L'agent secret (Секретный агент)
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Le baron de Naarboveck, seule personne au monde qui, d`es lors, sembla s’int'eresser `a elle, vint, apr`es six mois, la chercher en Angleterre, la ramena `a Paris et d'ecida de la faire passer pour sa fille.
Le baron s’'etait montr'e excellent pour la jeune fille. Il lui avait appris, en outre, qu’elle poss'edait une belle fortune `a l’'etranger, qu’il lui faudrait aller la chercher un jour.
…Wilhelmine s’interrompit soudain dans son r'ecit.
— Avez-vous vu ? interrogea-t-elle d’une voix inqui`ete.
— Il me semble en effet, reconnut l’officier, mais peu importe ! C’est quelqu’un qui passe !
— Pourvu, grand Dieu, que l’on ne nous 'epie pas, murmura Th'er`ese-Wilhelmine.
— Que craignez-vous donc ?
— Vous vous demandez pourquoi mon existence est entour'ee, depuis ces derni`eres ann'ees, par tant de pr'ecautions myst'erieuses ?
— Oui, bien s^ur, dit le lieutenant.
— J’en ai parl'e `a Naarboveck. J’ai lu des collections de journaux `a la Biblioth`eque, en cachette, bien s^ur. Un nom ne cesse de revenir dans toutes nos affaires…
— Ce nom ?
— Et ce nom c’est… c’est le nom qu’on n’ose prononcer… Fant^omas…
— Ah ! fit Loubersac.
Les propos de Juve lui revenaient `a l’esprit.
Mais bient^ot la jalousie reprit le dessus.
Com'edie que tout cela, pensa-t-il, et com'edie grossi`ere destin'ee `a d'etourner mes soupcons. On veut amuser ma curiosit'e. La gaillarde se croit tr`es forte. Elle ne sait pas `a qui elle s’attaque.
Et pour en avoir le coeur net, il se leva, et, les yeux dans les yeux, il dit `a br^ule-pourpoint :
— Wilhelmine de Naarboveck ou Th'er`ese Auvernois, peu m’importe… Je veux la v'erit'e vraie : oui ou non, avez-vous 'et'e la ma^itresse du capitaine Brocq ?
Wilhelmine 'etait devenue toute p^ale. Un tremblement agita ses l`evres, blanches d’'emotion.
Soudain, elle comprit l’incr'edulit'e de l’homme auquel elle avait vou'e son coeur.
Un instant elle eut l’id'ee d’expliquer, d’expliquer encore, de vouloir convaincre et aussi de se justifier. Mais elle recula, d'ecourag'ee devant la gigantesque apparence de la t^ache. Et puis, que lui importait, du moment qu’Henri n’avait pas confiance ? La jeune fille se contint :
— Vous m’insultez, dit-elle. Retirez ce que vous venez de dire. J’exige des excuses !…
— Je maintiens mon accusation, mademoiselle, jusqu’`a ce que vous m’ayez fourni des preuves formelles.
La jeune fille s’'etait lev'ee. Pr'ecipitamment elle se dirigeait vers la porte, descendit les marches de l’'eglise et se jeta dans un fiacre qui passait.
— Adieu, monsieur, pour toujours.
Henri de Loubersac haussa les 'epaules.
Soudain, il tressaillit ; une silhouette, une ombre, se profila sous le porche de l’'eglise : un ^etre ind'efinissable disparut en courant. Henri de Loubersac comprit qu’ils avaient 'et'e suivis, 'epi'es.
27 – LES DEUX VINSON
Midi sonnait quand le caporal Vinson, enferm'e au Cherche-Midi depuis son arriv'ee `a Paris, entendit une cl'e grincer dans la serrure du cachot qu’il occupait.
Deux ge^oliers militaires l’interpellaient :
— Butler ! vous allez ^etre transf'er'e dans l’immeuble du Conseil de Guerre, o`u vous occuperez la cellule num'ero vingt-sept. Notre prison n’est que pour les condamn'es ; or, vous n’^etes qu’inculp'e, vous ne pourriez y rester…
Tout cela importait peu au faux Butler. Mais l’infortun'e caporal fr'emit d’'emotion `a l’id'ee d’^etre expos'e, ne f^ut-ce qu’un instant, aux regards curieux de la foule.
— Allons-y !
Le caporal ne pouvait se d'ecider `a quitter l’ombre de son cachot. Enfin, il fit un effort, tendit ses poignets, accepta sans murmure les menottes et, se placant entre ses deux ge^oliers, quitta la prison.
La lumi`ere du jour, le frappant brusquement au visage, lui fit cligner des yeux et, en arrivant sur le trottoir, le caporal esquissa un mouvement de recul, mais les gardiens l’entra^in`erent.
Le pauvre caporal, un peu plus loin, poussa un soupir et se laissa aller de tout son long.
Ses gardiens le port`erent jusqu’`a l’entr'ee de la cour du Conseil de Guerre. Quelques curieux, surpris de la p^aleur du prisonnier voulurent suivre, mais les gardiens firent fermer la grande porte de la cour du Conseil communiquant avec la rue, et avant de mener Vinson dans sa cellule, ils assirent le malheureux toujours inanim'e sur une chaise, dans la loge du concierge.
Le concierge offrit du vinaigre, on en frictionna les tempes du mis'erable. L’un des ge^oliers lui frappa dans les mains. Ce fut en vain : le prisonnier Butler ne donnait plus signe de vie.
— Ma foi, sugg'era le concierge inquiet, vous feriez aussi bien de le transporter dans sa cellule et faire chercher le m'edecin de service. Ce serait plus prudent.
***
— Lieutenant Servin ?
— Mon commandant ?
— Puisque vous ^etes substitut aupr`es du commissaire du gouvernement, et que me voil`a redevenu commissaire au gouvernement, vous allez me donner un coup de main pour d'ebrouiller toutes ces paperasses… Il est d'ej`a onze heures et demie et je voudrais bien aller d'ejeuner…
Le lieutenant Servin sourit, et vivement apporta sur le bureau de son sup'erieur une pile de documents qu’il classa d’une main experte.
Ce sup'erieur, c’'etait le commandant Dumoulin, qui, une quinzaine de jours auparavant, remplissait encore les fonctions de sous-chef du Deuxi`eme Bureau. Depuis quelques jours, Dumoulin avait pris possession de son nouveau poste et comptait se mettre paisiblement au courant des affaires dont s’occupait le Conseil.
Or, voici que la veille au soir il avait 'et'e avis'e `a son domicile, par une communication priv'ee du Minist`ere, qu’un d'eserteur inculp'e de trahison venait d’^etre arr^et'e et qu’il s’agissait du caporal Vinson. `A la lecture de ce nom, le commandant Dumoulin avait bondi. L’affaire Vinson, mais c’'etait aussi l’affaire du capitaine Brocq, de la chanteuse Nichoune, du plan de mobilisation vol'e, du d'ebouchoir de canon disparu.