Том 10. Былое и думы. Часть 5
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Zermatt est entour'e de montagnes, presque adoss'e au Mont-Rose; il faisait nuit derri`ere ce paravent colossal. – Lorsque nous entr^ames dans une petite auberge, la seule de l'endroit en 1849, nous y trouv^ames encore un voyageur – c''etait un g'eologue 'ecossais – et la ma^itresse de la maison. Nous 'etions autour d'une table en attendant le souper, lorsque le g'eologue nous dit: «Messieurs, c'est un bruit de sonnettes de chevaux ou de mulets!» – «Oui, oui, – dit la ma^itresse, en 'ecoutant attentivement. – Voil`a du fort! grimper cette montagne lorsqu'on ne voit pas sa propre main». Elle prit une lanterne et alla `a la rencontre; nous all^ames l'accompagner. – On entendait les sonnettes de plus en pins; quelque chose se d'etacha du fond noir, et une minute apr`es une Anglaise, raide, haute et en amazone, descendit tranquillement de cheval, comme si elle revenait `a la maison apr`es une promenade `a Hyde-Park; le second cavalier 'etait son fils, un garcon de treize `a quatorze ans. – La dame entra dans la chambre et demanda du th'e. Le g'eologue l'avait d'ej`a rencontr'ee et lui adressa la parole. Un quart d'heure apr`es, elle dit `a son fils d'aller demander aux guides combien de temps il leur fallait pour faire reposer et nourrir les chevaux.
– Comment! – dit l'Ecossais, – vous voulez partir par cette obscurit'e?
– Nous descendons, – dit-elle, – de l'autre c^ot'e, du c^ot'e italien du Monte-Rosa.
– Tant pis, vous avez une mauvaise descente. Restez ici jusqu'au matin.
– Je ne le puis, j'ai d'avance dispos'e du temps et on nous attend.
Deux heures apr`es, l'Anglaise se mit `a cheval, son fils monta gaiement le sien, et j'ouvris la fen^etre pour entendre le diminuendo des sonnettes qui s''eloignaient.
Quelle femme! Quelle race!
Le lendemain, avant le lever du soleil, nous pr^imes un troisi`eme guide qui connaissait bien les sentiers et sifflait encore ieux des chansons suisses. Nous avions l'intention de monter jusqu'`a l'endroit o`u l'on pouvait encore aller `a cheval.
J’avais peur que la journ'ee ne soit manqu'ee, un brouillard blanch^atre couvrait tout, et cela si bien qu'on ne voyait pas m^eme le mont Cervin. Lе ma^itre de l'h^otel vint jeter encore plus de trouble dans mon ^ame en disant: «Ia, ia, der Wetterhorn s'isch ein grosser Herr, l"asst sich nik immer sehe lasse fur Jederman». Heureusement,
Une pluie fine et froide remplaca le brouillard, et peu apr`es, pluie et brouillard 'etaient au-dessous de nous un oc'ean de fum'ee, un monde en fusion. Au-dessus, le ciel bleu et pur.
Victor Hugo nous raconte «ce que l'on entend sur la montagne» Il faut supposer que la montagne du haut de laquelle il a entendu tant de belles choses n''etait pas tr`es haute. La premi`ere chose qui me frappa sur ces hauteurs, c'est l'absence de tout bruit de tout son. On n'entend rien, absolument rien.
De temps en temps, le tonnerre 'eloign'e des avalanches qui tombaient du mont Cervin, venait rompre pour un instant ce silence diaphane, visible, sonore, oui, sonore, je n'ai pas d'autre mot. La grande rar'efaction de l'air donne une voix `a cette tranquillit'e min'erale, `a cet 'eternel sommeil inorganique, `a ce mutisme 'el'ementaire.
C'est la vie qui s'agite, qui se d'em`ene, qui crie et tapage; ici elle est d'epass'ee; elle est rest'ee l`a-bas sous le brouillard. Les plantes m^emes, ces sourd-muets de la nature, disparaissent et me sont repr'esent'ees que par les algues dess'ech'ees, grisonnantes, `a demi gel'ees.
