L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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— Mes chefs m’ont introduit aupr`es de vous, monsieur l’Ambassadeur, avec l’id'ee que vous auriez peut-^etre besoin de mes services. J’ai qualit'e pour me mettre `a votre disposition pleine et enti`ere. J’ai carte blanche pour m’entendre avec vous. Parlez, je vous 'ecoute, je suis `a vos ordres. Mon d'evouement vous est acquis.
Le diplomate se leva, alla s’assurer que nul n’'etait `a proximit'e de son cabinet, dans les couloirs ou galeries voisines. Il abaissa, par surcro^it de pr'ecautions, d’'epaisses tentures sur les portes, puis, approchant un fauteuil du sien, il y fit asseoir Juve :
— Consid'erez-vous, interrogea-t-il, cette affaire du Skobeleff comme 'etant grave ?
— Oui, monsieur l’Ambassadeur, tr`es grave.
— Monsieur Juve, poursuivit le diplomate, c’est encore plus grave que vous ne le supposez. Je vais tout vous dire, il le faut. Vous revenez de Monaco, n’est-ce pas ? vous savez donc que le grand-duc Alexandre se trouvait `a Monte-Carlo depuis une quinzaine de jours.
— Je le sais, monsieur.
— Le grand-duc Alexandre 'etait l`a-bas en mission secr`ete. Il r'edigeait, d’accord avec un repr'esentant du gouvernement britannique, une entente officieuse et formelle qui a 'et'e sign'ee voici quatre jours exactement. Cette entente lie deux puissances, l’Angleterre et la Russie, pour une 'eventualit'e dont je n’ai pas pour le moment `a vous pr'eciser le d'etail. Sachez simplement que ce document a 'et'e remis par le grand-duc au commandant du Skobeleff, ce document est contenu dans un portefeuille rouge scell'e et cadenass'e. Le portefeuille – j’en ai la certitude – a 'et'e plac'e `a bord du navire dans le coffre r'eserv'e du commandant. Le Skobeleff a recu aussit^ot l’ordre de quitter Monaco, de gagner les eaux finlandaises, et de croiser jusqu’au moment o`u il rencontrera le yacht imp'erial : le commandant doit remettre, en mains propres, `a Sa Majest'e l’Empereur, le portefeuille rouge contenant ce document. Or, vous pr'etendez que…
L’ambassadeur s’arr^eta net de parler. Il venait d’entendre un l'eger bruit dans le couloir voisin, il bondit `a la porte, l’ouvrit. Son visage renfrogn'e se transforma imm'ediatement, tant 'etait grand l’empire qu’il avait sur lui-m^eme. Il venait, en effet, d’apercevoir l’un de ses invit'es, M. Ellis Marshall visiblement 'egar'e dans le d'edale des appartements.
— Que cherchez-vous donc mon cher ami ?
— Le fumoir, dit l’Anglais en souriant, figurez-vous que je me suis perdu dans votre h^otel, je ne puis plus retrouver mon chemin.
L’ambassadeur appela un valet, fit reconduire son invit'e, lequel ajouta en s’'eloignant :
— Ces dames vous r'eclament au salon, mon cher ambassadeur. Savez-vous qu’il y a d'ej`a plus d’une demi-heure que vous ^etes absent. Vous leur manquez.
— Qu’on m’excuse, dit le diplomate, coupant court.
Les regards du policier s’'etaient crois'es avec ceux de l’invit'e 'egar'e du diplomate :
— Quel est donc ce monsieur ? demanda Juve.
— M. Ellis Marshall, baronnet, un riche Anglais.
— Bien, fit Juve, n’est-ce pas lui qui entoure de ses assiduit'es la princesse Sonia Danidoff ?
— On le dit, mais cela n’a aucune importance pour ce qui nous occupe.
— Qui sait ? murmura Juve.
L’ambassadeur avait repris :
— Si le Skobeleff d'esormais est command'e par un officier qui n’est pas Ivan Ivanovitch, – et nous en avons malheureusement la preuve, – c’est qu’'evidemment quelqu’un a eu connaissance de ce document secret, a voulu s’en emparer. Il ne faut pas, monsieur, que cet homme puisse quitter le bord du Skobeleff. Mieux vaut que le navire p'erisse avec tout son 'equipage, qu’une indiscr'etion qui pourrait avoir pour la paix les plus effroyables cons'equences.
— Comme vous y allez, Excellence. D’ailleurs, je ne suis pas de votre avis, pas tout `a fait du moins. Je crois, je veux croire que le personnage qui a pris la place du commandant Ivan Ivanovitch ignore l’existence de ce document, et que s’il est mont'e `a bord du Skobeleff, c’est pour se tirer d’une situation absolument inextricable sans autre issue que celle consistant `a se faire passer pour le commandant du Skobeleff ou tout au moins pour un officier autoris'e `a commander ce navire.
— Monsieur, peu importe, il faut que ce document nous revienne, il est indispensable que le portefeuille rouge soit rendu par mon interm'ediaire `a Sa Majest'e l’Empereur, il faut, par tous les moyens possibles, rejoindre le Skobeleff, reprendre ce qu’il contient. ^Etes-vous l’homme de cette mission ?
Une seconde d’h'esitation. Puis Juve r'epondit, cat'egorique :
— C’est une affaire entendue, monsieur, je m’efforcerai de rattraper ce document avant que le Skobeleff ait rejoint Sa Majest'e le Tsar.
— M^eme au prix des plus grands p'erils ?
— M^eme au prix des plus grands p'erils.
Les deux hommes 'echang`erent une chaleureuse poign'ee de mains.
Juve allait s’en aller, simple et calme comme `a son ordinaire, mais l’ambassadeur l’arr^eta :
— Un instant encore, monsieur.
— `A vos ordres.
— Il faut, poursuivit l’ambassadeur, que l’entretien que nous venons d’avoir soit `a la fois le premier et le dernier.
— Ah ?
— Une discr'etion absolue s’impose. Il faut un tiers entre nous, pour que nous puissions correspondre `a l’insu de tous. Lorsque vous aurez retrouv'e le portefeuille, – et je ne doute pas que vous n’y parveniez –, vous le remettrez `a quelqu’un que vous ne connaissez pas encore et dont voici le nom. C’est le lieutenant Prince Nikita, petit-cousin du Tsar. Vous le rencontrerez dans quatre jours, `a votre domicile `a Paris.
— C’est donc le d'elai que vous m’accordez, monsieur, pour retrouver le portefeuille ?
— Avec l’aide de Dieu, j’esp`ere que vous aurez r'eussi, ou sans cela…
— Sans cela ? fit Juve.
— Sur l’ic^one que vous voyez l`a, monsieur, je jure de prier le Ciel de toute la force de mon ^ame, et j’ai la foi que Dieu vous aidera `a r'eussir.
Quelques instants apr`es, Juve, descendait l’escalier.
— Le Ciel, grommelait-il, c’est parfait, sans doute, mais j’ai confiance 'egalement en mon revolver.
Et le policier caressait machinalement la crosse de son browning :
— Et dire que je n’ai pas pu leur annoncer `a l’un ou `a l’autre, ni `a M. Annion, ni `a l’ambassadeur extraordinaire, que le faux commandant du Skobeleff, que l’homme au sort duquel le portefeuille rouge est d'esormais li'e, n’est autre que le plus sinistre bandit que la terre ait jamais port'e, n’est autre que…
Cependant, l’ambassadeur n’avait pas encore regagn'e le salon de r'eception o`u se tenaient ses invit'es. Le diplomate, qui avait repris sa physionomie impassible et de morgue hautaine, venait de faire appeler son secr'etaire :