L'agent secret (Секретный агент)
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— Et tu t’es d'ebrouill'e ? Comment ?…
Geoffroy-la-Barrique semblait h'esiter `a r'epondre. Peut-^etre avait-il un mauvais souvenir dans sa m'emoire, peut-^etre ne voulait-il pas raconter au juste `a son ami Malfichu ce qu’il avait fait durant les quelques mois qui s'eparaient sa sortie des Halles de son entr'ee au Grand Tonneau…
Les yeux fixes, il buvait son absinthe `a petits coups, `a courtes gorg'ees savour'ees l’une apr`es l’autre…
— Alors, voil`a, je me suis d'ebrouill'e…
— J’te demande comment ?
— J’te dis que je me suis d'ebrouill'e, puis je suis entr'e au Grand Tonneau…
— O`u t’es…
— O`u j’suis…
— T’as rembours'e la frangine ?
Mais Geoffroy eut un gros rire :
— Des n`efles ! r'epondit-il. Tu ne voudrais pas, des fois ? Je l’ai si peu rembours'ee que d’abord j’savais pas ce qu’elle 'etait devenue… elle avait quitt'e Lariboise… partie sans laisser d’adresse… z’ou… j’la croyais p’t’^etre ben claqu'ee, ce qui m’aurait fait de la peine, car c’est une brave fille, lorsqu’avant-hier j’ai recu un mot d’elle. Bobinette m’a demand'e un rendez-vous…
— Tu lui as dit de venir ici ?
— Juste.
— Et comment qu’elle avait ton adresse ?
— Dame ! ca, j’sais pas… Probable qu’elle aura vu mon nom cit'e l’autr’jour
— Faut pas s’'etonner avec elle, j’te dis qu’elle a d’l’instruction…
***
Minuit et demie venait de sonner.
D’une voix formidable, le patron du Veau-qui-Pleure, le bouge o`u le grand Geoffroy et son ami passaient la soir'ee, avertissait :
— Maintenant, les fistons, je ne sers plus que des « sept sous »…
Nulle protestation ne s’'elevait. On savait, en effet, que, pass'e minuit et demie, on se refusait `a servir `a la client`ele des consommations d’un prix inf'erieur `a sept sous. Sans doute parce que, pass'ee cette heure, la client`ele du Veau-qui-Pleuren’'etait plus en 'etat de protester.
Geoffroy-la-Barrique resta seul. Il s’'etait content'e de commander une nouvelle tourn'ee, une tourn'ee de deux verres. Il les buvait l’un apr`es l’autre, ennuy'e d’attendre. Un peu essouffl'ee, un peu intimid'ee surtout, Bobinette arriva enfin… Pour venir visiter son brave fr`ere, l’'el'egante demoiselle de compagnie de Wilhelmine de Naarboveck s’'etait sagement abstenue de faire toilette. Aussi bien, depuis son voyage `a Rouen, depuis la rencontre qu’elle avait faite du lieutenant Henri, dans le train avait-elle jug'e bon de ne pas repara^itre `a l’h^otel du diplomate. Elle avait 'ecrit qu’elle 'etait malade.
En r'ealit'e, elle 'etait all'ee s’installer dans un modeste h^otel de la Chapelle, et l`a attendait les 'ev'enements, se demandant exactement ce que le lieutenant Henri avait devin'e, ce que la police savait… Vagualame ne l’avait point trahie. La police ne l’avait pas inqui'et'ee, elle avait pu rejoindre le lendemain le caporal Vinson, le faux caporal Vinson, bien entendu, mais, en v'erit'e, elle sentait qu’elle 'etait entour'ee de pi`eges, que ce n’'etait plus le moment de plaisanter, qu’il valait mieux dispara^itre. Bobinette 'etait d’autant plus inqui`ete qu’elle comprenait moins exactement les 'ev'enements en train. Apr`es l’arrestation de Vagualame, elle n’avait plus eu qu’une seule id'ee : se d'ebarrasser le plus vite possible du d'ebouchoir, le livrer, toucher la prime. Or, au lieu du caporal Vinson, qu’elle convoquait suivant les ordres recus le premier d'ecembre, elle devait apercevoir Fandor…
Elle avait alors 'ecrit `a l’ H^otel de l’Arm'ee et de la Marine, s’'etait travestie en pr^etre, ainsi que le lui avait recommand'e Vagualame avant son arrestation. Vagualame, qui d'ej`a lui avait fait rev^etir ce costume lorsqu’il avait jug'e int'eressant de la conduire `a la fronti`ere et de lui faire rencontrer, sur la route de Verdun, le caporal Vinson. Si Bobinette, en effet, le matin o`u elle avait rencontr'e Fandor en Fandor, 'etait elle-m^eme en Bobinette, c’est que la jeune femme s’'etait fait exactement le m^eme raisonnement que le journaliste…
Fandor s’'etait dit :
« N’allons pas au rendez-vous du caporal Vinson ; voyons d’abord qui nous convoque.
« Passons en Bobinette sous les arcades, je verrai bien si le caporal Vinson est l`a, et si par hasard il n’est pas seul… »
Ils s’'etaient rencontr'es tous les deux sans deviner l’un et l’autre qui ils 'etaient : Fandor, le faux Vinson ; Bobinette, le pr^etre myst'erieux… Et ils s’'etaient retrouv'es sans se reconna^itre l’apr`es-midi, chacun ayant repris, `a la r'eflexion et ne jugeant plus la chose dangereuse, sa fausse personnalit'e.
Ce jour-l`a, Bobinette avait eu `a Rouen une terrible surprise…
Le t'el'egramme recu au garage, t'el'egramme qui avait tant intrigu'e le faux caporal Vinson et l’avait en quelque sorte d'ecid'e `a fuir le lendemain du Carrefour Fleuri, 'etait en effet envoy'e `a Bobinette par… Vagualame.
Comment Vagualame, qu’elle avait vu arr^eter la veille, avait-il pu lui adresser cette d'ep^eche ?
Bobinette se l’'etait demand'e, terrifi'ee, ignorant qu’il y avait deux Vagualame, un vrai et un faux, et que le faux seul 'etait arr^et'e…
Dans cette d'ep^eche r'edig'ee en langage chiffr'e, en langage conventionnel, Vagualame, renseign'e par une m'eticuleuse surveillance de l’ H^otel de l’Arm'ee et de la Marine, l’avertissait d’avoir, co^ute que co^ute, et le plus rapidement possible, `a se s'eparer du caporal Vinson, qui, lui, n’'etait pas le vrai caporal Vinson, mais bien un contre-espion…
Bobinette, ou plut^ot le faux pr^etre, lisant cela, avait pens'e s’'evanouir d’effroi. Elle n’avait plus eu d`es lors qu’une seule id'ee : dispara^itre au plus vite.