Bel-Ami / Милый друг
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Il ne se leva, le lendemain, qu'un peu tard, eloignant et savourant d'avance le plaisir de cette visite.
Il etait dix heures passees quand il sonna chez son ami.
Le domestique repondit:
– C'est que monsieur est en train de travailler.
Duroy n'avait point songe que le mari pouvait etre la. Il insista cependant:
– Dites-lui que c'est moi, pour une affaire pressante.
Apres cinq minutes d'attente, on le fit entrer dans le cabinet ou il avait passe une si bonne matinee.
A la place occupee par lui, Forestier maintenant etait assis et ecrivait, en robe de chambre, les pieds dans ses pantoufles, la tete couverte d'une petite toque anglaise; tandis que sa femme, enveloppee du meme peignoir blanc, et accoudee a la cheminee, dictait, une cigarette a la bouche.
Duroy, s'arretant sur le seuil, murmura:
– Je vous demande bien pardon; je vous derange?
Et son ami, ayant tourne la tete, une tete furieuse, grogna:
– Qu'est-ce que tu veux encore? Depeche-toi, nous sommes presses.
L'autre, interdit, balbutiait:
– Non, ce n'est rien, pardon.
Mais Forestier, se fachant:
– Allons, sacrebleu! ne perds pas de temps; tu n'as pourtant pas force ma porte pour le plaisir de nous dire bonjour.
Alors Duroy, fort trouble, se decida:
– Non… voila… c'est que… je n'arrive pas encore a faire mon article… et tu as ete… vous avez ete si… si… si gentils la derniere fois que… que j'esperais… que j'ai ose venir…
Forestier lui coupa la parole:
– Tu te fiches du monde, a la fin! Alors tu t'imagines que je vais faire ton metier, et que tu n'auras qu'a passer a la caisse au bout du mois. Non! Elle est bonne, celle-la!
La jeune femme continuait a fumer, sans dire un mot, souriant toujours d'un vague sourire qui semblait un masque aimable sur l'ironie de sa pensee.
Et Duroy, rougissant, begayait:
– Excusez-moi… j'avais cru… j'avais pense…
Puis brusquement, d'une voix claire:
– Je vous demande mille fois pardon, madame, en vous adressant encore mes remerciements les plus vifs pour la chronique si charmante que vous m'avez faite hier.
Puis il dit a Charles:
Il retourna chez lui, a grands pas, en grommelant: «Eh bien, je m'en vais la faire celle-la, et tout seul, et ils verront…»
A peine rentre, la colere l'excitant, il se mit a ecrire.
Il continua l'aventure commencee par Mme Forestier, accumulant des details de roman-feuilleton, des peripeties surprenantes et des descriptions ampoulees, avec une maladresse de style de collegien et des formules de sous-officier. En une heure, il eut termine une chronique qui ressemblait a un chaos de folies, et il la porta, avec assurance, a la Vie Francaise.
La premiere personne qu'il rencontra fut Saint-Potin qui, lui serrant la main avec une energie de complice, demanda:
– Vous avez lu ma conversation avec le Chinois et avec l'Hindou. Est-ce assez drole? Ca a amuse tout Paris. Et je n'ai pas vu seulement le bout de leur nez.
Duroy, qui n'avait rien lu, prit aussitot le journal, et il parcourut de l'oeil un long article intitule
Forestier survint, soufflant, presse, l'air effare:
– Ah bon, j'ai besoin de vous deux.
Et il leur indiqua une serie d'informations politiques qu'il fallait se procurer pour le soir meme.
Duroy lui rendit son article.
– Voici la suite sur l'Algerie.
– Tres bien, donne: je vais la remettre au patron.
Ce fut tout.
Saint-Potin entraina son nouveau confrere, et lorsqu'ils furent dans le corridor, il lui dit:
– Avez-vous passe a la caisse?
– Non. Pourquoi?
– Pourquoi? Pour vous faire payer. Voyez-vous, il faut toujours prendre un mois d'avance. On ne sait pas ce qui peut arriver.
– Mais… je ne demande pas mieux.
– Je vais vous presenter au caissier. Il ne fera point de difficultes. On paye bien ici.
Et Duroy alla toucher ses deux cents francs, plus vingt-huit francs pour son article de la veille, qui, joints a ce qui lui restait de son traitement du chemin de fer, lui faisaient trois cent quarante francs en poche.
Jamais il n'avait tenu pareille somme, et il se crut riche pour des temps indefinis.
Puis Saint-Potin l'emmena bavarder dans les bureaux de quatre ou cinq feuilles rivales, esperant que les nouvelles qu'on l'avait charge de recueillir avaient ete prises deja par d'autres, et qu'il saurait bien les leur souffler, grace a l'abondance et a l'astuce de sa conversation.
Le soir venu, Duroy, qui n'avait plus rien a faire, songea a retourner aux Folies-Bergere, et, payant d'audace, il se presenta au controle:
– Je m'appelle Georges Duroy, redacteur a la Vie Francaise. Je suis venu l'autre jour avec M. Forestier, qui m'avait promis de demander mes entrees. Je ne sais s'il y a songe.
On consulta un registre. Son nom ne s'y trouvait pas inscrit. Cependant le controleur, homme tres affable, lui dit:
– Entrez toujours, monsieur, et adressez vous-meme votre demande a M. le directeur, qui y fera droit assurement.
Il entra, et presque aussitot il rencontra Rachel, la femme emmenee le premier soir.