La main coup?e (Отрезанная рука)
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Dix minutes plus tard, Juve et Fandor qui, d’ailleurs, avaient compl`etement oubli'e les propos de Bouzille et s’'etaient replong'es dans l’examen des deux mains, ne furent pas peu surpris d’entendre frapper `a la porte.
— Tiens, murmura Fandor, est-ce que ce serait le visiteur annonc'e par notre coll`egue ?
Le journaliste n’eut pas le temps d’achever.
`A peine avait-il ouvert, qu’un visage passait par l’entreb^aillement de la porte, celui d’un homme riant d’un large rire et d'eclarant le plus tranquillement du monde, avec un fort accent marseillais, en apercevant les restes anatomiques sur la table :
— Eh, les voil`a, les belles petites.
— Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ? Entrez donc.
L’homme entra, et toujours avec le m^eme accent :
— Ce que je dis ? t'e, mais je dis que les voil`a, les belles petites.
Or, pendant qu’il parlait, Juve et Fandor, interloqu'es, le consid'eraient, ne sachant que penser.
L’homme qu’ils avaient devant eux portait sur la t^ete un gigantesque chapeau de paille, nou'e sous le menton par un large ruban noir. Il 'etait v^etu d’un costume `a peu pr`es propre, d’alpaga gris. Mais ce n’'etait pas la mise ou le costume de l’individu qui frappait Fandor et Juve.
Ce qui les laissait tous deux interdits, c’est que le bonhomme 'etait manchot, manchot des deux bras. Que voulait dire l’arriv'ee de ce manchot double ?
Pourquoi manifestait-il si peu de surprise en apercevant les deux mains 'etal'ees sur la table devant Juve ?
Le policier interrogea d’une voix l'eg`erement 'emue :
— Ah ca, qui ^etes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ?
— Qui je suis ? T'e, je suis Fortun'e. Fortun'e d’Agen ? Le gros Fortun'e ? Vous savez bien ?
— Non, je ne sais pas, affirma Juve, cependant que Fandor demandait :
— Mais qu’est-ce que vous d'esirez au juste ?
— Sang de Dieu, je viens les reconna^itre.
— Qui ?
— Mais les belles petites. Mes mains, t'e.
— Ce sont vos mains ?
— Eh oui, t'e, parbleu, ce sont mes mains. Ah, les couquinas, cela me fait plaisir de les revoir, mais tout de m^eme je ne pensais pas. Et comme ca, qu’est-ce que vous en faites donc, de mes mains ?
— Cher monsieur, commencait Juve, faisant signe `a Fandor de se taire et de ne point l’interrompre, vous ^etes ici en face de deux repr'esentants de la police.
— De la police ? t'e, mais je n’ai rien `a faire avec la police.
— Non, mais vos mains.
— Mes mains non plus. Je ne sais pas ce qu’elles ont fait depuis que j’en suis s'epar'e, moi.
— Justement… depuis combien de temps en ^etes-vous
— Il y a bient^ot deux mois et demi qu’on me les a coup'ees.
— On vous les a coup'ees ? Qui ? O`u ? Quand ?
— Eh l`a, bon Dious, pas si vite. Qui me les a coup'ees ? Le chirurgien bien s^ur, ce n’est pas le tondeur de chiens. Le chirurgien de l’h^opital de Nice… Quand il m’est arriv'e mon « assideng ».
— Quel accident ?
— T'e, que j’ai 'et'e mordu par une vip`ere. Si bien que le mal m’avait fait enfler les deux bras et qu’il a fallu qu’on me les coupe. Mais Bouzille le sait bien. Il ne vous l’a pas dit ?
— C’est Bouzille qui vous envoie ?
— Oui, c’est Bouzille qui m’envoie. Ah ! le cher homme il m’a dit comme cela : « J’ai deux amis, t'e, qui voudraient te demander des d'etails sur tes mains, et puis ce sera une occasion pour toi de les revoir… » C’est pourquoi je suis venu ici.
— Mais o`u 'etaient-elles, vos mains ?
— Comment, o`u elles 'etaient ? T'e, elles 'etaient au bout de mes bras avant qu’on me les ait coup'ees.
— Je le pense bien, faisait Juve, mais apr`es ?
— Apr`es ? Je ne sais pas, moi. Ils les avaient gard'ees `a l’h^opital. M^eme je ne m’attendais pas `a les revoir.
***
Juve et Fandor, longuement, avaient questionn'e l’excellent homme, que Bouzille, bavard comme une concierge, curieux comme une vieille femme, connaissait depuis longtemps, qu’il avait eu l’ing'enieuse id'ee d’envoyer `a Juve et `a Fandor d`es qu’il avait appris que le journaliste et le policier enqu^etaient au sujet de mains de mort.
Juve, petit `a petit et bien qu’il ne f^ut gu`ere commode de faire pr'eciser quoi que ce f^ut `a Fortun'e, 'etait arriv'e `a comprendre `a peu pr`es que c’'etaient bien les mains amput'ees par le chirurgien, `a Nice, qui avaient 'et'e retrouv'ees, l’une dans l’aiguillage d’Arles, l’autre au Casino de Monte-Carlo.
C’'etait bien un proc'ed'e « `a la Fant^omas », un proc'ed'e digne du Roi de l’'Epouvante, que de voler des mains de mort et de les faire retrouver par Juve et par Fandor, pour les d'etourner, bien s^ur, de l’enqu^ete principale qu’ils menaient.
— Mon petit Fandor, avait conclu Juve, comme Fortun'e les quittait pour aller boire `a leur sant'e au caf'e voisin, voil`a l’aventure des mains termin'ee et gr^ace `a Bouzille, il faut le reconna^itre, compl`etement 'eclaircie. Fant^omas n’a eu qu’un but : embrouiller l’enqu^ete que nous faisions relativement `a la mort de Norbert. Peu importe le reste. Nous n’avons plus qu’`a reprendre notre enqu^ete relativement `a la mort de ce malheureux jeune homme, nous n’avons plus qu’`a poursuivre son assassin.