La main coup?e (Отрезанная рука)
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— Toutefois, continuait alors le croupier Maurice, il faut bien convenir que l’horizontalit'e des tables est absolument parfaite, quand on les installe et qu’on ne peut pas admettre qu’elle soit truqu'ee.
— Pourquoi cela, s’il vous pla^it ?
— Mais, monsieur Juve, parce que si un truquage de cette nature avait lieu, ce ne serait pas de temps en temps que sortirait tel num'ero, mais perp'etuellement. Jamais un autre num'ero ne sortirait. Un tel truquage serait si 'evident que, certainement, on s’en apercevrait tout de suite et… en tout cas, ce n’est pas ce qui s’est produit cette fois, car, vous en avez 'et'e t'emoin, monsieur, m^eme ce soir, o`u le 7 est sorti avec une fr'equence invraisemblable, d’autres num'eros sont aussi sortis par moments. Donc…
Juve, cette fois, rit franchement.
— Allons, dit-il, ceci n’est pas si mal raisonn'e. Mais vous vous h^atez de conclure, mon ami. D’ailleurs, vous allez voir.
Juve se rapprocha de la table de roulette, appuya les deux mains sur le bord, fait d’acajou massif, puis l`a, tranquillement, comme un professeur parlant `a ses 'el`eves, expliqua :
— Messieurs, ce que l’on vient de vous dire est parfaitement exact. C’est en effet par l’horizontalit'e de la table qu’il faut chercher `a expliquer le truquage. Mais, d’autre part, on vous l’a dit, cette horizontalit'e de la table d'etruite par moments, lorsque le 7 sortait, 'etait certainement bonne, correcte, lorsque le 7 ne sortait pas. Alors ?
Fandor qui, jusque-l`a, n’avait rien dit, r'epondit avec son imp'etuosit'e naturelle :
— Parbleu, cette horizontalit'e peut varier `a volont'e ? De temps en temps elle est absolue et de temps en temps elle ne l’est pas.
— Tr`es bien, Fandor, c’est bien ca.
— Mais c’est impossible, s’exclama M. de Vaugreland. Comment voulez-vous que pendant une partie, et cela sans que personne s’en apercoive, on puisse faire pencher m^eme d’un quart de millim`etre cette table de roulette ? Si c’est cela que vous avez cru voir, monsieur Juve, vous vous ^etes tromp'e.
— Non, monsieur. D’abord, je vous disais qu’il suffisait d’une tr`es minime variation dans le plan horizontal pour que le truquage produise son effet. Je me h^ate d’ajouter que cette variation 'etait si minime, ce soir, qu’elle 'etait absolument imperceptible aux sens. On ne pouvait pas se rendre compte que la table de roulette bougeait.
— Alors, comment l’avez-vous vu ?
— Gr^ace `a un proc'ed'e tr`es simple.
Juve tira de son gousset le lorgnon emprunt'e `a Fandor.
— J’ai vu la table bouger, d'eclara Juve, gr^ace `a ce lorgnon noir.
Juve poursuivit malgr'e les sourires :
— Soupconnant le truc, messieurs, j’ai eu en effet l’id'ee de poser devant moi ce lorgnon et de regarder sur la muraille, bien en face, la tache lumineuse que produisait naturellement son reflet. Qui de nous, ne s’est amus'e, `a faire ainsi voyager sur un mur, avec une rapidit'e tenant du prodige, une tache lumineuse ? Messieurs, le lorgnon plac'e sur la table de jeu envoyait sur le mur un petit reflet. Si la table bougeait, mon lorgnon bougeait, le reflet bougeait aussi. Maintenant, et ceci est de la plus grande importance, je pense que je n’ai pas besoin de vous faire remarquer l’int'er^et du proc'ed'e employ'e et de vous souligner qu’'etant donn'ee la grande distance s'eparant le reflet du lorgnon, le lorgnon pouvait ne bouger que d’une mani`ere imperceptible, le reflet ne s’en d'eplacait pas moins de facon appr'eciable.
