Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Chapitre XII
L’identit'e introuvable
Qu’'etait-il advenu de Juve cependant, et comment se faisait-il que le policier, l’ins'eparable ami de Fandor, ne s’'etait pas trouv'e `a la gare du Nord pour concourir `a la capture de Fant^omas ?
Il y avait 'evidemment `a cela de graves raisons, et ce n’'etait point par hasard que Juve 'etait absent.
Aussi bien le policier depuis quelque temps menait une existence qui, pour n’avoir pas 'et'e aussi tragique que celle de Fandor, n’en 'etait pas moins cependant des plus agit'ees.
Juve, en effet, demeur'e seul dans le wagon o`u il relevait un cadavre qu’il croyait ^etre le cadavre de J'er^ome Fandor, avait connu pendant quelques secondes la plus terrible des douleurs.
Juve, en effet, avec une promptitude d’imagination, qui n’'etait pas surprenante de sa part, inventait alors tout un terrible drame, tout un formidable imbroglio, qui le plongeait dans un r'eel d'esespoir.
— Et si Fandor n’a point repris le train, pensait-il, c’est qu’il a rencontr'e Fant^omas ! Fant^omas l’a tu'e, l’a rapport'e dans ce wagon, puis a d^u rester `a Anvers… Et moi, h'elas ! me voil`a embarqu'e pour Bruxelles incapable de rien faire pour venger Fandor, bon tout juste `a sangloter…
De fait, l’excellent Juve, en d'epit de toute son 'energie, sentait de lourdes larmes s’amasser sous ses yeux.
Il ne pr^etait pas attention `a l’'epouvante des voyageurs qui, hurlant d’effroi, s’enfuyaient du compartiment.
Il attachait ses yeux sur la d'epouille de Fandor, il contemplait les traits blafards du cadavre, il les contemplait avec la fixit'e d’un d'esespoir absolu…
Or, tandis qu’il consid'erait ainsi le cadavre qu’il croyait ^etre le cadavre de son ami, Juve, brusquement, sursautait :
Ah, ca ! 'Etait-il donc victime d’une ressemblance, d’une erreur, d’une incompr'ehensible mystification ? Ne devenait-il pas fou, plut^ot ?
Juve, 'emotionn'e au plus haut point, se prenait `a douter du t'emoignage de ses sens, de sa propre pens'ee m^eme, tant sa surprise 'etait profonde.
— Morbleu, je me trompe ? maugr'eait-il.
Mais `a ce moment les larmes, comme par enchantement se tarissaient sous ses paupi`eres.
Juve, brusquement, comprenait la m'eprise.
Fandor, ce cadavre qu’il relevait ? Eh non, ce n’'etait pas Fandor !
Juve, maintenant, pench'e sur le mort, s’'etonna m^eme d’avoir pu ^etre victime d’une semblable erreur…
Il d'emasquait la lampe scell'ee au plafond du compartiment, il retournait consid'erer le mort qu’il venait de coucher tout de son long sur la banquette.
Et Juve alors, stup'efait de plus en plus, commencait `a comprendre les causes de son extraordinaire erreur.
Le mort, 'evidemment, ressemblait `a Fandor. Il s’agissait d’un jeune homme du m^eme ^age, d’une corpulence analogue, dont les traits se rapprochaient singuli`erement de ceux du journaliste…
Toutefois, si la confusion avait 'et'e possible, si Juve s’'etait ainsi abus'e, c’'etait en v'erit'e que la ressemblance naturelle avait 'et'e merveilleusement augment'ee, par le plus habile, le plus sinistre des maquillages.
Mais qui donc avait pu ainsi farder un cadavre, le grimer, oser cet effroyable sacril`ege ? Oh ! Juve n’avait point besoin d`es lors de r'efl'echir longuement. Il n’y avait qu’un homme au monde qui fut capable de concevoir et de r'ealiser un si abominable projet !
Cet homme, c’'etait Fant^omas… le Roi du crime, le Ma^itre de l’'epouvante, c’'etait le Tortionnaire, c’'etait le monstrueux bandit qui se d'eclarait lui-m^eme le Ma^itre de tous et de tout !
Juve, demeur'e seul dans son compartiment, cependant que tout le train commentait l’aventure, cependant que les voyageurs s’'ecrasaient dans le couloir, ne laissant pas m^eme place aux employ'es de la Compagnie, Juve inventait bien des choses.
'Evidemment, Fandor avait eu raison lorsqu’il avait cru entendre, quelque temps avant d’arriver `a Anvers, la voix de Fant^omas. Il 'etait bien r'eel que Fant^omas se trouvait alors dans le train, il 'etait m^eme probable que le bandit avait d^u apercevoir Fandor, avait d^u noter dans quel compartiment il se trouvait.
— Il nous a vus, s’avoua Juve. Il a not'e notre pr'esence. C’est bien volontairement qu’il a d^u m^eme se faire entendre par Fandor… Et si Fandor n’a point rejoint le train, c’est sans doute qu’il est actuellement sur la piste de Fant^omas.
Juve ne se trompait pas, puisque, au m^eme moment, et sans qu’il p^ut le savoir, Fandor 'etait pr'ecis'ement en train de pourchasser Fant^omas dans l’automobile qu’il volait au bandit.
Rassur'e d'esormais sur le sort de Fandor, Juve se demandait comment il 'etait possible que Fant^omas e^ut pu amener un cadavre dans le train. Or, voil`a qu’en examinant de tous c^ot'es le compartiment o`u il se trouvait, Juve apercevait, dans le filet, abandonn'es l`a, des v^etements qu’il reconnaissait sans peine.
— Mis'ericorde, gronda le policier. Il s’agit d’un corsage et d’une jupe de femme… Parbleu, ce sont les v^etements qui habillaient la vieille dame qui s’embarqua avec un paralytique `a Amsterdam !
Il n’'etait donc pas difficile pour Juve de deviner la v'erit'e.
Il 'eventait vite, en effet, la ruse `a laquelle avait eu recours Fant^omas. Il soupconnait que le soi-disant paralytique 'etait en r'ealit'e le cadavre, et m^eme, il d'ecouvrait comment il se faisait que lui, Juve, venait en somme de se tromper de compartiment, prenant place dans celui o`u 'etait Fant^omas, alors qu’il s’'etait imagin'e s’installer dans celui o`u Fandor avait voyag'e.
Le train n’avait-il pas, en effet, chang'e de sens de marche en partant d’Anvers ? La locomotive, attel'ee en t^ete, avait 'et'e remplac'ee par une locomotive attel'ee en queue. Juve 'etait bien toujours dans le dernier compartiment du wagon, mais ce compartiment avait chang'e, c’'etait celui qui s’'etait trouv'e tout d’abord ^etre le premier.
Ce d'etail, toutefois, n’avait qu’une tr`es relative importance. Ce qui pressait Juve, en effet, ce qui l’angoissait maintenant, c’'etait de deviner qui 'etait ce mort qu’il avait devant lui, ce mort qui n’'etait pas Fandor, ce mort que l’on avait grim'e, que l’on avait si bien grim'e m^eme, qu’il serait sans doute `a jamais impossible d’enlever les fards incrust'es dans la chair du visage glac'e pour toujours.