Encore quelques pas – le froid devient plus intense, le verglas qui ne d'eg`ele jamais s''epaissit et forme une cro^ute continue de neige. C'est la fronti`ere de la plan`ete. Plus loin, rien que la glace et le rocher. Au del`a rien ne se passe, `a l'exception de quelques sons m'ecaniques, des fissures, des 'eboulements. Au-del`a il n'y a personne. Un seul animal, le plus curieux de tous, y va `a travers les p'erils et les dangers, pour jeter un coup d'oeil sur ce vide infini, sur ces points pro'eminents qui marquent les limites de la terre, pour y respirer la glace et l'immensit'e et descendre au plus vite dans son milieu plein d'angoisse et de mis`ere, – mais o`u il est `a la maison.
…Nous nous arr^et^ames. Arriv'es `a la mer glaciale, enlac'ee par une s'erie de montagnes, elle avait l'air d'un immense Colis'ee, inond'e par des vagues surprises par un froid glacial, qui les arr^eta court au milieu du plus grand 'elan.
Les lignes du mouvement s'arr^et`erent sans avoir eu le temps de se d'eployer en lignes droites,'en lignes de repos, et portant `a tout jamais l'immobile trace du mouvement suspendu.
Je m''eloignais tout seul `a quelque distance, et je m'assis en m'adossant `a un bloc de granit, chavir'e et enfonc'e l`a dans la neige par je ne sais quel caprice des glaces. Une blancheur sans fin, sans voix s''etendait devant moi; un petit vent soulevait de temps en temps une l'eg`ere poussi`ere de neige, la tournait, la laissait tomber, et tout rentrait dans le silence blanc et muet. Une avalanche roula, se brisant et laissant `a chaque coup un nuage glacial qui scintillait et disparaissait.
L'homme se sent mal dans ces cadres. D'epays'e, 'emu, triste, il e sent 'etranger, superflu, 'etonn'e. Et pourtant il respire plus largement et semble, pour un instant, devenir lui-m^eme blanc et comme cette neige, aust`ere et s'erieux comme le linceuil qui couvre ce cadavre de la nature s'ev`ere et morte!
…D'un c^ot'e la famille irr'evocablement soud'ee, riv'ee, ferm'ee `a perp'etuit'e – telle que Proudhon l’а r^ev'ee, le mariage indissoluble de l''eglise, le pouvoir du pater familias romain – illimit'e… la famille absorbante, dans laquelle les individus – sauf un seul – sont victimes pour un but commun; le mariage consacrant l'inalt'erabilit'e des sentiments, l''eternelle inviolabilit'e d'un pacte… De l’autre, les nouvelles doctrines dans lesquelles les liens du mariage et de la famille sont d'eli'es, l'irr'esistible puissance des passions – reconnue comme ayant droit, l'ind'ependance du pass'e admise et partant de la facultative des engagements.
D'un c^ot'e la femme – tra^in'ee au pilori, presque lapid'ee pour ce qu'on appelle la trahison – sans approfondir les causes. – De l’autre – la jalousie m^eme mise hors la loi – comme un sentiment 'ego"iste, maladif, propri'etariste, romantique qui alt`ere et empoisonne les notions simples et naturelles.
O`u est la v'erit'e? Au moins la diagonale. Il y a d'ej`a vingt trois ans que je cherche un chemin pour sortir de ces contradictions, et c'est encore en 1843 que je t^achais pour la premi`ere fois `a m'orienter dans ces t'en`ebres.
Nous sommes tr`es courageux dans la n'egation et toujours pr^ets `a jeter `a l'eau chaque idole. Mais les idoles de la famille et de la vie domestique sont «waterproof» et reviennent toujours `a la surface. Ils n'ont pas de sens quelquefois – mais ils ont la vie dure; les armes que l'on a employ'ees contre eux – gliss`erent sur leur 'ecaille, les renvers`erent, les abasourdirent – mais ne les tu`erent pas.
Jalousie… Fid'elit'e… Puret'e… Innocence… Trahison… Sombres puissances, verbes terribles au nom desquels coul`erent des torrents de sang, des torrents de larmes… Ces mots nous font fr'emir comme le souvenir de l'inquisition, de la torture, de la peste – et ils sont suspendus sur notre t^ete comme le glaive de Damocl`es – et c'est sous ce glaive qu'a toujours v'ecu et vit encore la famille.