La main coup?e (Отрезанная рука)
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Ils consid'eraient la demi-mondaine avec une fixit'e singuli`ere.
Isabelle de Guerray, dont les jambes vacillaient, s’'etait arr^et'ee, immobile, apr`es son brusque sursaut d'etermin'e par la surprise premi`ere.
— Qui ^etes-vous ? que voulez-vous ? Est-ce une plaisanterie ? demanda Isabelle de Guerray.
Apr`es un silence, l’homme r'epliqua d’une voix grave et sans timbre :
— Je ne plaisante jamais, madame, et ce que je veux, je m’en vais vous le dire. Quant `a savoir qui je suis, je ne vous souhaite pas de l’apprendre.
— Que voulez-vous ?… poursuivait Isabelle de Guerray que le regard persistant et fixe de l’homme troublait au plus haut point… Si c’est de l’argent, je n’en ai pas `a vous donner… Comment avez-vous os'e vous introduire ?
Isabelle de Guerray, instinctivement, tendait le bras vers un bouton de sonnette qui communiquait avec la demeure de ses domestiques.
— Vos domestiques, madame, dit-il, profitant de la libert'e que vous leur avez accord'ee, s’en sont all'es ce soir et ne reviendront pas de sit^ot. Au surplus, quelqu’un de prudent et de pr'ecautionneux a cru bien faire en coupant tout `a l’heure, `a la sortie de la villa, les fils de cette sonnette.
Isabelle de Guerray fr'emit.
— Quoi, fit-elle, est-ce possible ? je suis victime d’un guet-apens ?
L’inconnu protesta doucement d’un geste de la main.
— Non, madame. Il ne s’agit pas de guet-apens mais simplement d’une commission que je suis charg'e de vous faire.
— Je serais heureuse, dit Isabelle de Guerray, de savoir au plus t^ot qui peut vous envoyer aupr`es de moi et par un tel chemin ?
— Louis Meynan, r'epondit l’homme…
— Pla^it-il ? fit Isabelle de Guerray, qui croyait avoir mal entendu.
Mais l’inconnu r'ep'etait, d'etachant chaque syllabe, le nom du caissier :
— Louis… Mey… nan…
Isabelle de Guerray, d’une voix sourde, demanda :
— De quoi s’agit-il ?
L’homme, alors, enfin s’expliqua :
— De quoi il s’agit, madame ?… c’est bien simple… Votre fianc'e, M. Louis Meynan, caissier au cercle de Monte-Carlo, a, comme vous ne l’ignorez pas, de nombreuses pr'eoccupations quotidiennes qui s’aggravent encore aujourd’hui des soucis – enviables d’ailleurs – que font na^itre dans son coeur et dans son cerveau, ses projets de mariage. Or, ce malheureux jeune homme vient d’^etre, il y a quelques instants, victime d’un accident bizarre.
Isabelle de Guerray sentit son coeur battre plus fort dans sa poitrine.
— Il ne lui est arriv'e aucun mal, je pense ? Mais expliquez-vous, monsieur, expliquez-vous. Que signifient vos paroles ?
— M. Louis Meynan, poursuivit l’inconnu sur un ton 'enigmatique, est, `a l’heure actuelle, en parfaite tranquillit'e. Quant `a l’accident qui lui est survenu, figurez-vous qu’au moment d’aller `a ses caisses, il a 'et'e frapp'e d’amn'esie et a compl`etement oubli'e le mot du secret qui lui permet d’ouvrir ses coffres-forts. Or, ce mot vous le connaissez et il m’a charg'e de venir vous le demander. Pour vous prouver que nous sommes bien d’accord, je tiens `a vous montrer cette clef, la clef des coffres confi'es par l’administration `a votre fianc'e. Sans cette clef le secret serait parfaitement inutile, mais elle-m^eme ne sert `a rien si l’on ne conna^it pas le mot en question.
Isabelle de Guerray 'ecoutait ces propos sans comprendre, mais avec la parfaite conviction que cet homme lui racontait une histoire invent'ee de toutes pi`eces.
Certes, elle avait souvenir que, quelque temps auparavant, Louis Meynan, au cours d’une conversation, lui avait incidemment confi'e le mot qui lui servait de secret, mais la demi-mondaine l’avait oubli'e.
Quelle importance, d’ailleurs ?
« Et aussi, pensait-elle, comment se fait-il que Louis Meynan ne soit pas venu lui-m^eme, alors que, pr'ecis'ement, nous avions rendez-vous ? Comment se fait-il qu’il m’ait envoy'e cet homme, que ce dernier se soit introduit dans ma maison par un chemin aussi 'etrange ? Comment se fait-il, enfin, qu’il se pr'esente `a moi le visage recouvert d’une cagoule, la face dissimul'ee derri`ere un masque noir, comme…
Mais oui, la lumi`ere se faisait soudain dans son esprit, l’homme `a la cagoule, naturellement, c’'etait Fant^omas, le Ma^itre du Crime, le Roi de l’'Epouvante, l’Empereur du Myst`ere.
— Gr^ace, s’'ecria la malheureuse, tomb'ee `a genoux.
Brutalement, l’inconnu masqu'e la releva :
— Soit, dit-il, vous m’avez reconnu. Oui, je suis Fant^omas. Vous conna^itrez le sort de Meynan tout `a l’heure.
« D’ici l`a, pas une minute `a perdre : dites-moi le mot, confiez-moi le secret, et vous n’avez rien `a craindre.
— Fant^omas, dit Isabelle, gr^ace, je vous jure que ce secret, je ne le sais plus.
Mais le bandit hocha la t^ete :
— Inutile d’essayer de me duper. Vous avez parl'e trop nettement tout `a l’heure. Continuez donc, dites-moi le mot, indiquez-moi le secret ou alors…
— Ou alors ?
Fant^omas articula nettement :
— Vous ^etes morte.
***
Isabelle de Guerray n’ayant pu renseigner Fant^omas, Fant^omas l’avait condamn'ee `a mort.
Bris'ee d’'emotion, absolument an'eantie par la courte lutte `a laquelle elle se livrait malgr'e tout, courageuse jusqu’au bout, l’infortun'ee demi-mondaine avait 'et'e jet'ee par le bandit sur une chaise basse, puis, Fant^omas, avec une dext'erit'e extraordinaire prenait dans un chiffonnier voisin une s'erie de rubans multicolores, de ces rubans dont Isabelle aimait `a parer son linge, il l’immobilisa 'etroitement sur cette chaise, la garrottant comme un prisonnier.
Inerte, sans force, `a demi morte d'ej`a d’effroi, Isabelle le regardait faire, avec des yeux qu’agrandissait l’'epouvante.
Fant^omas n’affectait plus d'esormais la froideur ironique qu’il avait observ'ee au d'ebut de l’entretien.
Le monstre s’'etait trouv'e d’autant plus furieux qu’il 'etait convaincu qu’Isabelle de Guerray connaissait le mot du coffre et qu’elle refusait de le lui donner. Fant^omas un instant avait song'e `a annoncer brutalement `a la malheureuse que son fianc'e 'etait mort depuis deux heures et, s’il ne s’'etait retenu, d’un coup de poignard, d’une balle de revolver, il l’aurait abattue.