La main coup?e (Отрезанная рука)
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Fandor, respectueux de son silence, tr`es 'emu lui-m^eme n’osait l’interroger :
Au bout de quelques temps, ce fut la jeune fille qui reprit :
— Fandor, Fandor, oublions le pass'e. Rayons de notre m'emoire tout ce qu’il peut avoir d’agr'eable ou de troublant. Certes nous sommes peut-^etre les victimes du sort, mais notre r^ole `a l’un comme l’autre n’est pas de nous pourchasser.
La jeune fille se leva. Elle alla `a Fandor les deux mains tendues, la physionomie inspir'ee. Elle sollicita, mettant toute l’intensit'e de son d'esir dans l’'etincellement de ses grands yeux :
— Il faut que vous laissiez Fant^omas, que vous ne vous occupiez plus de lui. Il faut renoncer `a le poursuivre, il faut que Juve…
Fandor hocha la t^ete, recula d’un bond :
— H'el`ene, que me demandez-vous l`a ? Est-il possible que vous songiez un seul instant `a d'efendre ce monstre.
— Ce monstre, c’est mon p`ere, fit la jeune fille en baissant la t^ete.
— L’aimez-vous donc ?
— Non, je le hais, mais c’est mon p`ere.
Fandor ne r'epondit pas directement `a la jeune fille. Il revint sur les 'ev'enements plus r'ecents. Et adroitement il interrogea :
— H'el`ene, lui demanda-t-il, pourquoi cette fuite myst'erieuse l’autre jour dans les jardins du Casino ? Pourquoi nous avoir enferm'es, car vous saviez, n’est-ce pas, que nous 'etions l`a ? Je crois comprendre, mais c’est votre p`ere, c’est Fant^omas qui dirige votre bras. Le monstre se dissimule pr`es de nous. Vous agissez sur ses ordres et les myst'erieuses attitudes que vous observez sont autant de supercheries destin'ees `a le sauver, `a nous 'ecarter de sa route. Prenez garde, H'el`ene, c’est jouer un jeu dangereux.
La jeune fille ne parut pas effray'ee de cette menace. Elle hocha doucement la t^ete, expliqua :
— Si j’ai agi de la sorte, ce n’est pas pour sauver mon p`ere, c’est pour prot'eger un innocent, Ivan Ivanovitch.
— Nous y voil`a, pensa Fandor, qui anxieusement, saisissant la balle au bond, se d'ecida `a plaider le faux pour savoir le vrai.
— Ivan Ivanovitch, fit-il, l’assassin de Norbert du Rand, l’agresseur de Juve l’autre nuit ?
Mais H'el`ene, dont le visage exprimait une profonde stup'efaction, courut au journaliste, et lui mettant les mains sur les 'epaules, d’un geste `a la fois naturel et familier, rectifia :
— Ivan Ivanovitch, l’assassin de Norbert du Rand, c’est insens'e, c’est fou, l’officier russe est innocent. C’est le plus honn^ete homme du monde, vous devriez le savoir.
— H'elas, vous avez raison, je le sais comme vous. Mais alors quel est l’auteur de tous ces crimes ? Et la mort inexplicable du d'eput'e Laurans ? Si le meurtrier n’est pas Ivan Ivanovitch, ce ne peut ^etre que Fant^omas.
— Taisez-vous, dit H'el`ene, je ne sais pas, je ne sais rien, je ne puis rien dire.
Fandor insista :
— Vous ne voulez rien dire. Il le faudra bien pourtant. Il le faut, H'el`ene, il faut que nous allions parler `a Juve, il faut que nous 'eclaircissions tout de suite, tous les deux, tous les trois, ces effroyables myst`eres.
`A ces derni`eres paroles, la fille de Fant^omas s’'etait ressaisie, elle avait recul'e `a l’extr'emit'e du salon, toute p^ale, et ses grands yeux se cernaient d’un cercle noir, tant son 'emotion 'etait grande.
Mais cette jeune fille ne se laissait pas d'emonter.
— Fandor, dit-elle un peu plus tard, vous ne m’avez pas comprise, mais peu importe. Nous ne nous verrons plus d'esormais avant longtemps. Jamais, entendez-vous, jamais je ne recevrai un ordre de qui que ce soit. Jamais je n’irai voir Juve avec vous, jamais je ne parlerai `a cet homme, et jamais, au grand jamais, je ne trahirai mon p`ere. H'elas, je vous conseillais tout `a l’heure de cesser de le poursuivre, de renoncer `a vous acharner sur ses traces, car peut-^etre qu’avec le temps, seule et libre d’agir, j’aurais pu d'eterminer Fant^omas `a s’amender, mais vous refusez ?
— H'el`ene, g'emit Fandor dont la conscience 'etait `a la torture, H'el`ene, puis-je faire autrement ? vous qui ^etes droite, noble, sinc`ere, ne m'epriseriez-vous pas J'er^ome Fandor et Juve si l’un ou l’autre acc'edait `a votre d'esir ?
— J'er^ome Fandor, reprit sur le m^eme ton, de sa voix grave et convaincante, la fille de Fant^omas, puis-je faire autrement ? et que penseriez-vous d’une fille, d’un enfant qui trahirait son p`ere ?
Il y eut un silence : ces deux ^etres si sinc`eres, si touchants l’un et l’autre, courbaient le front sous les coups brutaux de la Destin'ee.
Ils demeur`erent longtemps silencieux, immobiles, puis lentement la fille de Fant^omas appuya sur le bouton 'electrique : un domestique apparut.
— Reconduisez monsieur, fit-elle.
Fandor, comme s’il sortait d’un r^eve la consid'era un instant, abasourdi de son calme imperturbable.
— Vous reverrai-je ?
— Dans une heure, je serai partie d’ici. Ne cherchez pas `a me rejoindre. Vous ne me retrouveriez pas.
Fandor, 'emu, silencieux, ne quittait pas H'el`ene des yeux, puis, il se rapprocha d’elle et `a voix tr`es basse :
— Vous ne dites pas la v'erit'e, je sais que je vous retrouverai, mais dites-moi quand ? o`u ? je veux le savoir.
— Qui sait, dit H'el`ene.
Puis, jugeant que l’entretien avait assez dur'e, trop dur'e peut-^etre, elle s’inclina c'er'emonieusement devant Fandor :
— Adieu, monsieur.
— Adieu, mademoiselle Denise.
***
Dans le modeste appartement qu’ils occupaient `a l’h^otel de la Bonne Chance, Juve et Fandor demeuraient prostr'es l’un en face de l’autre, assis dans des fauteuils.