La main coup?e (Отрезанная рука)
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Puis, soudain, un fr'emissement courait tout autour de la table d’une voix de stentor, le croupier venait d’annoncer :
— Le 7, messieurs, mesdames. Noir, impair et manque.
Et devant Juve, les caissiers poussaient trente-cinq fois la mise, soit soixante-dix louis.
— Faites vos jeux, messieurs, dames.
Qui donc allait encore jouer, allait encore se risquer sur le 7 ?
Et les chuchotements reprenaient :
— Ca, c’est invraisemblable. Tant qu’on ne l’a pas jou'e, le 7 ne sortait pas. On le joue ce soir, pour la premi`ere fois, et il sort du premier coup.
— Tout de m^eme, si j’'etais ce monsieur, je ne serais pas rassur'e.
Interdits, les joueurs consid'eraient Juve, se demandaient s’il allait encore tenter la fortune ?
— Dites donc, Duval, non, Dupont, cria Louppe, je vous l’avais bien dit, que vous alliez gagner, hein ? je l’ai, le bon oeil ?
— Faites vos jeux.
On jouait timidement… Juve s’abstint.
Quelques instants plus tard, le croupier annoncait :
— Le 13. Faites vos jeux.
Isabelle de Guerray, ne quittait pas Juve du regard. Et comme, d’un geste assur'e, bien qu’il f^ut un peu nerveux, Juve jetait de nouveau trois louis sur le 7, l’ancienne jolie femme, cria :
— Vous jouez le sept, la noire, monsieur Dupont ? Tr`es bien. Je prends la contrepartie, voil`a dix louis sur la rouge.
De nouveau quelques minutes d’angoisse.
— Le 12.
— Non, le 20.
— Vous allez voir, que ce sera le 14.
Nouveaux pronostics. Puis, la voix du croupier retentit, dominant le murmure angoiss'e :
— Le 7 noir, impair et manque.
Nouvelle pluie d’or, qui s’abat vers Juve. Mais, cette fois, le policier est tr`es p^ale.
Deux fois de suite, il vient de jouer le 7, deux fois le num'ero fatidique est sorti. Co"incidence ? Hasard ?
Troubl'e malgr'e lui, Juve n’h'esite pas. Il jette encore trois louis d’or sur le 7.
— Nous verrons bien.
Autour de la table de roulette, le silence se fait, absolu.
Imperturbable, le croupier annonce encore :
— Le 7 noir, impair et manque. Faites vos jeux.
***
— Juve ?
— Hein ? Laisse-moi.
— Non, venez.
— Pourquoi ?
— Vous avez assez gagn'e.
— Fiche-moi la paix.
— Venez, je vous en prie ?
— Zut, fl^ute.
Mais Fandor ne se tient pas pour battu.
— Combien de fois avez-vous jou'e ?
— Dix-sept fois.
— Et ces dix-sept fois ?
— Le 7 a gagn'e.
— Vous voyez bien que c’est assez. Venez.
— Non.
— C’est tenter le diable.
Ce colloque se poursuit `a voix basse, entre Juve et Fandor, tandis que la bille tourne, folle, soumise aux seules lois du hasard.
— Venez, r'ep`ete Fandor. Je vous assure que cela me fait peur de vous voir jouer ce num'ero et gagner ainsi avec une veine insolente. Combien avez-vous ?
— Je ne sais m^eme plus. Une trentaine de mille francs ? Ou plus.
— Vous allez tout reperdre.
— On verra bien.
— Mais enfin, cela me fait peur.
— Tu n’es qu’un froussard.
Coupant le colloque, la voix du croupier annonce :
— Le 7.
Mais `a ce moment, le croupier a chaud. C’'etait la dix-huiti`eme fois que le 7 sort.
Juve, tr`es tranquillement cependant, prend une poign'ee de louis d’or, les rejette sur le tapis, mise sur le 7.
Or, Fandor poursuit :
— Oui, cela me fait peur, et cela fait peur m^eme `a Ivan Ivanovitch.
En entendant ce nom, Juve a un petit tressaillement.
— O`u est-il ?
— Qui ? Ivan Ivanovitch ? Il est toujours au m^eme endroit, sur le canap'e. Qu’est-ce que cela peut vous faire ?
— Va le retrouver. Ne le quitte pas.
Mais, encore une fois, le croupier annonce :
— Le 7. Faites vos jeux, messieurs, dames.
Juve a le sang au visage.
Ses mouvements sont f'ebriles. Pourtant un sourire flotte sur sa l`evre.
Il est d’ailleurs presque seul `a continuer `a jouer.
Sa derni`ere mise a 'et'e formidable, il a devant lui pr`es d’une centaine de mille francs.
— Continuons, murmure-t-il.
Et il laissait sur le 7 le maximum permis.
Mais cette fois, Fandor est d'ecid'e `a intervenir.
— Vous ne resterez pas l`a, dit-il `a Juve. Je vous arracherai de cette table et de force.
Mais Juve vient de prendre son ami par le poignet et de le forcer `a se baisser vers lui. Il lui souffle :
— Tais-toi donc, idiot. Donne-moi ton lorgnon, et attends le coup suivant.
Fandor s’ex'ecute, sans comprendre.
Il a eu peur de voir Juve jouer le 7, mais il reprend confiance en voyant avec quelle autorit'e le policier lui parle.
`A coup s^ur, Juve doit soupconner quelque chose. Mais quoi ?
Et puis qu’est-ce que cette demande de lorgnon ?