La main coup?e (Отрезанная рука)
Шрифт:
Le reste de la diatribe de l’apache se perdit dans le brouhaha du cabaret, mais tout de m^eme Juve rayonnait :
— Voil`a, souffla-t-il `a l’oreille de Fandor, c’est clair et net. Ivan Ivanovitch a pay'e ces hommes, c’est lui, le coupable. C’est lui qui avait tendu le guet-apens. C’est lui qui a d^u tuer Norbert. C’est lui encore qui a fait assassiner l’amant de Louppe. Lui, toujours, qui tout `a l’heure en voulait `a nos vies. Tu l’as entendu, Fandor ? c’est Ivan qui payait ces hommes.
— Mais ca ne prouve rien, Juve.
— Comment cela ne prouve rien ?
— Mais non.
Fandor, en deux mots, avait d'ej`a expliqu'e `a Juve les extraordinaires p'erip'eties qui avaient marqu'e sa propre journ'ee, comment il avait poursuivi la jeune fille s’appelant Denise, comment il avait 'et'e emp^ech'e de la rejoindre par l’intervention d’Ivan Ivanovitch, comment enfin, Ivan Ivanovitch, apr`es s’^etre excus'e de lui avoir impos'e la promenade en mer, avait fini par vouloir le guider vers cette m^eme Denise, qui, lui disait-il, avait d'esir'e un rendez-vous avec Fandor, rendez-vous emp^ech'e par la bagarre de la nuit.
— Juve, conclut Fandor, je ne sais pas ce que vous avez ? vous soupconnez ce malheureux marin. Je vous affirme qu’il n’est pour rien dans tout ceci. Oui, parbleu, on avait pay'e ces hommes, ces apaches pour emp^echer qu’on ne parv^int jusqu’`a cette Denise. Mais ce n’'etait pas contre vous qu’on agit, Juve, c’'etait, qui sait, peut-^etre contre moi. Contre Ivan, que sais-je ? Juve, comprenez-vous ?
— Parfaitement.
— Alors, vous saisissez que nous n’aurons l’explication de tous ces myst`eres qu’en interviewant Denise ?
Mais Fandor dut s’interrompre.
Au plus fort de la discussion avec Juve, une rixe 'eclata soudain dans le cabaret.
Mario Isolino et le Bedeau en venaient aux mains.
— Canaille, hurla Mario, tou m’as vol'e les bijoux de Kissmi.
— Crapule, r'epondit le Bedeau, tu refusais de partager. Rends-moi les bijoux.
— Mais io ne les ai pas, nom d'e Diou.
— Je vais te casser la gueule.
— Viens-y donc, si tou oses.
Et puis brusquement la lutte cessa.
Le patron du Canadian-Baravait, en effet, une grande habitude des discussions de ce genre. Il n’h'esita pas sur la conduite `a tenir. Quittant son comptoir, il se dirigea vers le commutateur et coupa l’'electricit'e, purement et simplement.
Se battre dans le noir, c’'etait 'evidemment impossible. En d'esordre, mais avec pr'ecipitation, les vilains clients all`erent dans la rue pour y vider d'efinitivement leur querelle.
— Ne bouge pas, Fandor, fit Juve, nous allons assister au cin'ema.
Mais au m^eme moment, la main vigoureuse du patron de l’'etablissement empoignait Juve par l’'epaule :
— Vous, ordonna le colosse, qui pr'esidait aux destin'ees du Canadian-Bar, allez voir dehors si j’y suis. Est-ce que vous prenez ma maison pour un asile de nuit ? En voil`a des loqueteux. Allez ouste, les mendiants. Videz le plancher.
Ce n’'etait pas le moment de r'esister. Juve et Fandor se laiss`erent expulser.
Or, dans la rue, o`u on les jetait, le Bedeau et Mario, le couteau en main, s’appr^etaient `a se pourfendre.
Juve, soudain, se mit `a courir, ayant fait signe `a Fandor de le suivre.
— Acr'e, acr'e, hurla Juve, les cognes. Sauve qui peut.
La d'ebandade commenca.
Sur les talons de Juve, tous les apaches, tous les louches individus d'etalaient, persuad'es, de bonne foi, que le policier 'etait un des leurs et qu’il venait de donner l’alarme.
— Que diable combinez-vous donc ? demanda Fandor qui courait `a c^ot'e de Juve, sans rien comprendre au plan du policier.
— Tu vas voir. Laisse-les passer.
Juve, vraiment, avait merveilleusement pr'epar'e son affaire. Il se laissa d'epasser par les fuyards, puis soudain, il pr'ecipita sa course, rejoignit Mario Isolino, l’agrippa par le bras :
— Arr^ete-toi donc, lui dit Juve, tu vois bien que je fais cela pour te tirer des pattes du Bedeau qui allait t’'etriper.
Et comme interdit, Mario s’arr^etait en effet, tandis que les apaches continuaient `a s’enfuir, le malheureux bonneteur eut encore la surprise d’entendre Juve changer de ton.
— Imb'ecile, hurla le policier, tu ne m’as donc pas reconnu ? Je suis Juve, le policier Juve. Et c’est toi que j’arr^ete ! Non, pas un mot ou je te br^ule.
Et Juve, tout en parlant, venait de passer les menottes a Mario.
12 – NE CHANGEZ PAS DE MAIN
— Juve.
— Fandor.
— Il fait jour, quelle heure est-il ?
— Je n’en sais rien.
Juve, toutefois, tira avec lassitude un bras de dessous ses couvertures. Il regarda sa montre pos'ee sur le gu'eridon `a c^ot'e de son lit et rejeta aussit^ot ses draps pour s’'elancer :
— Sacrebleu, s’'ecria-t-il, cinq heures.
— Comment cinq heures ? interrogeait Fandor d’une voix p^ateuse et toute ensommeill'ee, il n’est pas cinq heures du matin ?
— Mais non, grand paresseux, il est cinq heures du soir. Nous avons dormi comme des marmottes.
— Parbleu, Juve, poursuivit Fandor en 'etouffant un b^aillement, avouez que nous en avions joliment besoin.
Depuis quarante-huit heures, Juve et Fandor, en effet, menaient une existence `a la fois mouvement'ee, ahurissante et fatigante au point de terrasser les hommes les plus entra^in'es. Heureusement que le policier et le journaliste comptaient au nombre de ces derniers.