La main coup?e (Отрезанная рука)
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Juve avait les traits tir'es, semblait d’une humeur massacrante, Fandor se rongeait les ongles jusqu’au sang.
— C’est plus que de la sottise, grognait Juve, c’est de l’incoh'erence, presque de la trahison.
— Juve, vous employez des mots qui ne traduisent pas votre pens'ee.
— Prends-les comme tu voudras, r'epliqua le policier, lorsqu’on tient `a sa merci quelqu’un comme la fille de Fant^omas, on ne se laisse pas berner par un regard de ses beaux yeux, on l’empoigne, on l’am`ene de gr'e ou de force. La gaillarde est tr`es forte. Elle t’a roul'e.
Fandor n’avouait pas qu’au sortir de la maison H'eberlauf il avait 'eprouv'e un instant, lui aussi, la crainte d’^etre dup'e par la fille de Fant^omas.
Mais il s’'etait ravis'e aussit^ot, il connaissait le caract`ere intransigeant, net, cat'egorique et profond'ement honn^ete de l’enfant du bandit et il savait que ses grands yeux ne mentaient pas.
Fandor r'epondit :
— Je ne suis ni une brute, ni un malotru, Juve, mais j’'etais chez elle, je ne pouvais rien.
— Il fallait l’empoigner tout de m^eme, on se serait expliqu'e ensuite.
— Juve, vous raisonnez comme un argousin.
— Toi, Fandor, tu te conduis comme un imb'ecile.
Les deux hommes, un instant, se regard`erent avec des yeux charg'es de col`ere, puis le silence reprit. Il plana longtemps sur eux, sans que les deux amis fassent quoi que ce soit pour le rompre. La rage, en effet, bouillonnait dans leur coeur.
— Juve, appela enfin Fandor.
— Quoi ?
Le journaliste poursuivit perfidement :
— Rien ne vous emp^eche, si le coeur vous en dit, de courir apr`es la fille de Fant^omas, de vous lancer `a sa poursuite, de faire arr^eter l’officier. Vous avez eu toute la nuit et la matin'ee pour vous en pr'eoccuper. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
Juve bl^emit :
— Si je ne l’ai pas fait, c’est parce que je ne l’ai pas voulu. Libre `a moi d’occuper mon temps comme il me pla^it.
— Libre `a vous, surtout, Juve, interrompit Fandor, de courtiser la dame de pique.
— Cela vaut peut-^etre mieux que de se laisser berner par la dame de coeur.
Juve, en effet, tandis que Fandor 'etait all'e voir la fille de Fant^omas, 'etait rest'e au Casino. D’abord, il avait jou'e `a la roulette pour s’efforcer d’'etudier les tricheries possibles, pour savoir si quelque nouvelle combinaison de son 'enigmatique adversaire n’allait pas lui permettre de d'ecouvrir les complots ourdis contre le Casino. Mais Juve, s’il avait 'et'e de bonne foi, aurait certainement reconnu que c’'etait l`a un pr'etexte. Juve avait jou'e parce qu’il devenait joueur. Parce qu’il 'etait pris dans l’engrenage, parce que, malgr'e lui, lorsqu’il entendait le bruissement des pi`eces d’or sur les tapis verts des roulettes ou du trente et quarante, il 'eprouvait comme un vertige, comme un besoin, de tenter, lui aussi, la chance et cela, non pas uniquement par cupidit'e ou par avarice, par d'esir de gagner de l’argent, mais pour le plaisir, pour le charme, pour la jouissance du jeu en soi. Or, cette nuit-l`a, jusqu’`a l’aube, Juve avait jou'e la petite fortune que le Casino lui avait octroy'ee g'en'ereusement la veille au soir, pour le r'ecompenser de sa d'ecouverte du truquage de la roulette. Et voici que Juve avait tout perdu et c’est `a peine s’il lui restait un peu de menue monnaie.
Apr`es s’^etre invectiv'es durement, les deux hommes se regard`erent avec des yeux charg'es de haine :
— Juve.
— Fandor.
— Retirez ce que vous venez de dire ?
— Retire toi-m^eme, je ne commencerai pas.
Les deux amis qui, jusqu’alors avaient v'ecu dans une parfaite communion de pens'ee, se tourn`erent le dos.
Juve prit son chapeau et, sans un regard pour Fandor, il quitta leur chambre.
Fandor s’habilla 'egalement pour sortir. Il descendit sur les pas de Juve, puis, lorsqu’ils furent parvenus dans la rue, tandis que l’un tournait `a droite, l’autre tournait `a gauche. Juve et Fandor 'etaient brouill'es.
Si telle 'etait la solution qu’avait r^ev'ee Fant^omas, – en admettant que ce f^ut lui l’auteur de tous ces myst'erieux crimes, – il avait fait un coup de ma^itre en attirant `a Monaco, Juve et Fandor.
17 – `A L’ENTR'EE DES COFFRES-FORTS
Par la route sinueuse qui m`ene au col de la Turbie, un couple cheminait lentement sous la morsure du soleil.
Ce couple, un homme et une femme, se tenait par le bras. Ils se serraient de pr`es, ils 'echangeaient des mots tendres.
Parfois, ils arr^etaient leur ascension et se retournaient pour contempler derri`ere eux le superbe panorama du Rocher de Monaco dont les constructions pittoresques et vari'ees s’'etageaient en-dessous d’eux et derri`ere lequel, `a l’horizon, s’'etendait comme en nappe d’azur, les flots de la M'editerran'ee.
— Que c’est beau, comme l’on voudrait vivre ici, disait la femme, `a quoi l’homme r'epondait, plus froid :
— Bah, c’est toujours la m^eme chose, il n’est pas mauvais de voir du pays.
— Louis, interrogea alors la promeneuse, auriez-vous quelques soucis ?
— Je m’ennuie, voil`a tout, r'epondit Louis Meynan, le caissier du Cercle de Monaco, j’en ai assez de cette existence.
Isabelle de Guerray eut un sourire de ravissement. Elle consid'era avec une douceur attendrie le visage du jeune homme :
— Tout cela changera bient^ot, mon ami, murmura-t-elle, lorsque nous serons mari'es.
Puis elle ajoutait, c^aline :
— Nous irons o`u vous voudrez, o`u tu voudras, selon ton gr'e, l’un `a l’autre, 'etroitement unis.
— Vous ^etes bien po'etique, aujourd’hui, ma ch`ere Isabelle.
Et Isabelle, rappel'ee `a l’ordre, se tut.
Elle avait cru r'ealiser son r^eve : se marier, conqu'erir la respectabilit'e qui lui faisait envie. Ce r^eve s’appelait Louis Meynan.
Mais tout `a coup, les choses s’'etaient g^at'ees. Si le caissier du Casino acceptait tacitement de vivre d’une fortune gagn'ee il ne voulait pas savoir comment, il s’affolait en revanche `a l’id'ee que sa future 'epouse p^ut ^etre compromise dans une affaire judiciaire. Or il y avait cette main de mort qui portait l’anneau offert `a l’un des amants d’Isabelle.
La rupture avait failli se produire.
Isabelle de Guerray avait r'esolu d’en avoir le coeur net.
Pr'ecis'ement Louis Meynan 'etait libre jusqu’`a sept heures du soir. Ils s’expliqueraient au cours d’une promenade en t^ete `a t^ete.
Ils 'etaient partis `a pied dans la direction de la Turbie.
Apr`es une demi-heure de silence, pendant laquelle les deux fianc'es avaient r'efl'echi sur tous ces 'ev'enements et envisag'e diverses solutions, Isabelle de Guerray prit la parole :