’occuper, allumait une cigarette, non sans en avoir offert une `a M. Marquet-Monnier.
Apr`es un silence de quelques instants, les deux hommes s’install`erent l’un en face de l’autre.
M. Marquet-Monnier commenca d’une voix 'etrange et troubl'ee qui cependant peu `a peu s’affermit :
— Vous avez pu vous rendre compte ce matin, monsieur, d'eclara t-il, de mon empressement `a partir pour le Havre. J’avais rendez-vous, en effet, avec un correspondant am'ericain de la Banque Marquet-Monnier et Cie, que je dirige, comme vous le savez, et dont je suis le principal, pour ainsi dire, le seul commanditaire. Ce correspondant d’Am'erique, homme d’une honorabilit'e `a toute 'epreuve et des mieux consid'er'es `a la Bourse de Philadelphie, a quitt'e New York il y a sept jours exactement, `a bord du transatlantique La Touraine. Sa venue m’'etait d’ailleurs annonc'ee depuis une quinzaine de jours, et mon correspondant, M. Backefelder, codirecteur de la banque des 'Etats-Unis, s’annoncait comme apportant avec lui deux millions en billets de banque francais qu’il devait verser entre mes mains, ou pour mieux dire entre celles de mon caissier, afin de liquider un compte r'esultant de diverses op'erations effectu'ees entre sa maison et la mienne et qui se soldaient par la diff'erence des deux millions en question `a mon profit. M. Backefelder, par sa derni`ere lettre, me demandait de venir au Havre prendre possession de la somme, et cela pour deux raisons, disait-il : la premi`ere c’est qu’il ne tenait pas `a s’aventurer seul sur le parcours du Havre `a Paris, o`u il est rarement venu. M. Backefelder, en effet, conna^it mal notre langue. D’autre part, il d'esirait me verser le plus t^ot possible ces deux millions, ne disposant que de tr`es peu de temps par suite de visites officielles qu’il devait effectuer dans notre pays. Jusqu’`a pr'esent, la chose est tr`es claire. Mais voici o`u elle se complique. Le paquebot La Touraine est entr'e aujourd’hui, exactement `a six heures du soir, dans le bassin de l’Eure. Or M. Backefelder ne se trouve pas `a bord.
— Ah, c’est peut-^etre qu’il a manqu'e le bateau ? qu’il s’est embarqu'e sur un autre transatlantique ?
— Non, monsieur. Cela n’est pas, et voici pourquoi : non seulement, M. Backefelder figure sur la liste des passagers de La Touraine comme s’'etant r'eellement embarqu'e `a New York, comme occupant effectivement la cabine 11, c^ot'e b^abord des premi`eres classes, mais encore, il est certain que M. Backefelder a 'et'e vu sur le bateau. Mieux que cela ou pis que cela, il a 'et'e victime d’un vol. Il s’en est plaint au capitaine et depuis lors, il a disparu.
— Disparu ? comment cela, en pleine mer ?
— Oui, en pleine mer. Pendant les trois derniers jours du voyage, il est rest'e introuvable et, de plus, il appara^it certain qu’il n’a pas d'ebarqu'e au Havre.
— Ah ! fit Juve, la situation se corse un peu. Mais elle a besoin d’^etre pr'ecis'ee. Savez-vous qu’elle a 'et'e l’importance du vol dont M. Backefelder aurait 'et'e victime ?
— Ma foi, pas exactement. Je vous avoue, monsieur Juve, que lorsque j’ai appris au d'ebarcad`ere de La Touraine, qu’on ne savait ce qu’'etait devenu M. Backefelder, j’ai 'et'e tellement troubl'e que je suis rentr'e `a mon h^otel, esp'erant qu’il 'etait venu m’y rejoindre.