La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Fichu, se disait le journaliste, je suis fichu.
24 – PRIS AU PI`EGE
Nalorgne, l’air rogue et hautain, s’'etait tourn'e vers Fandor, et l’avait averti :
— La d'ep^eche que l’on vient de nous remettre, nous pr'evient que, par crainte de manifestations, la S^uret'e a envoy'e un taxim`etre nous attendre `a Clamart. Notre train y stoppera une minute, pour nous permettre de descendre, t^achez de ne pas rousp'eter et de vous d'ep^echer.
Fandor, de la t^ete, avait fait oui. Rousp'eter ? Il n’y songeait gu`ere, le malheureux journaliste, car, `a la v'erit'e il 'etait rompu de fatigue, bris'e d’'emotions, incapable, croyait-il, du moindre acte d’'energie. Depuis Cherbourg, Nalorgne et P'erouzin avaient us'e `a son endroit de rigueurs pour le moins inutiles. Non seulement, ils n’avaient pas permis `a leur prisonnier de descendre une seconde de wagon, mais encore ils lui avaient laiss'e les menottes.
Fandor, toutefois, 'etait trop philosophe pour laisser para^itre son ennui, sa col`ere ou sa rage, d`es lors qu’il pr'evoyait que ses gardiens en concevraient une satisfaction qu’il n’avait nul d'esir de leur donner.
— Ces gaillards-l`a, se r'ep'etait Fandor, se payent ma t^ete de bonne mani`ere. Ils doivent exulter `a l’id'ee qu’ils m’ont arr^et'e, qu’ils sont charg'es de me livrer `a la justice. Je ne vais pas, en leur montrant mon emb^etement, augmenter leur satisfaction personnelle.
Toutefois, Fandor avait beau faire, il ne r'eussissait pas `a amener un sourire joyeux sur ses l`evres. D’abord il 'etait vex'e, ensuite il 'etait inquiet. De plus, il comprenait `a merveille ce qu’avait voulu Fant^omas. Fant^omas, dans le ch^ateau d'esert de Saint-Martin, s’'etait parfaitement rendu compte qu’il avait beaucoup plus d’int'er^et `a ne pas tuer Fandor, pour le faire consid'erer comme l’auteur de tous les crimes dont lui-m^eme 'etait responsable. Fant^omas s’'etait moqu'e du journaliste. Lentement, docilement, il avait 'ecrit sous sa dict'ee la lettre que Fandor avait pr'epar'ee pour faire 'eclater son innocence mais, en m^eme temps, il s’'etait arrang'e pour utiliser le proc'ed'e de l’oignon qui l’avait assur'e que la lettre ne produirait aucun effet. Cela 'etait d'ej`a bien. Ce qu’il y avait de mieux, c’'etait les instructions donn'ees `a Nalorgne et P'erouzin o`u le juge n’avait vu que du feu.
— Je suis, pensait Fandor, exactement dans la situation d’un monsieur qui tombe du quatri`eme 'etage. Tant qu’il tombe, tant qu’il est dans le vide, le mal n’est pas grand. Seulement il se dit en lui-m^eme : pourvu que cela dure. C’est ainsi que, depuis Cherbourg, Nalorgne et P'erouzin m’ont empoign'e dans leurs mains d'elicates. Je n’ai, somme toute, pas trop `a me plaindre. Mais pourvu que cela dure, pourvu qu’avant la Tour de l’Horloge o`u je vais tr`es vraisemblablement coucher ce soir, il ne survienne rien.
Car en r'ealit'e, ce que Fandor redoutait, c’'etait tout bonnement une attaque de Nalorgne, et de P'erouzin. Les mains prises dans ses menottes, Fandor se rendait parfaitement compte qu’il 'etait `a peu pr`es hors d’'etat de se d'efendre contre les deux bandits qui le gardaient, si fantaisie leur prenait de se d'ebarrasser de lui.
— Que voulait dire la d'ep^eche remise `a Nalorgne et `a P'erouzin lors de l’arr^et du rapide `a Dreux ?
On l’avait averti, sans doute, qu’il s’agissait tout simplement d’un ordre d’avoir `a d'ebarquer `a Clamart pour 'eviter toute manifestation, mais 'etait-ce vraisemblable ?…
Certes, Fandor n’ignorait pas que, lorsque la S^uret'e fait voyager des criminels importants, il arrive souvent qu’au lieu de les laisser aller jusqu’aux gares terminus : Saint-Lazare, Gare du Nord, P.-L.-M. ou gare Montparnasse, on prend la pr'ecaution de les faire descendre dans les petites stations de la banlieue d’o`u ils sont conduits directement en voiture au D'ep^ot.
On 'evite de la sorte des mouvements d’opinion `a Paris, on 'evite de regrettables incidents, des scandales issus de l’'emotion populaire.
Mais 'etait-il bien dans le cas d’une semblable mesure ?
— Que diable, se disait Fandor, `a moins de me tromper 'etrangement, il me semble que je ne suis pas un assez gros personnage pour que le bon peuple de Paris soit tent'e de prendre parti pour moi. Cela doit m^eme lui ^etre profond'ement indiff'erent, au bon peuple de Paris, `a supposer qu’il le sache, qu’on me ram`ene entre deux argousins. Et dans ce cas, pourquoi prend-on la peine de faire arr^eter le rapide `a Clamart et de m’y faire descendre ?
« Cr'edibis`eque, se disait encore le journaliste, est-ce que, par hasard, il n’y aurait pas l`a un effet de la volont'e de Fant^omas ? Je suis arr^et'e, arr^et'e par des agents qui sont des agents de la S^uret'e, c’est entendu, mais je ne dois pas oublier non plus que ce sont en r'ealit'e les complices du bandit. Par cons'equent, est-il bien r'eel qu’ils vont me livrer `a la S^uret'e, ou au contraire, vont-ils me remettre aux mains de Fant^omas ?
— Avancez, ordonn`erent les deux inspecteurs, et t^achez de marcher droit. Au premier signe, au premier geste, nous tirons.
— Ca va, ne vous faites pas de mauvais sang, j’y pense `a vos revolvers, j’y pense souvent, j’y pense toujours, j’y pense encore.
Mais d'ej`a, le train 'etait reparti `a toute allure et les deux agents encadraient leur prisonnier, et apr`es avoir donn'e leur permis de circulation au chef de gare, poussaient le journaliste vers la cour de la petite station.
— Nalorgne, commencait P'erouzin, qui venait de d'eboucher le premier hors de la salle d’attente, je ne vois pas du tout le fiacre que devait nous envoyer la S^uret'e. J’avais bien dit que ce voyage finirait mal. Qu’allons-nous faire ?
— C’est bizarre, r'epondit simplement Nalorgne.
— Pourtant, la phrase de la lettre 'etait tr`es claire ; nous ne pouvions pas nous y tromper.
P'erouzin s’interrompit brusquement. Nalorgne, d’un coup d’oeil, venait de le rappeler au silence. Mais Nalorgne avait fait son signe trop tard. J'er^ome Fandor avait entendu.
— Ah, la phrase de la lettre est claire, songeait le journaliste, la phrase de la lettre de Fant^omas. Allons, je ne me suis pas tromp'e, mes aventures ne sont pas finies. Et si je couche quelque part, ce ne sera certainement pas au D'ep^ot.