La mort de Juve (Смерть Жюва)
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Par les interstices du plancher semblait monter un tout petit nuage de poussi`ere, une tr`es l'eg`ere fum'ee.
Il se retourna interloqu'e, regarda Fant^omas. Le bandit, faisant un extraordinaire effort sur lui-m^eme, avait repris son masque impassible, mais, chose archi surprenante, tout autour de lui s’'elevaient par moments, par intervalles irr'eguliers, de petits nuages bleu^atres qui se fondaient dans l’air, qui semblaient surgir de dessous le plancher.
— Dr^ole d’odeur, murmura Prosper, qui, spontan'ement, courut `a la porte d’entr'ee.
Il l’ouvrit.
Mais il poussa un cri terrible :
Prosper, apr`es l’avoir ouverte, referma brutalement la porte, puis revenait en courant dans le cabinet de travail :
— Nous sommes foutus, nous sommes foutus !
— Qu’est-ce qu’il y a ? interrogea Fant^omas, qui avait toutes les peines du monde `a conserver `a sa voix une intonation naturelle.
Prosper ne pouvait r'epondre : il 'etait pris d’une effroyable quinte de toux et la chose 'etait compr'ehensible :
Derri`ere l’ancien cocher, par la porte un instant entrouverte, 'etait entr'ee une vague noire, une 'epaisse bouff'ee de fum'ee qui l’avait poursuivi jusqu’au milieu de l’appartement.
C’'etait une fum'ee ^acre et dess'ech'ee, une fum'ee noire.
Prosper, enfin, lorsqu’il put dire un mot, haleta :
— C’est le feu.
— Parbleu, hurla Fant^omas, c’est maintenant que tu t’en apercois.
Prosper 'ecarquillait des yeux terrifi'es. De tous c^ot'es, dans la pi`ece, par les interstices du plancher, s’'elevaient en effet des nuages semblables `a celui qu’il avait introduit quelques instants auparavant en ouvrant la porte du palier.
Maintenant, on percevait nettement les craquements sinistres. C’'etaient soudain des lames du parquet qui se recroquevillaient, craquaient, ouvrant des ab^imes b'eants par lesquels surgissaient les flammes bleues, rouges, qui lentement, mais s^urement, venaient l'echer les tapis, les meubles, s’attaquaient aux rideaux.
— Fant^omas, hurla Prosper, la maison br^ule. Nous allons ^etre 'etouff'es. Je me d'ebine. Tant pis pour toi.
— Attends donc, hurla Fant^omas, cherche encore, Prosper, il est impossible que tu partes avant d’avoir sauv'e les papiers de ma fille. Lorsque tu les auras trouv'es, tu seras possesseur d’une fortune immense et je mourrai tranquille si je sais que tu te contentes d’en donner une part infime `a mon enfant.
En parlant ainsi, Fant^omas savait qu’il surexcitait la cupidit'e de l’inf^ame voleur.
Et d’ailleurs, Prosper, malgr'e ses inqui'etudes, ne r'esistait pas au d'esir de fouiller encore, de fouiller toujours dans les papiers, dans les documents 'epars qui se trouvaient dans le cabinet de Juve.
Car, `a chaque incursion qu’il faisait dans les tiroirs ou les coffrets, il d'ecouvrait des choses excellentes `a prendre, `a d'efaut des papiers de la fille de Fant^omas.
C’'etaient en effet, c`a et l`a, des billets de banque, des pi`eces d’or, quelques bijoux, dont il se bourrait les poches.
Cependant l’incendie gagnait ; Prosper eut une id'ee :
Un broc d’eau se trouvait `a proximit'e, dans l’angle de la pi`ece. Il s’en saisit, renversa le contenu sur le meuble que, pr'ecis'ement, il 'etait en train de visiter et qui menacait de s’enflammer : les pieds du petit bureau 'etaient d'ej`a calcin'es par les flammes.
L’eau qui coulait, ruisselait sur le fauteuil o`u Prosper avait d'epos'e son revolver, elle noyait l’arme, puis elle tombait ensuite en cascades irr'eguli`eres sur le plancher, juste `a c^ot'e de Fant^omas qui, sans laisser 'echapper un cri, afin de ne point montrer `a Prosper les angoisses par lesquelles il passait, souffrait un v'eritable martyr, car, plus le temps s’'ecoulait, plus l’incendie faisait de progr`es, plus les flammes consumaient de tous c^ot'es le plancher et les meubles.
— Prosper, hurla Fant^omas, d'elivre-moi, je n’en puis plus. Il faut que je sorte d’ici.
Mais Prosper haussait les 'epaules :
— D'ebrouille-toi, fit-il, chacun pour soi, dans ces affaires-l`a.
— L^ache, tra^itre, mis'erable, hurla le bandit.
— Au revoir, `a dimanche, cria ironiquement Prosper qui, ayant enfin cess'e de vider les tiroirs de Juve et ayant bourr'e ses poches d’or et de billets de banque, d'ecidait de s’en aller.
Au moment o`u Prosper s’approchait de la fen^etre, les vitres, avec un cliquetis sinistre, volaient en 'eclats et une 'enorme langue de feu p'en'etra dans la pi`ece.
Mais on ne pouvait plus s’'echapper par les toits et, comme l’escalier depuis longtemps 'etait consum'e, Prosper se rendit compte que toute fuite 'etait d'esormais impossible.
— Foutu, je suis foutu, hurla-t-il en se tordant les bras.
Il revint vers Fant^omas qui, l'ech'e de plus en plus par les flammes, poussait d’'epouvantables hurlements.
— Canaille, s’'ecria Prosper, c’est toi qui m’as fourr'e dans cette histoire-l`a.
Et il montrait au prisonnier un poing menacant. Mais, malgr'e les 'epouvantables souffrances qu’il endurait, Fant^omas ricana :
— Eh, oui, Prosper, c’est moi qui ai fait cela. Mais ce dont tu ne te doutes pas, c’est que c’est encore moi qui ai allum'e l’incendie. Oui, avant de venir trouver Juve, j’ai imbib'e de p'etrole tout l’escalier, j’ai vid'e de l’essence dans les tuyaux du calorif`ere, puis j’ai mis le feu `a une m`eche d’amadou qui devait, d’apr`es mes calculs, allumer l’incendie une heure apr`es mon arriv'ee. Mon but 'etait d’an'eantir Juve et tout ce qui l’entoure, et de le faire p'erir calcin'e, au milieu des flammes.
— Tandis que c’est toi et moi aussi, s’exclama Prosper, qui allons ^etre enfum'es comme des renards dans leur terrier.
— La mort me sera plus douce, hurla Fant^omas, quand je te verrai souffrir. Canaille, tra^itre, tu n’as pas voulu m’'ecouter, brigand qui as voulu me trahir et que je punis tout de m^eme. Car tu es pris, bien pris. Prosper, regarde les flammes qui te br^ulent, elles commencent `a t’atteindre aussi. Je souffre peut-^etre, mais je ne sens plus rien puisque je te vois souffrir.