La main coup?e (Отрезанная рука)
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— Parfaitement, monsieur Jouve, parfaitement, approuva l’Italien, c’est tout `a fait exactement cela. Io 'etais fripouille et io souis honn^ete houmme.
— Non, corrigea Juve, c’est le contraire, mais peu importe pour le moment. 'Ecoute Mario Isolino, j’ai une proposition `a te faire. Si tu consens `a m’ob'eir, `a faire exactement ce que je te dis et cela seulement pendant quarante-huit heures, je m’arrangerai pour avoir l’extr^eme n'egligence, d`es le troisi`eme jour, de te perdre au coin d’une rue et de ne pas te retrouver.
— C’est entendou, monsieur Jouve, clama le bonneteur, dont le visage s’illumina de joie. Vous pouvez compter sur ma parole d’honn^ete houomme.
Juve, avec une pr'ecision extr^eme et une parfaite nettet'e, expliqua `a l’ancien croupier ce qu’il attendait de lui.
— Mario Isolino, d'eclara-t-il, il se passe des choses peu compr'ehensibles dans la salle de jeu de Monte-Carlo, particuli`erement `a la table num'ero 7 de la roulette. Je veux savoir si l’on triche et qui triche. Ta comp'etence particuli`ere en la mati`ere – puisque tu as 'et'e croupier de cercle – ton habilet'e de prestidigitateur doivent te permettre de d'ecouvrir le moindre geste suspect. Tu vas venir au Casino avec nous cet apr`es-midi, tu surveilleras.
— Ah monsieur Jouve, monsieur Jouve, s’'ecria le bonneteur en se jetant aux genoux du policier, assour'ement c’est la Madone qui vous envoie sur mon chemin pour me tirer d’affaire. Io m’en vais r'eussir assour'ement `a d'ecouvrir ce que vous cherchez. Croyez bien monsieur Jouve, que j’appr'ecie vivement le grand honneur que vous me faites de m’introduire dans la police.
— Minute, il ne s’agit pas de jouer au plus malin. Si tu as le malheur de nous d'esob'eir, au moindre mot, au moindre geste, tu es boucl'e, ficel'e, comme hier soir. `A la moindre r'esistance, on a douze balles de revolver `a ta disposition, six provenant du browning de Juve et six provenant du browning de Fandor.
— Io comprends, dit Mario Isolino, monsieur Jouve, comptez sur moi.
— Un mot encore, fit le policier, je ne sais si tu as de l’argent, mais ne t’avise pas de jouer lorsque tu seras `a ton poste `a la roulette. Sans quoi je ne r'eponds plus de rien.
***
`A six heures la partie battait son plein.
La foule plus nombreuse encore qu’`a l’ordinaire dans la salle surchauff'ee, murmure confus de respirations haletantes, bruissements de pi`eces d’or glissant les unes sur les autres, billets de banque froiss'es, voix monotones des croupiers annoncant :
— Faites vos jeux, messieurs, Rien ne va plus.
Galopade des billes sur la roulette, arr^et, et le directeur de la partie annonca un chiffre, pair, manque et rouge ou impair, noir et passe. Murmures de satisfaction ou de d'esappointement.
`A la septi`eme table de la roulette, depuis l’assassinat encore inexpliqu'e du malheureux Norbert du Rand, nul n’osait plus jouer le num'ero sept.
Juve et Fandor erraient, impassibles, dans les salles brillamment illumin'ees.
Le bonneteur, assis au premier rang de la table num'ero 7 leur lancait des coups d’oeil signifiant qu’il ne d'ecouvrait rien qui ne f^ut parfaitement normal.
Juve avait apercu, traversant la salle, M. de Vaugreland, l’air satisfait, le sourire sur les l`evres.
Le journaliste venait de constater la pr'esence de l’officier russe, `a la table num'ero 7, pr'ecis'ement, Fandor allait alors prendre Juve par le bras, mais au moment o`u les deux hommes tournaient le dos `a la table, une exclamation g'en'erale pouss'ee par les joueurs qui l’entouraient les firent se retourner brusquement.
