La main coup?e (Отрезанная рука)
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— Eh bien, Bouzille, qui est-ce qui vous a donn'e ces trente francs ?
— Mais on ne me les a pas encore donn'es, monsieur Fandor.
— Alors, o`u allez-vous aller les chercher ?
— Qu’est-ce que ca peut vous faire, monsieur Juve ?
… Mais Juve avait eu un si violent mouvement de sourcils que Bouzille comprit qu’il 'etait mauvais de plaisanter plus longtemps.
— Oh, puis, apr`es tout, dit-il, si ca vous int'eresse de le savoir, moi je m’en fous. C’est au Canadian-Barque doit avoir lieu la paye.
— Quand, Bouzille ?
— Mais tout de suite, monsieur Juve.
D’un m^eme mouvement, Juve et Fandor s’'etaient lev'es.
— Oh, allez-y si vous voulez, mais, tout de m^eme, un bon conseil : moi, si j’'etais que vous, j’ach`eteras au p`ere Bouzille des vieux habits qu’il ajusterait, et comme ca, je pourrais me changer le
Un quart d’heure plus tard, Juve et Fandor, v^etus en loqueteux, s’acheminaient vers les faubourgs de Monaco…
Ville essentiellement riche, construite dans une principaut'e si exceptionnellement fortun'ee que les heureux nationaux ne supportent, jusqu’`a plus ample inform'e, le poids d’aucun imp^ot, Monaco ne comporte gu`ere de bouges ou de cabarets, destin'es `a servir de rendez-vous `a la p`egre.
Le Canadian-Bar, cependant, malgr'e sa facade proprette, faite de bois peinturlur'e, facon acajou, malgr'e ses glaces en biseaux, malgr'e ses rideaux-myst`ere, 'etait sordide en r'ealit'e.
Examin'e du dehors, il semblait promettre un certain confort, mais `a peine avait-on tourn'e le bouton de la porte que d’^acres relents de tabac et d’alcool vous ^otaient toute illusion sur les agr'ements d’un s'ejour.
Sans ^etre remarqu'es, les deux amis purent se glisser jusqu’`a l’un des petits gu'eridons mis `a la disposition des consommateurs.
— Deux cerises `a l’eau-de-vie, dit Juve.
Il y avait l`a des gens de livr'ee, puis d’honn^etes ouvriers, puis encore d’autres individus, assez correctement mis, en somme. Lesquels d’entre eux faisaient partie de la bande de Bouzille ? lesquels d’entre eux 'etaient l`a, dans le bar, attendant la paye, puisque Bouzille avait affirm'e que la paye allait avoir lieu ?
Soudain, Fandor se pencha vers Juve.
D’une voix imperceptible, il souffla au policier :
— Dites donc, Juve, savez-vous que nous sommes les deux bougres les plus mal habill'es de l’endroit ? Bouzille a forc'e la note avec son d'eguisement. D’ici qu’on nous flanque `a la porte, il n’y a pas des kilom`etres.
— Tais-toi maudit farceur. Tu n’as donc pas vu ?
— Qui ?
— Dans le coin. Regarde. Le gros.
Cette fois, Fandor eut peine `a retenir une exclamation de surprise, car l’homme que lui d'esignait Juve 'etait une vieille connaissance.
Le Bedeau.
Pourquoi le terrible « sonneur » 'etait-il venu dans la principaut'e ? `A quelle lugubre besogne s’employait-il dans ce pays de luxe, de f^etes, de jeux ?
Fandor et Juve, d`es lors, n’eurent plus d’yeux que pour l’apache. Ils le voyaient de face, et auraient donn'e beaucoup pour pouvoir contempler `a loisir les traits de l’individu avec qui le Bedeau s’entretenait.
Celui-ci, malheureusement, leur tournait le dos.
Que faire ?
Juve qui n’'etait jamais `a court d’exp'edients, avertit d’un clin d’oeil Fandor qu’il importait de se m'efier. Juve alors se leva, quitta sa place sans se presser, vint s’accouder au comptoir du bar :
— Un mad`ere sec, commanda-t-il.
Et l’ordre donn'e, Juve se retourna, voyant cette fois de face l’interlocuteur du Bedeau.
`A ce moment, Fandor rejoignit Juve, mais 'evita de se retourner.
— Juve, qui est-ce ?
— Mario.
— Le bonneteau ?
— Tais-toi, Fandor ! il faut que nous entendions ce qu’ils disent.
Ce n’'etait pas tr`es difficile car le Bedeau parlait `a voix haute :
— Et puis, gouaillait l’apache, qui semblait de fort mauvaise humeur, et puis c’est pas tout ca, Bonneteur, en v’l`a assez, et m^eme de trop. J’aime mieux pas dire la messe deux fois. Raque tes bijoux ou gare ma patte. En voil`a un salaud, qui veut tout garder pour lui.
Mais le bonneteau n’entendait nullement se laisser faire.
— Raquer les bijoux, disait-il, et puis quoi encore ? Payer la tourn'ee, peut-^etre bien ? Non, mais tu n’m’as pas regard'e. Quand c’est que je travaille, Bedeau, c’est tout de m^eme pour moi et pas pour les autres. Si j’ai pu avoir Kissmi et lui faire sa ferblanterie, j’imagine que c’est `a moi d’en avoir le b'enef.
Juve n’avait pas le temps de r'efl'echir `a ce qu’il venait d’apprendre, car, `a la v'erit'e, toute son attention se concentrait maintenant non plus sur le Bedeau causant avec Mario, mais bien sur Bouzille, qui venait d’^etre rejoint par un inconnu glabre, de haute taille, qui, doucement, glissait de l’argent dans la main du chemineau.
— Regarde, Fandor, souffla Juve. Voil`a que Bouzille recoit sa paye, ah, du diable si nous saurons jamais, qui avait command'e `a ces apaches de surveiller la maison H'eberlauf.
Au m^eme moment, derri`ere Juve, le Bedeau causait `a l’homme glabre, `a face de larbin.
Le Bedeau, qui 'etait de plus en plus mauvaise humeur, temp^etait :
— Plus souvent, que je recommencerai `a travailler pour l’officemare. En voil`a un r^aleux. Trente francs par t^ete. Alors qu’on s’est b^uch'e comme des singes. C’est pas Ivan qu’il devrait s’appeler… c’est « J’tiens-ma-poche ».