Bel-Ami / Милый друг
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Elle vint a lui:
– Bonjour, mon chat. Tu vas bien?
– Tres bien, et toi?
– Moi, pas mal. Tu ne sais pas, j'ai reve deux fois de toi depuis l'autre jour.
Duroy sourit, flatte:
– Ah! ah! et qu'est-ce que ca prouve?
– Ca prouve que tu m'as plu, gros serin, et que nous recommencerons quand ca te dira.
– Aujourd'hui si tu veux.
– Oui, je veux bien.
– Bon, mais ecoute…
Il hesitait, un peu confus de ce qu'il allait faire:
– C'est que, cette fois, je n'ai pas le sou: je viens du cercle, ou j'ai tout claque.
Elle le regardait au fond des yeux, flairant le mensonge avec son instinct et sa pratique de fille habituee aux roueries et aux marchandages des hommes. Elle dit:
– Blagueur! Tu sais, ca n'est pas gentil avec moi cette maniere-la.
Il eut un sourire embarrasse:
– Si tu veux dix francs, c'est tout ce qui me reste.
Elle murmura avec un desinteressement de courtisane qui se paie un caprice:
– Ce qui te plaira, mon cheri: je ne veux que toi.
Et levant ses yeux seduits vers la moustache du jeune homme, elle prit son bras et s'appuya dessus amoureusement:
– Allons boire une grenadine d'abord. Et puis nous ferons un tour ensemble. Moi je voudrais aller a l'Opera, comme ca, avec toi, pour te montrer. Et puis nous rentrerons de bonne heure, n'est-ce pas?
….
Il dormit tard chez cette fille. Il faisait jour quand il sortit, et la pensee lui vint aussitot d'acheter la Vie Francaise. Il ouvrit le journal d'une main fievreuse; sa chronique n'y etait pas; et il demeurait debout sur le trottoir, parcourant anxieusement de l'oeil les colonnes imprimees avec l'espoir d'y trouver, enfin, ce qu'il cherchait.
Quelque chose de pesant tout a coup accablait son coeur, car, apres la fatigue d'une nuit d'amour, cette contrariete tombant sur sa lassitude avait le poids d'un desastre.
Il remonta chez lui et s'endormit tout habille sur son lit.
En entrant quelques heures plus tard dans les bureaux de la redaction, il se presenta devant M. Walter:
– J'ai ete tout surpris ce matin, monsieur, de ne pas trouver mon second article sur l'Algerie.
Le directeur leva la tete, et d'une voix seche:
– Je l'ai donne a votre ami Forestier, en le priant de le lire; il ne l'a pas trouve suffisant: il faudra me le refaire.
Duroy, furieux, sortit sans repondre un mot, et, penetrant brusquement dans le cabinet de son camarade:
– Pourquoi n'as-tu pas fait paraitre, ce matin, ma chronique?
Le journaliste fumait une cigarette, le dos au fond de son fauteuil et les pieds sur sa table, salissant de ses talons un article commence. Il articula tranquillement avec un son de voix ennuye et lointain, comme s'il parlait du fond d'un trou:
– Le patron l'a trouve mauvais, et m'a charge de te le remettre pour le recommencer. Tiens, le voila.
Et il indiquait du doigt les feuilles depliees sous un presse-papier.
Duroy, confondu, ne trouva rien a dire, et, comme il mettait sa prose dans sa poche, Forestier reprit:
– Aujourd'hui tu vas te rendre d'abord a la prefecture…
Et il indiqua une serie de courses d'affaires, de nouvelles a recueillir. Duroy s'en alla, sans avoir pu decouvrir le mot mordant qu'il cherchait.
Il rapporta son article le lendemain. Il lui fut rendu de nouveau. L'ayant refait une troisieme fois, et le voyant refuse, il comprit qu'il allait trop vite et que la main de Forestier pouvait seule l'aider dans sa route.
Il ne parla donc plus des Souvenirs d'un chasseur d'Afrique, en se promettant d'etre souple et ruse, puisqu'il le fallait, et de faire, en attendant mieux, son metier de reporter avec zele.
Il connut les coulisses des theatres et celles de la politique, les corridors et le vestibule des hommes d'Etat et de la Chambre des deputes, les figures importantes des attaches de cabinet et les mines renfrognees des huissiers endormis.
Il eut des rapports continus avec des ministres, des concierges, des generaux, des agents de police, des princes, des souteneurs, des courtisanes, des ambassadeurs, des eveques, des proxenetes, des rastaquoueres, des hommes du monde, des grecs, des cochers de fiacre, des garcons de cafe et bien d'autres, etant devenu l'ami interesse et indifferent de tous ces gens, les confondant dans son estime, les toisant a la meme mesure, les jugeant avec le meme oeil, a force de les voir tous les jours, a toute heure, sans transition d'esprit, et de parler avec eux tous des memes affaires concernant son metier. Il se comparait lui-meme a un homme qui gouterait, coup sur coup, les echantillons de tous les vins, et ne distinguerait bientot plus le chateau-margaux de l'argenteuil.
Il devint en peu de temps un remarquable reporter, sur de ses informations, ruse, rapide, subtil, une vraie valeur pour le journal, comme disait le pere Walter, qui s'y connaissait en redacteurs.
Cependant, comme il ne touchait que dix centimes la ligne, plus ses deux cents francs de fixe, et comme la vie de boulevard, la vie de cafe, la vie de restaurant coute cher, il n'avait jamais le sou et se desolait de sa misere.
C'est un truc a saisir, pensait-il, en voyant certains confreres aller la poche pleine d'or, sans jamais comprendre quels moyens secrets ils pouvaient bien employer pour se procurer cette aisance. Et il soupconnait avec envie des procedes inconnus et suspects, des services rendus, toute une contrebande acceptee et consentie. Or, il lui fallait penetrer le mystere, entrer dans l'association tacite, s'imposer aux camarades qui partageaient sans lui.
Et il revait souvent le soir, en regardant de sa fenetre passer les trains, aux procedes qu'il pourrait employer.
V
Deux mois s'etaient ecoules; on touchait a septembre, et la fortune rapide que Duroy avait esperee lui semblait bien longue a venir. Il s'inquietait surtout de la mediocrite morale de sa situation et ne voyait pas par quelle voie il escaladerait les hauteurs ou l'on trouve la consideration, la puissance et l'argent.