La main coup?e (Отрезанная рука)
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— L`a, d'eclara Juve, tu vois bien, Fandor, que je n’ait pas r^ev'e ? il a pass'e ici. Ivan Ivanovitch a bien pass'e par la galerie Nord.
— Par la galerie Sud.
Encore une minute, Juve et Fandor se consid'er`erent interdits, n’osant ajouter un mot.
Ce fut Fandor qui, avec un geste d’affolement, essaya de sortir de l’'epouvantable myst`ere.
Dans la foule, toujours 'enorme, qui se pressait dans la galerie Nord, Fandor venait d’apercevoir l’officier russe :
— Ivan Ivanovitch ? hurla le journaliste par piti'e, deux mots ?
Le ton du jeune homme 'etait si boulevers'e que le commandant du Skobeleffse pr'ecipita `a son appel.
— Qu’y a-t-il ?
Mais avant que Fandor ait eu le temps de l’interroger, Juve intervenait :
— Mon commandant, questionna Juve, o`u 'etiez-vous tout `a l’heure ? comment ^etes-vous venu ici ?
— Comment, o`u j’'etais ? je ne vous comprends pas, monsieur ?
— N’importe ! Je vous en supplie. R'epondez-moi.
— Mais votre ami a d^u vous le dire.
— Comment ? Pourquoi ?
— Dame, j’'etais avec lui.
— Vous 'etiez avec Fandor ?
— Mais oui.
— Vous n’^etes pas venu par la galerie Nord ?
— Non, je n’ai pas quitt'e la galerie Sud.
L’officier semblait de plus en plus 'etonn'e.
— Juve, vous le voyez bien ? Ce n’est pas moi qui le lui ai fait dire ? C’est vous qui vous ^etes tromp'e.
Mais Juve secoua lentement la t^ete. Se tromper ?
Croire qu’il s’'etait tromp'e ?
Non, Juve ne pouvait pas l’admettre.
Cela, c’'etait impossible. Ce n’'etait pas `a lui qu’il fallait imputer pareille m'eprise. Il avait bien vu Ivan Ivanovitch dans la galerie Nord et, quoi qu’en dise Fandor et quoi qu’en dise Ivan Ivanovitch lui-m^eme, il 'etait certain que c’'etait dans la galerie Nord que l’officier se trouvait. Que croire, alors ? Que soupconner ?
19 – PRISONNIER DE FANDOR
M'elancolique et troubl'e, Fandor se promenait sur la c^ote, dans le noir.
Il 'etait une heure avanc'ee de la nuit, mais le journaliste, malgr'e sa fatigue, eu 'egard aux 'emotions qu’il venait de vivre en d'ecouvrant, avec Juve, la myst'erieuse mort du caissier Louis Meynan, n’'eprouvait aucune envie d’aller se coucher. Bien au contraire, il sentait, qu’en d'epit de sa lassitude, son cerveau ne pourrait cesser de travailler.
Brusquement, apr`es sa derni`ere altercation avec Juve, il l’avait quitt'e, il 'etait parti.
Fandor allait au hasard dans la nuit sombre et en proie `a une agitation f'ebrile, il monologuait :
— Oui, il n’y a plus de doute possible. Juve est un homme fini, perdu. Il n’a plus de conscience, il ne sait plus discerner le bien du mal. Juve est perdu. Il ment. Il m’a menti, il m’a menti, `a moi Fandor.
Le journaliste se tordait les mains :
— C’est inou"i, 'epouvantable, reprenait-il, c’est `a ne pas le croire, c’est `a se demander si je ne me trompe pas moi-m^eme, tellement la chose est invraisemblable, elle est indiscutable, cependant. Alors que j’'etais avec Ivan Ivanovitch, ce que je sais, ce dont je suis s^ur, Juve pr'etend l’avoir vu lui aussi, au m^eme instant et dans un endroit diam'etralement oppos'e. Que cache cette affirmation mensong`ere, pourquoi Juve a-t-il parl'e de la sorte ?
Fandor, en cheminant, sans se rendre compte de la route qu’il suivait, 'etait descendu jusqu’au port, puis il avait suivi la c^ote `a l’ouest, s’avancant par une route escarp'ee en direction du promontoire.
Il commencait `a pleuvoir, la mer assez forte et secou'ee par le vent qui venait du large, envoyait de gros paquets d’eau sur la rive et Fandor, de temps `a autre, recevait la gifle humide des embruns.
Le jeune homme 'etait trop boulevers'e pour pr^eter la moindre attention `a la temp'erature ext'erieure, malgr'e le froid de la nuit pluvieuse, le sang lui battait aux tempes, il 'eprouvait sans cesse le besoin de s’'eponger le front.
Fandor, toutefois, c'edant `a la prostration, se laissa tomber dans un creux de roche et demeura songeur, la t^ete entre les mains.
Par moments, la rafale se calmait et au grondement de la mer succ'edait le bruit monotone et uniforme d’une vague venant mourir au pied des r'ecifs.
`A ce bruit, que le journaliste identifiait ais'ement, se m^elait toutefois, de temps `a autre, un bruit diff'erent, plus net, plus bref, plus cat'egorique, plus difficile aussi `a d'eterminer.
Instinctivement, Fandor pr^etait l’oreille car, malgr'e tout, sa curiosit'e 'etait toujours en 'eveil et il avait une telle habitude de se demander le pourquoi des choses que le moindre d'etail, le moindre incident aux apparences anormales ne pouvait passer pour lui inapercu.
Fandor, en regardant dans la direction d’o`u venait le bruit, apercut, au-dessous de lui, au pied de la falaise, au ras de la mer, une masse sombre qui s’avancait avec pr'ecaution.
Puis il entendait encore le bruit de quelque chose qui tombe `a l’eau, puis la masse sombre rebroussa chemin, sembla revenir sur ses pas.
— Quelque douanier, pensa Fandor, qui surveille les abords de la c^ote, ou peut-^etre alors un contrebandier qui s’efforce de d'ebarquer des marchandises prohib'ees en profitant de ce mauvais temps.
Le journaliste, machinalement, descendit le long de la falaise, heureux de distraire son esprit du souci qui le torturait et d'esireux d’apprendre quelque chose de nouveau.
`A peine 'etait-il arriv'e dans le voisinage de la masse sombre que celle-ci bondit en arri`ere.
Fandor, gr^ace au d'echirement qui se produisait dans un nuage et permettait `a un reflet de lune d’'eclairer un instant l’endroit o`u il se trouvait, 'etouffa un cri de surprise.
Non seulement il venait de voir que la masse sombre n’'etait autre qu’un homme, mais cet homme, Fandor l’avait reconnu, c’'etait le chemineau Bouzille qui, vraisemblablement, devait encore se livrer `a quelque louche combinaison.