— Et c’est ainsi que…
— Oui, monsieur de Vaugreland, c’est ainsi. J’ai vu distinctement `a chacun des coups o`u le 7 sortait que le reflet lumineux que je guettais se promenait sur la muraille, quittait sa place, allait atteindre un point o`u il restait jusqu’au moment o`u le croupier annoncait le num'ero gagnant, puis, lentement, la table revenait `a son point de d'epart.
— Mais, encore une fois, comment ?
— Oh, il y a cinquante mani`eres. Tenez, monsieur, le 7 'etant plac'e comme il l’est, il faut conclure que le m'ecanisme ing'enieux qui soulevait la table de roulette 'etait plac'e de l’autre c^ot'e. C’est-`a-dire en face de moi. Faites soulever une des lames du parquet, vous allez trouver sous elle, j’imagine, une petite vessie en caoutchouc. Supposez qu’`a cette vessie aboutisse un tuyau courant sous le plancher et allant affleurer par exemple, pr`es d’un canap'e ou d’un si`ege `a poste fixe. Supposez maintenant qu’une personne voulant tricher fasse ceci : qu’elle s’assoie sur le si`ege dont je vous parlais, que, n'egligemment et n’ayant l’air de rien, elle place une canne creuse sur l’orifice du petit tuyau. En un geste fatigu'e cette m^eme personne appuie sa t^ete sur sa canne et de la sorte, la communication 'etant faite elle souffle dans le tuyau et gonfle la poire. N’est-il pas clair qu’alors la poire occupant plus de place soul`evera la table de roulette, fera sortir le 7. Et cela `a volont'e ?
L’explication que donnait Juve de l’extraordinaire fr'equence avec laquelle le 7 sortait depuis quelques jours, cette explication qui rappelait dans tous ses d'etails la plaisanterie connue de tous du
— Si ce que vous me dites est vrai, monsieur, s’exclama M. de Vaugreland, si c’'etait ainsi qu’on truquait la roulette il faut avouer que nous vous devrons une grande reconnaissance pour votre enqu^ete. Non, jamais, jamais je n’aurai invent'e, devin'e pareille chose. Mais je vous avoue que maintenant encore…
— Vous ne me croyez pas ? concluait Juve. Eh bien, v'erifiez.
… On souleva une lame de parquet et tr`es exactement, comme l’avait annonc'e Juve on trouva une mince poche de caoutchouc `a laquelle aboutissait un tuyau fort long qui, courant sous le plancher aboutissait `a quelque distance d’un grand canap'e, o`u malheureusement, pendant toute la soir'ee s’'etait assis un si grand nombre de personnes qu’il 'etait bien difficile d`es lors de deviner laquelle d’entre elles aurait pu truquer la roulette.
***
— Juve ?
— Eh bien, Fandor ?
— Savez-vous, vous les avez litt'eralement ahuris ? savez-vous que les voil`a tous persuad'es que vous ^etes un peu sorcier ?
— Et apr`es ?
— Eh bien, Juve, apr`es, savez-vous que si j’'etais `a leur place, `a ces braves gens de la direction, en pr'esence de la merveilleuse d'ecouverte que vous venez de faire, de ce truquage ing'enieux, si j’'etais `a leur place, dis-je, c’est vous que j’accuserais d’avoir trich'e.
Mais Juve 'eclata d’un large rire, haussa les 'epaules, satisfait et l’air gonfl'e d’importance.
Lui et Fandor se trouvaient dans le restaurant ultra 'el'egant de Monaco. Ils venaient d’achever un bon souper et en 'etaient au champagne.
— Bah, fit Juve, tu exag`eres, Fandor… D’abord le sept gagnait avant mon arriv'ee `a Monte-Carlo, ce qui m’innocente. Et ensuite, si, vraiment c’'etait moi qui avais truqu'e toute cette affaire, tu avoueras que j’aurais 'et'e bien sot au moment o`u j’ai renvoy'e aux croupiers tout ce que j’avais gagn'e ce soir m^eme ?