La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Mais Juve ? Juve ? avez-vous de ses nouvelles ? J’arrive de voyage, moi. O`u est-il ?
H'elas, la physionomie de M. Fuselier se rembrunissait soudain :
— Ah, Juve, fit le magistrat, Juve, c’est abominable. Je n’osais pas vous en parler, mon pauvre Fandor, mais je crois que vous ^etes au courant ?
— Il est mort ? il est r'eellement mort ? sanglota le journaliste.
— H'elas, oui, et il n’y a aucun doute `a avoir `a ce sujet. Je reviens de la Pr'efecture, o`u j’ai rencontr'e M. Havard, qui est d'esol'e. Pauvre Juve.
Et, apr`es un instant de silence, M. Fuselier ajouta :
— Et cependant, faut-il le plaindre ? Il 'etait paralytique, impotent, il 'etait presque mort. Depuis six mois. Pour un homme comme lui, immobile, l’infirmit'e 'etait le pire les supplices. Certainement, Fandor, la perte que vous venez de faire est douloureuse, terriblement douloureuse pour vous, mais en ce qui concerne Juve, je me demande s’il ne vaut pas mieux pour lui qu’il soit mort plut^ot que de n’^etre plus qu’un infirme ?
Fandor n’'ecoutait pas. Fandor sanglotait.
Si M. Fuselier affirmait que Juve 'etait mort, si M. Havard se d'esolait du d'ec`es du policier, c’est que bien r'eellement il 'etait mort.
`A six heures du soir, cependant, tandis que Fandor s’entretenait avec M. Fuselier, au Palais de Justice, d’'epais barrages d’agents avaient peine `a contenir la foule accourue rue Bonaparte pour contempler les d'ecombres fumants de la maison o`u Juve avait trouv'e la mort.
Dans les rangs press'es des badauds, des r'eflexions s’'echangeaient, des colloques attrist'es naissaient.
Le peuple de Paris pleurait la mort du grand policier Juve.
Un petit vieillard qui, `a coups de coudes, 'etait arriv'e `a se faufiler au premier rang des spectateurs, s’entretenait avec un homme d’une quarantaine d’ann'ees, vigoureux, au visage glabre, et lui faisait part de ses propres sentiments :
— Moi, Monsieur, d'eclarait le petit vieillard, je trouve qu’on devrait lui faire des fun'erailles nationales, car enfin d’autres ont eu cet honneur qu’ils m'eritaient moins que lui. Je serais le Gouvernement que je n’h'esiterais pas `a d'ecr'eter que Juve doit ^etre enterr'e au Panth'eon.
Mais l’homme interpell'e `a ces propos, souriait :
— Il me semble que vous exag'erez un peu.
— Non, monsieur, non, je n’exag`ere pas. Juve, c’'etait le courage en personne, c’'etait l’audace, c’'etait l’honn^etet'e, c’'etait la loyaut'e, c’'etait le g'enie, c’'etait… et puis enfin… Monsieur, si vous jugez que j’exag`ere, vous devez savoir en quoi j’exag`ere ? eh bien, dites-le moi ?
L’homme glabre riait de plus belle.
— Peuh enfin, si cela doit vous int'eresser, cher monsieur, je ne ferai aucune difficult'e `a vous donner mon opinion. Je trouve que vous exag'erez en parlant de conduire Juve au Panth'eon. Il faudrait d’abord que Juve soit mort.
L’homme glabre avait parl'e d’un ton si naturel qu’une stup'efaction absolue r'egnait sur le visage de son interlocuteur.
— Mais vous ne savez donc pas que Juve est mort ? vous ne croyez donc pas que Juve est mort ?
L’homme glabre souriait toujours :
— Ah Juve est mort ? r'epondait-il d’un ton 'enigmatique, ah bon. Au fait, vous avez raison. Alors Juve est mort, c’est vrai. Il est tout `a fait mort ou il n’en vaut gu`ere mieux.
Et, sur ces paroles incompr'ehensibles, l’homme glabre, abandonnant brusquement le petit vieillard ahuri, pivotant sur ses talons, se perdit dans la foule.
Cet homme glabre qui venait de d'ecider que Juve
Cet homme glabre, cet extraordinaire homme glabre, c’'etait Juve, en effet.
Un Juve heureux, content, souriant, le Juve des jours de victoire.
FIN