La mort de Juve (Смерть Жюва)
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J'er^ome Fandor, d’ailleurs, n’'etait pas moins de mauvaise humeur que ses deux prisonniers. `A vrai dire, m^eme, ce n’'etait pas la mauvaise humeur qui le faisait nerveux et agit'e, c’'etait bel et bien l’inqui'etude, car il commencait `a se demander avec une angoisse de minute en minute grandissante ce qui pouvait retarder Juve et emp^echer son retour.
Juve 'etait parti bien tranquillement la veille au soir, en affirmant `a Fandor qu’il allait livrer Fant^omas, maintenu immobile sur le parquet de son appartement o`u il l’avait clou'e. Juve avait annonc'e qu’il passerait `a la Pr'efecture pour y obtenir des paperasses n'ecessaires aussi bien `a la lib'eration de Fandor qu’`a l’arrestation l'egale de Nalorgne et P'erouzin, et Juve ne revenait pas.
Les heures de la nuit s’'etaient tra^in'ees, interminables et monotones, le petit matin, s’insinuant par les soupiraux de la champignonni`ere, avait 'eclair'e la cave d’un jour ind'ecis, puis 'etait venu le grand jour, puis midi avait carillonn'e `a des clochers lointains, et des heures, de mortelles heures s’'etaient 'ecoul'ees depuis, insipides et lentes, qui n’avaient amen'e aucun changement dans la situation de J'er^ome Fandor ni dans celle de Nalorgne et P'erouzin.
Juve parti, Fandor s’'etait naturellement conform'e aux instructions pr'ecises de son ami. Le revolver au poing, il avait mont'e une garde farouche devant Nalorgne et P'erouzin, qui, atterr'es, an'eantis par la nouvelle que Fant^omas 'etait prisonnier, demeuraient sans mouvements, ligot'es sur le sol.
Fandor, d’abord, avait 'et'e tout `a la joie des nouvelles extraordinaires que Juve lui avait communiqu'ees. Il riait tout seul en songeant que l’avenir 'etait maintenant lumineux : Fant^omas 'etait pris, il allait ^etre livr'e `a la justice francaise. C’en 'etait fini des luttes 'epouvantables qui depuis des ann'ees, ne laissaient aucun repos `a Juve et `a Fandor. Le policier m^eme avait ajout'e, n’insistant point sur ce sujet, car il 'etait d’une discr'etion exemplaire, qu’H'el`ene allait mieux, que la jeune fille, toujours d'etenue `a Saint-Lazare, 'etait en voie de gu'erison.
Et cela avait caus'e une telle joie `a Fandor que les premi`eres heures de sa captivit'e, ou plut^ot de sa garde, avaient pass'e assez vite.
Fandor, toutefois, apr`es avoir fait des r'eflexions joyeuses, apr`es avoir envisag'e l’avenir sous toutes ses faces, s’^etre congratul'e lui-m^eme `a l’id'ee que Fant^omas 'etait pris, qu’H'el`ene allait mieux et que le bonheur parfait qu’il r^evait n’'etait plus qu’une question de jours, Fandor s’'etait mis `a s’ennuyer profond'ement.
— C’est monotone en diable, pensait-il, la station que je fais dans cette champignonni`ere, en face de ces deux bonshommes ligot'es, de ce maigre Nalorgne et de ce gros P'erouzin dont la conversation manque d’autant plus d’int'er^et qu’'etant 'etroitement b^aillonn'es ils ne peuvent articuler un mot.
Fandor, par compassion, autant que par ennui, avait fini par se dire qu’il 'etait inutile et m'echant de ne point soulager un peu les deux mis'erables qu’il gardait. Le journaliste s’'etait alors approch'e des captifs, avait donn'e quelque peu de l^ache `a leurs liens, les avait m^eme affranchis des b^aillons qui les 'etouffaient, tout en les avertissant qu’il agissait ainsi par pure compassion, mais qu’il ne se ferait aucun scrupule de leur casser la figure si d’aventure il leur prenait fantaisie de crier ou d’appeler au secours.
Nalorgne et P'erouzin s’'etaient tenus cois. Les deux bandits 'etaient demeur'es longtemps silencieux, puis enfin Nalorgne avait rompu son mutisme pour interroger Fandor :
— Quelle heure est-il, s’il vous pla^it ? Allez-vous bient^ot nous emmener d’ici ?
Fandor avait r'epondu, aimablement, presque, qu’il 'etait `a peu pr`es quatre heures du soir et qu’il ignorait tout `a fait quand on s’en irait de la champignonni`ere, mais qu’il souhaitait lui-m^eme que ce f^ut le plus vite possible, car il avait l’estomac dans les talons…
Fandor, `a cet instant, aurait certes bien engag'e la conversation avec Nalorgne tant il s’ennuyait, et puis il aurait peut-^etre appris des complices de Fant^omas quelques d'etails int'eressants, mais Nalorgne, renseign'e, s’'etait `a nouveau tu et les minutes encore s’'ecoulaient sans que Fandor e^ut pu trouver une autre distraction que celle qui consistait `a se promener de long en large dans l’'etroite cave, bord'ee d’un c^ot'e par un tas de fumier et de l’autre par un monceau de d'etritus.
— Tr`es joli, le paysage ! se r'ep'etait Fandor, qui commencait `a s’'enerver d’autant plus qu’il venait de griller sa derni`ere cigarette.
`A six heures, J'er^ome Fandor soudain, prit une d'ecision.
`A bout de patience, il alla se camper en face de Nalorgne et P'erouzin, et interrogeait les deux crapules avec cette extraordinaire gouaillerie un peu gavroche mais vraiment originale qui faisait le fond de son caract`ere :
— Dites donc, est-ce que vous trouvez qu’on s’amuse ici ?
C’'etait P'erouzin qui se d'ecidait `a r'epondre :
— C’est abominable, murmurait l’agent, c’est abominable de souffrir ce que nous souffrons. Monsieur Fandor, pour ma part, j’aimerais mieux encore ^etre en prison, au d'ep^ot, ^etre n’importe o`u, que de rester ici. Est-ce que M. Juve va revenir ?
Fandor ne r'epondait point `a l’agent, mais interrogeait son deuxi`eme prisonnier :
— Et vous, Nalorgne, est-ce que l’endroit vous pla^it ? vous trouvez-vous parfaitement bien ?
Nalorgne avait une r'eponse farouche ; pour une fois, le bonhomme perdait sa mine chafouine d’agent d’affaires v'ereux, il r'epondait presque avec une brutalit'e propre `a 'emouvoir tout autre que Fandor.
— Je ne sais pas ce que vous allez faire de nous, monsieur Fandor, mais je crois que, quand vous 'etiez notre prisonnier, P'erouzin et moi, nous n’avons jamais eu la l^achet'e de vous imposer une attente pareille. Si vous voulez nous tuer, tuez-nous tout de suite. Si vous voulez nous remettre aux mains de la justice, faites-le, mais, bon Dieu, par piti'e, ne restons pas plus longtemps ici.