Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Le train quelques instants plus tard d'emarrait, il reprenait sa vitesse, foncait `a nouveau dans la nuit noire. Certes, les voyageurs, le m'ecanicien, J'er^ome Fandor lui-m^eme eussent 'et'e fort 'etonn'es s’ils avaient su que, sans cet arr^et de quelques instants, un tamponnement effroyable se serait produit avec le train de marchandises.
Tout le monde l’ignorait, seul le m'ecanicien devait l’apprendre `a la gare prochaine, mais l’enqu^ete ne devait jamais faire savoir ni 'etablir la succession des 'ev'enements dramatiques qui s’'etaient cette nuit-l`a 'ecoul'es sur le r'eseau.
J'er^ome Fandor, cependant, install'e dans la voiture de course, prot'eg'e par la b^ache, se d'eclarait enchant'e de la marche de son enqu^ete.
Certes, il n’avait point encore vu Fant^omas, mais il ne doutait point qu’il ne put le rejoindre bient^ot, et il tenait pour assur'e que le Ma^itre de l’'epouvante se trouvait dans le train.
D`es lors la difficult'e de l’entreprise se simplifiait rapidement, J'er^ome Fandor comptait sur une victoire, il y comptait fermement, ne la subordonnant qu’`a une seule condition, pouvoir changer de v^etements et monter `a Bruxelles au plus tard dans les wagons de voyageurs.
Ses espoirs ne devaient pas ^etre d'ecus, ils devaient tout au contraire ^etre r'ealis'es beaucoup plus vite qu’il ne s’y attendait.
J'er^ome Fandor, en effet, une fois le train parti, commencait `a s’ennuyer ferme sous sa b^ache. Il ne voyait rien, et pour cause, du paysage ; il grelottait de froid, et de plus, il 'etait fort incommod'ement install'e, car la vitesse du train lui plaquait maintenant `a la figure l’'etoffe grossi`ere qu’il 'etait oblig'e de tenir 'ecart'ee avec ses mains.
— Ca ne peut pas durer, pensa Fandor, c’est abominable ! Si seulement j’avais un illustr'e !
`A t^atons, J'er^ome Fandor examinait la voiture `a bord de laquelle il voyageait. Il lui vint tout `a coup `a l’id'ee qu’il avait encore dans sa poche la petite lampe 'electrique dont il ne ne s'eparait jamais.
— Oh ! eh ! fit-il, c’est 'epatant, cela.
Et J'er^ome Fandor alluma la lampe tout en se disant qu’il ne fallait pas abuser de l’'eclairage, car si d’aventure la lumi`ere rendait la b^ache transparente, il avait toutes les chances du monde d’^etre rapidement signal'e.
`A la lueur de sa petite lampe 'electrique, cependant, J'er^ome Fandor continuait `a examiner la voiture de course qui, tr`es certainement, avait 'et'e embarqu'ee `a bord du chemin de fer le jour m^eme ou elle avait fini ses essais, car elle 'etait encore pleine de boue peu s`eche.
— Une jolie voiture ! se dit Fandor.
Un grand coffre d’acajou destin'e `a l’outillage 'etait pos'e sur le marchepied, J'er^ome Fandor l’ouvrit :
— Je pense qu’il est vide, murmurait-il.
Mais le coffre ouvert, une exclamation lui 'echappait :
— Ah ! par exemple… Ca c’est trop de veine !
Dans le coffre, J'er^ome Fandor d'ecouvrait un de ces v^etements de toile bleue comme en portent les m'ecaniciens, et qui s’appellent, en raison peut-^etre de leur destination, des salopettes.
Le costume n’'etait pas neuf, il comportait, 'evidemment quelques taches de graisse, toutefois il 'etait relativement propre.
De plus, une casquette 'etait roul'ee au milieu, casquette que Fandor essaya imm'ediatement.
— De plus en plus fort, gouailla le journaliste. Comment diable tout cela va-t-il finir ? Tout me r'eussit trop bien en ce moment !
Et en m^eme temps qu’il se f'elicitait de sa chance, J'er^ome Fandor se h^atait d’en profiter. Il commencait par se d'eshabiller, retirait son gilet, son veston, son pantalon, pliait le tout fort proprement, 'epinglant par surcro^it sur ses habits un billet de cinquante francs qui certainement valait dix fois le co^ut de la salopette qu’il s’appr^etait `a voler.
Car J'er^ome volait la salopette…
— Jamais je ne trouverai, pensait-il, un d'eguisement meilleur. D’autant plus qu’une fois en bleu, personne `a Bruxelles ne pourra s’'etonner si l’on me voyait sortir de dessous cette b^ache. Je n’aurais qu’`a dire que je suis le m'ecanicien de la maison, et avec quelques boniments autour de cette d'eclaration, j’'eviterai qui je voudrais…
J'er^ome Fandor 'etait `a peine habill'e de la salopette que le train visiblement ralentissait.
— Tiens, se demanda le jeune homme, comment se fait-il ? Serions-nous d'ej`a `a Bruxelles ?
Il ne se trompait pas. Sous sa b^ache, il n’avait gu`ere eu le loisir de s’orienter, et c’est pourquoi il s’avouait surpris.
Quelques instants plus tard, en effet, le train stoppait en gare de Bruxelles, et la chance servait encore J'er^ome, car son wagon attel'e en queue demeurait hors du hall dans un coin d’ombre, en un endroit o`u il lui 'etait 'evidemment facile de s’enfuir inapercu.
J'er^ome Fandor se glissa hors de la b^ache, se laissa tomber sur le quai ; il souffrait encore terriblement de sa foulure, mais le repos lui avait fait du bien.
Avec satisfaction, le journaliste le constata. Puis, sa physionomie se rembrunit, ses sourcils se fronc`erent :
— `A nous deux, Fant^omas, `a nous deux ! murmurait-il, les enjeux sont faits, la partie commence… `a qui la banque ?
J'er^ome Fandor, un quart d’heure plus tard, s’applaudissait de son stratag`eme et du d'eguisement qu’il avait ainsi adopt'e, sans pourtant avoir eu le temps de beaucoup r'efl'echir.
Il circulait, en effet, dans la gare de Bruxelles, sans que personne par^ut faire attention `a lui, et il profitait de cet incognito parfait pour se livrer aux besognes qu’il jugeait indispensables s’il voulait mener `a bien, ainsi qu’il en avait l’intention, sa poursuite contre Fant^omas.