Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Lorsqu’il avait 'et'e pour ainsi dire cern'e dans son cabinet, Fant^omas s’'etait rendu compte que toute fuite 'etait impossible, il avait compris que Juve, en allant chez le procureur, allait le d'emasquer et que d’un instant `a l’autre on allait venir l’arr^eter.
Or, Fant^omas avait d^u se demander ce qu’on ferait de lui si on l’appr'ehendait et conclure que vraisemblablement on l’enverrait en prison. Si donc il parvenait `a s’'echapper, ce ne pouvait ^etre qu’apr`es avoir pass'e par la prison.
Alors, une id'ee merveilleuse avait germ'e dans l’esprit du bandit. Il avait donn'e des ordres tels au gardien chef, qu’il avait r'eussi `a se rendre plus libre en prison que partout ailleurs. Juve et le procureur comprenant enfin la ruse demeuraient constern'es. Le procureur g'en'eral se ressaisit et, s’adressant au gardien chef, il questionnait encore :
— Continuez donc, Jacquinet, dites-nous l’histoire jusqu’au bout, qu’avez-vous fait `a minuit ?
Le gardien chef r'epliquait simplement :
— J’ai ouvert `a M. Juve. Qu’auriez-vous fait `a ma place ?
Juve, atterr'e, ne prononca pas une parole, il se serra la t^ete entre les mains. Le procureur g'en'eral ne trouvait rien `a dire non plus. Une pens'ee lui vint soudain et toute la rage qu’il contenait en lui-m^eme jusqu’alors 'eclata :
— Mais, bougre d’imb'ecile, hurla-t-il en foudroyant du regard l’infortun'e gardien qui reculait terrifi'e jusqu’au fond de la pi`ece, mais, bougre d’imb'ecile, vous ne vous ^etes donc pas apercu que le prisonnier que l’on vous a amen'e 'etait le juge d’instruction avec lequel, une heure auparavant, vous veniez de vous entretenir ?
Le haut magistrat serait devenu subitement fou que Jacquinet ne l’aurait pas regard'e avec plus d’ahurissement. Il 'ecarquilla les yeux, stup'efait, ouvrit une bouche immense, resta quelques instants paralys'e de stupeur.
Mais Jacquinet avait du bon sens et de la logique. Il se reprit, et, interrogeant `a son tour, il observa :
— Pardon, monsieur le procureur g'en'eral, pardon, je ne sais pas si je viens de faire une b^etise, c’est possible, mais, pour ce qui est de me dire que le prisonnier d’hier soir et M. le juge d’instruction c’'etaient la m^eme personne, non, jamais de la vie. Je connais bien M. Pradier, avec sa barbe, sa moustache, ses favoris, ses grands cheveux grisonnants et boucl'es, sa bonne figure cordiale. Or, l’homme que m’ont remis les gendarmes avait un visage anguleux, des yeux rudes, la face compl`etement ras'ee, ce n’est pas M. Pradier. C’'etait bien une t^ete de policier, j’ai tout de m^eme un peu de flair, et, sans l’avoir jamais vu, j’ai reconnu Juve.
Le procureur se retourna vers l’inspecteur de la S^uret'e :
— Monsieur Juve, d'eclara-t-il, vous entendez ce sinistre cr'etin, il vous a reconnu.
Et, cependant que le procureur se tordait les mains dans un geste d’accablement et que Jacquinet, de plus en plus abasourdi, regardait alternativement le magistrat, puis le personnage inconnu que M. Anselme Roche venait d’appeler Juve, l’inspecteur de la S^uret'e se leva. Tr`es calme, presque avec ironie, il d'eclara :
— Il y a des malchances qui s’acharnent sur des gens et v'eritablement la n^otre est exag'er'ee. Vous ne pouvez pas incriminer ce gardien d’avoir commis cette erreur, monsieur le procureur g'en'eral. Il a ob'ei aux ordres de son chef, et il a bien fait. Nous avions pris Fant^omas, il s’est 'evad'e, soit. Mais il part d'emasqu'e, sans argent, traqu'e de toutes parts. Au fond, peut-^etre cela vaut-il mieux. Sa fuite, r'eelle d'esormais, lorsque nous l’aurons repinc'e, nous 'evitera toutes sortes de formalit'es, car nous le repincerons, monsieur le procureur g'en'eral, j’en ai la certitude, nous le repincerons.
Un coup discret `a la porte du cabinet.
— Entrez, fit le magistrat.
C’'etait un t'el'egraphiste qui apportait une d'ep^eche.
— Monsieur le procureur, demanda ce jeune homme.
Anselme Roche s’avanca, prit la d'ep^eche.
— Tenez, fit-il en tendant le papier `a Juve, c’est pour vous.
L’adresse du t'el'egramme 'etait ainsi libell'ee :
Procureur g'en'eral de Saint-Calais, pour remettre `a Juve, inspecteur de la S^uret'e.
Juve d'echira le pointill'e et, de sa voix grave, lut le texte du t'el'egramme, qui 'etait ainsi concu :
Fant^omas s’est sauv'e de prison, mais je suis sur ses traces. Fandor.
La d'ep^eche 'etait dat'ee d’Orl'eans.
— Eh bien, monsieur Juve, que pensez-vous ? interrogea le procureur.
Juve ne r'epondit pas. Il prit en h^ate son pardessus, son chapeau, puis, une fois pr^et, revint vers le magistrat, s’inclina devant lui :
— Monsieur le procureur g'en'eral, d'eclara Juve, je pense que les minutes sont pr'ecieuses et que je n’ai plus un instant `a perdre pour rattraper Fant^omas. J’ai bien l’honneur de vous saluer.
FIN