La mort de Juve (Смерть Жюва)
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Or, `a mesure que Fandor lisait, `a mesure qu’il d'epouillait les lignes vagues et incompr'ehensibles qu’avait 'ecrit quelque reporter indiff'erent, les id'ees en foule se pressaient dans le cerveau de Fandor.
« Le malheureux paralytique », avait-on 'ecrit. Or, Juve n’'etait pas paralytique. « On ne sait comment il se fait que l’incendie a 'et'e si rapide ». « On a retrouv'e un corps ».
Fandor s’'etonnait `a tous ces d'etails. Dans l’appartement de Juve, il le savait bien, lui, se trouvait Fant^omas. C’'etait Fant^omas assur'ement qui avait mis le feu, il avait d^u mettre le feu pour s’'echapper, pour se venger de Juve. Mais s’'etait-il 'echapp'e ? et n’y avait-il pas une confusion tragique `a propos du cadavre retrouv'e ? Ce corps carbonis'e, 'etait-ce vraiment le corps de Juve ? N’'etait-ce pas celui de Fant^omas ?
Dans l’esprit de Fandor, apr`es l’horrible 'emotion de la nouvelle tragique, une esp'erance soudaine renaissait. Non, ce n’'etait pas possible, Juve n’'etait pas mort, il ne se pouvait pas que Juve f^ut mort, un homme comme Juve ne p'erissait pas dans un incendie, chez lui, grill'e, br^ul'e, comme un infirme incapable de s’'echapper.
Pourtant, Fandor se disait qu’il 'etait extraordinaire que Juve ne f^ut pas venu le d'elivrer dans la champignonni`ere. Est-ce que ce retard incompr'ehensible ne prouvait pas que le policier avait 'et'e victime d’un accident ?
Fandor, `a cette minute, e^ut donn'e tout au monde pour savoir ce qu’il 'etait r'eellement advenu de Juve.
Et voil`a qu’en m^eme temps il songeait que sa propre situation n’'etait pas d'epourvue de dangers.
Tant que Juve vivait, certes Fandor n’avait pas `a s’inqui'eter outre mesure des soupcons qui pesaient sur lui du mandat d’arr^et qui le menacait, mais, Juve mort, sa situation devenait tragique, il courait les pires dangers.
Que faire de Nalorgne et de P'erouzin ? Les emmener `a la S^uret'e ? `a quel titre ? quelles preuves avait-il contre eux ? Il n’y avait pas de mandat contre Nalorgne et P'erouzin, il y en avait un contre lui, Fandor. C’'etait donc lui que l’on coffrerait. Lui qu’on emprisonnerait, peut-^etre, sans savoir de facon certaine si Juve 'etait mort ou non.
J'er^ome Fandor ne mit pas deux minutes `a r'efl'echir. En un instant, son parti 'etait pris.
Nalorgne et P'erouzin ? Ah, il se moquait pas mal d’eux, il lui 'etait bien indiff'erent qu’ils fussent libres ou non. C’'etait de Juve qu’il s’inqui'etait. C’'etait Juve qu’il fallait retrouver `a toutes forces.
J'er^ome Fandor ne fit aucune d'eclaration d’essence `a l’octroi. Comme un fou, il passa devant les employ'es, franchit la grille, abandonnant Nalorgne et P'erouzin, toujours ligot'es dans leur taxi.
J'er^ome Fandor, une fois dans Paris, h'ela un taxi-auto :
— Rue Richer, mon ami, 119, rue Richer, et vite, tr`es vite. Il y a un gros pourboire.
Arriv'e chez lui, Fandor, en coup de vent, sautait de la voiture, s’enfoncait sous la porte coch`ere, entrait une seconde dans la loge, o`u sa concierge s’'epouvantait de le voir revenir, car il y avait bien longtemps qu’il n’avait fait m^eme une courte apparition chez lui. Il se saisit de ses cl'es. Il escalada les 'etages.
Fandor ouvrit sa porte, comme s’il e^ut voulu la d'efoncer. Il traversa son petit vestibule, sauta `a son lavabo :
— Parbleu, le signalement du Fandor arr^et'e, jurait-il, c’est le signalement d’un Fandor brun. Quelle riche id'ee j’ai eue de me teindre les cheveux `a Cherbourg, et de me teindre avec cette teinture qui dispara^it avec une seule lotion d’eau oxyg'en'ee. Je vais me refaire blond, je vais passer `a la Pr'efecture, l`a, on doit savoir. L`a, j’aurai des nouvelles de Juve.
Un quart d’heure apr`es, J'er^ome Fandor, redevenu blond, ayant, par pr'ecaution, endoss'e un nouveau complet, roulait `a toute vitesse dans la direction de la Pr'efecture.
— Je saurai, songeait-il.
Pour gagner du temps, il quitta son taxi-auto, arr^et'e par un encombrement devant le Palais de Justice. J'er^ome Fandor, qui connaissait mieux que personne les d'etours du labyrinthe de Th'emis, traversa en courant la salle des Pas-Perdus, coupant au plus court pour gagner le quai de l’Horloge.
Or, comme il traversait la galerie marchande, une voix connue le h'elait :
— Fandor, h'e, J'er^ome Fandor, monsieur Fandor !
Du coup le journaliste s’immobilisa :
— Hein ? quoi ? qui m’appelle ?
Un homme d’une quarantaine d’ann'ees se pr'ecipitait vers lui les mains tendues. J'er^ome Fandor, l’apercevant, courait `a sa rencontre :
— Vous, monsieur Fuselier ? Qu’allez-vous m’apprendre ?
Et Fandor, en disant cela, ne songeait 'evidemment qu’`a Juve, au malheureux Juve qui, peut-^etre, 'etait mort, peut-^etre sauf.
M. Fuselier ne semblait pas comprendre.
— Je ne vais rien vous apprendre, r'epondait-il ; si, une chose cependant, vous savez, n’est-ce pas, qu’il y avait un individu brun arr^et'e sous votre nom et qui devait arriver aujourd’hui m^eme `a Paris, convoy'e par deux agents, Nalorgne et P'erouzin ?
— En effet, haleta Fandor, eh bien ?
— Eh bien, Nalorgne et P'erouzin viennent d’^etre retrouv'es `a la porte de Ch^atillon, ligot'es, dans un taxi-auto ; le Fandor brun qui les accompagnait s’est enfui, mon cher Fandor. Vous voyez que votre sosie m’a l’air d’^etre digne du nom qu’il vous a vol'e.
Mais Fandor n’'ecoutait d'ej`a plus. Que lui faisaient les paroles du juge d’instruction ? Il se moquait bien que sa ruse e^ut r'eussi, que personne ne pens^at `a le soupconner parce qu’il avait rendu `a ses cheveux leur teinte primitive, il se moquait bien m^eme que Nalorgne et P'erouzin eussent eu l’extraordinaire audace, le toupet invraisemblable de conter la fable dont M. Fuselier venait de lui rapporter les 'echos. Une seule chose torturait Fandor.
Et il demanda, angoiss'e :