L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
Шрифт:
C’'etait le capitaine de vaisseau, comte Piotrowski, faisant fonction de commandant en second du Skobeleff.
Il arrivait le front soucieux, l’air grave.
— Eh bien, lieutenant Alexis, du nouveau ?
— Nullement.
— Vous connaissez les ordres de route ?
— R'edig'es par vous, je crois ?
— R'edig'es par moi, oui, lieutenant. Mais r'edig'es sous les ordres du nouveau commandant.
Et, tout comme le lieutenant Alexis, le comte Piotrowski prononcait si bizarrement ces mots : « Le nouveau commandant » que le m'edecin `a nouveau s’'etonna :
— Mais enfin, mon cher capitaine, faisait-il en se tournant vers le comte, m’expliquerez-vous ce que signifient ces paroles : Notre nouveau commandant ? Tous les officiers du bord disent cela. Le nouveau commandant. Voyons, que diable, vous semblez lui faire un grief, `a ce nouveau commandant, d’avoir remplac'e Ivan Ivanovitch ? Ce n’est pas sa faute, cependant ?
Le comte Piotrowski ne r'epondit pas.
Les trois officiers se trouvaient `a ce moment sur la passerelle de commandement du Skobeleff.
Des marins lavaient le pont `a grande eau, s’occupaient aux corv'ees du matin, astiquaient les cuivres sous la direction des quartiers-ma^itres, le sifflet d’argent aux l`evres.
Le navire, depuis son d'epart, avancait `a toute allure.
— Docteur, r'epondit enfin le capitaine d’une voix tremblante, qu’il paraissait vainement vouloir raffermir, docteur, savez-vous ce que c’est que la peur ?
— La peur ? certes ! Mais enfin, je ne vois pas en ce moment que vous puissiez, mon cher capitaine, conna^itre cet effroyable sentiment ?
— Vous ne voyez pas, docteur ? Vous avez tort. Tenez, tout est tranquille, n’est-ce pas, dans ce matin pur ? Eh bien, je vous le confesse, mon cher ami, j’ai tr`es peur.
La d'eclaration du comte Piotrowski 'etait si inattendue que le m'edecin voulut plaisanter :
— Vous avez la fi`evre, fit-il. De quoi auriez-vous peur, sans cela ?
— De tout et de rien.
— Vous avez peur de quoi ? Pr'ecisez ?
— Du nouveau commandant !
— Que lui reprochez-vous, `a la fin ?
— Je vous le r'ep`ete : tout et rien…
— Allons donc ? C’est en possession d’une r'eguli`ere commission que le nouveau commandant a pris possession de son poste.
Le commandant en second du Skobeleff se retourna brusquement pour r'epondre :
— Et si l’homme qui nous commande 'etait un imposteur ? Si sa commission n’'etait pas r'eguli`ere, que diriez-vous ? que penseriez-vous ?
L’officier venait de parler d’un ton si profond'ement 'emu que le m'edecin ne put s’emp^echer de tressaillir.
Certes, l’hypoth`ese que formulait le comte Piotrowski 'etait terrible, mais elle semblait parfaitement d'eraisonnable. Le m'edecin se tourna vers le lieutenant Alexis :
— Mon cher lieutenant, j’imagine que ma supposition de tout `a l’heure 'etait fond'ee. `A coup s^ur, le capitaine a la fi`evre. N’est-ce pas votre avis ?
Mais le lieutenant r'epondit s'erieusement :
— Docteur, il y a des moments o`u je me prends `a songer que notre capitaine pourrait avoir raison.
— Qui vous fait croire `a pareilles choses ?
Ce fut le comte Piotrowski qui interrompit le m'edecin :
— 'Ecoutez-moi, faisait-il, vous n’assistiez pas, docteur, au Conseil que nous avons tenu hier soir, au carr'e des officiers.
Par d'ef'erence pour le grade 'elev'e du commandant Piotrowski, le lieutenant Alexis avait fait mine de se retirer discr`etement, lorsque le comte le rappela :
— Restez donc, mon cher ami, vous n’^etes pas de trop. Donc, docteur, hier soir, au carr'e, sur un mot futile et bien par hasard, nous nous sommes mis, les uns et les autres, `a parler de notre actuel commandant. Mon cher ami, je ne vous cacherai pas que nous sommes tous tomb'es d’accord, tous, pour trouver que sa conduite 'etait 'etrange, surprenante, inqui'etante. Je vous disais tout `a l’heure que je me demandais si notre commandant n’'etait pas un imposteur, nous nous sommes pos'e la question, hier.
— Mais, mon cher capitaine, vous avez, je suppose, des motifs pour inventer une chose si grave ?
— Eh docteur, nous n’inventons rien. Rappelez-vous. `A peine rendu `a bord, d'eclarait l’officier, le commandant nous a r'eunis pour nous donner lecture de sa commission le nommant au poste d’Ivan Ivanovitch. Il nous a confirm'e que le Skobeleff qui levait l’ancre devait imm'ediatement, et sans escale pr'ealable, rejoindre l’escadre imp'eriale dans la Baltique. Jusque-l`a, rien d’anormal.
— Et depuis ?
— Depuis, mon cher m'edecin, mais depuis pas un de nous, pas un, n’a vu le commandant du Skobeleff. Ce n’est pas tout. Rappelez-vous, par exemple, l’extraordinaire affaire du salut donn'e `a Gibraltar…
— Je n’ai rien su au juste.
— `A peine 'etions-nous en vue du fort que je faisais demander au commandant des ordres pour la salve `a tirer. Savez-vous ce qu’il m’a r'epondu ?…
— Vous exag'erez.
— Voulez-vous d’autres d'etails ? Dois-je vous rappeler qu’il n’a point paru une seule fois, le matin sur cette passerelle, pour saluer notre drapeau ? Dois-je vous r'ep'eter la conversation que nous avons eue hier soir, lui et moi ?
— Vous l’avez donc vu ?
— Pas m^eme. J’ai d^u lui parler `a travers la porte.
— Que vous a-t-il dit ?
— Le lieutenant Alexis pourrait vous r'ep'eter ses paroles comme moi. Il m’accompagnait, cher docteur. D’ailleurs voici notre entretien : je venais aviser le commandant des comptes de l’officier-charbonnier. Nos soutes sont aux deux tiers vides, car depuis Monaco nous marchons `a toute allure, et je venais demander si nous devions faire rel^ache `a Brest, ou ailleurs.