Pour la premi`ere fois depuis le commencement de la partie, depuis trois heures que cette table de jeu fonctionnait sans un instant d’interruption, quelqu’un avait mis'e sur le num'ero fatidique. Un ignorant, ou un audacieux, avait jou'e le sept.
Le parieur avait mis cinq cents francs sur la chance du chiffre fatal.
Quel pouvait bien ^etre ce parieur ?
Juve et Fandor se regard`erent du coin de l’oeil. Et le policier, qui venait `a ce moment pr'ecis d’apercevoir Ivan Ivanovitch, glissa `a l’oreille de Fandor :
— Je parie que c’est ton commandant qui vient de faire le coup.
Fandor hocha la t^ete, une fois encore il devait donner un d'ementi `a Juve, mais il le fit en toute sinc'erit'e.
Depuis quelques instants d'ej`a il observait l’officier, il avait la certitude que ca n’'etait pas lui qui avait pont'e sur le sept.
Les autres num'eros se couvrirent rapidement, les parieurs semblaient mettre une ardeur f'ebrile `a jouer contre le chiffre fatidique. Et les petites cases du tapis vert se garnissaient comme par enchantement de billets et de pi`eces d’or.
— Rien ne va plus, dit le directeur du jeu.
Puis ce fut le silence pendant tout le temps de la course saccad'ee de la bille rebondissant `a contresens sur le plateau de la roulette. Une entente parut alors intervenir entre la bille et les alv'eoles. L’ardeur du d'ebut, la rapidit'e des mouvements s’att'enuaient. La bille, conform'ement `a son habitude, s’introduisait dans une petite case, en ressortait pr'ecipitamment, rentrait dans une autre qu’elle abandonnait encore. Elle sortait avec un peu plus de nonchalance d’un troisi`eme alv'eole. Et au fur et `a mesure que diminuait la vitesse de ses mouvements, que sa marche devenait h'esitante, s’augmentaient les 'emotions du public. La premi`ere, une vieille dame poussa un cri d’une voix chevrotante, cependant que des grognements gutturaux s’'echappaient de la poitrine de deux gros Turcs `a face jaune. Enfin, une clameur qui couvrit la voix du croupier, c’est `a peine si on entendit annoncer le num'ero gagnant : c’'etait le sept. Pour la premi`ere fois, on avait mis'e sur le sept, et le sept avait gagn'e. Le garcon de caisse envoyait avec son r^ateau une pile 'enorme d’or repr'esentant trente-cinq fois la mise. Qui donc allait ramasser cette fortune ? Tous les yeux se tournaient anxieusement vers le point du tapis vert o`u les louis 'etaient accumul'es. La stup'efaction s’augmenta encore : une l'eg`ere bousculade se produisait et on vit successivement deux mains s’abattre sur le tas d’or vers lequel se penchaient curieusement plusieurs personnes. Deux joueurs allaient-ils donc r'eclamer la propri'et'e du tr'esor ?
Ce mouvement durait un quart de seconde.
Juve et Fandor le remarqu`erent, mais `a ce moment m^eme un double cri d’horreur s’'echappait de leurs poitrines, r'ep'et'e une seconde ensuite par tous les t'emoins du fait invraisemblable qui venait de se produire, en l’espace d’un 'eclair. Une premi`ere main, une main blanche, sortie, semblait-il, de dessous une p`elerine noire, s’'etait abattue sur l’or, suivie d’une autre qui 'etait celle du bonneteur Mario Isolino. L’Italien, pouss'e par la passion du jeu, incapable de r'esister, d'esob'eissant aux ordres de Juve, s’'etait laiss'e aller `a miser. Et c’est alors que le myst`ere ahurissant se r'ev'elait.
De la p`elerine d’o`u 'etait sortie la main blanche, on ne voyait plus rien. Mais Mario Isolino venait de pousser un hurlement : on avait vu sur le tas d’or une main blanche, une main coup'ee au ras du poignet, une main seule, sans bras, une main morte.
Juve et Fandor se pr'ecipit`erent.
Ils regard`erent autour d’eux, fouill`erent fi'evreusement l’assistance, cherchant `a retrouver la p`elerine sous laquelle cette main s’'etait un instant dissimul'ee.
La p`elerine avait disparu.