Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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— Fort compliqu'e, en effet, monsieur le procureur.
Juve soudain s’arr^etait et pr^etait l’oreille. Le haut magistrat qui s’entretenait avec lui 'ecoutait 'egalement.
Dans les couloirs du Palais, tout au moins dans le couloir attenant au cabinet du procureur g'en'eral, on entendait des bruits confus de voix, des pas qui allaient et venaient, et comme `a cette heure d’ordinaire le Palais de Justice 'etait d'esert, que m^eme le concierge charg'e du nettoyage des salles et des bureaux ne faisait jamais de bruit car, jusqu’`a onze heures du matin, il se promenait en pantoufles, le haut magistrat 'eprouvait une v'eritable surprise.
— Quel est ce bruit ?
Le procureur ouvrit la porte, sortit dans le couloir et vit deux hommes qui parlementaient.
C’'etaient le concierge du Palais et le sieur Jacquinet, gardien en chef de la prison.
M. Anselme Roche appela Jacquinet :
— Qu’est-ce qu’il y a ? Que voulez-vous ?
Le gardien s’approcha respectueusement, s’inclina devant le magistrat, puis r'epondit :
— Je demandais M. Pradier, monsieur le procureur g'en'eral.
— M. Pradier ? reprit le magistrat, pourquoi donc ?
Le gardien, d’un air ennuy'e, r'epliquait :
— Parce que j’avais `a lui parler…
— `A lui parler `a cette heure-ci ? Est-ce donc bien urgent ?
— Oui, monsieur le procureur g'en'eral.
— M. Pradier n’est pas l`a, il est parti, parti pour quelque temps m^eme. Ne pouvez-vous pas me communiquer ce que vous aviez `a lui dire ?
— Si, monsieur le procureur g'en'eral, poursuivit le gardien chef, mais…
L’homme, en interrompant sa phrase, jetait autour de lui des regards inquiets. Le procureur comprit :
— Vous voulez ^etre seul pour parler ? soit, venez dans mon cabinet.
Dans le bureau du procureur g'en'eral, Jacquinet h'esita encore `a faire ses d'eclarations au magistrat, car il venait de s’apercevoir qu’une tierce personne qu’il ne connaissait pas se trouvait dans la pi`ece. Le procureur, pr'evenant tout scrupule, d'eclara :
— Vous pouvez parler devant monsieur, Jacquinet, je vous 'ecoute.
— Eh bien, voil`a, dit-il, M. Juve n’est pas rentr'e.
— Quoi ? fit le procureur g'en'eral, abasourdi par cet incompr'ehensible pr'eambule, et qui jetait les yeux pr'ecis'ement `a ce moment sur Juve, qui n’avait pas boug'e de son fauteuil.
Mais le gardien insista, pr'ecisa :
— Je lui ai ouvert sa cellule `a minuit, comme c’'etait convenu et depuis…
Aux derni`eres paroles du gardien chef, Juve s’'etait lev'e brusquement, comme m^u par un ressort. Le policier 'etait devenu tout p^ale ; quand au procureur g'en'eral, il suffoquait.
— Expliquez-vous, pr'ecisez, que signifie cette histoire ?
L’excellent Jacquinet, lui aussi, devinait qu’il avait d^u mal comprendre les ordres, ou qu’il avait commis quelque grosse b'evue. Il se troublait de plus en plus, balbutiant d’inintelligibles paroles :
— Eh bien, fit-il, voici : hier matin, monsieur le procureur g'en'eral, vous m’avez fait pr'evenir que j’aurais `a exercer sur un d'etenu que l’on am`enerait l’apr`es-midi une surveillance toute sp'eciale, qu’il fallait `a ce sujet m’entendre avec le juge d’instruction au sujet des pr'ecautions `a prendre.
— C’est exact, reconnut le procureur qui, se tournant vers Juve, lui expliqua : nous attendions `a ce moment l’arriv'ee du condamn'e de Louvain, vous savez qui je veux dire ?
Juve hocha la t^ete silencieusement, le gardien chef poursuivit :
— J’ai donc 'et'e trouver M. Pradier `a trois heures de l’apr`es-midi et il m’a dit ceci :
« — Oui, monsieur le juge.
« — Savez-vous, m’a demand'e alors M. Pradier, qui est ce prisonnier ?
« — Je lui cri r'epondu : « Oui, monsieur Pradier, je sais que c’est Fant^omas. » « Bien, qu’il m’a dit alors, 'ecoutez : vous croyez que c’est Fant^omas ? Or, ce n’est pas lui, c’est un policier qui, provisoirement, a pris sa place pour des raisons que vous n’avez pas `a conna^itre, et ce policier n’est autre que le c'el`ebre inspecteur Juve. »
— Est-ce exact, monsieur le procureur g'en'eral ?
— C’est exact, d'eclara le magistrat d’une voix tremblante, et M. Pradier ne vous a dit que la v'erit'e jusqu’`a pr'esent.
Le gardien chef avait un soupir de satisfaction :
— Eh bien, tant mieux, fit-il, cela me pla^it mieux, j’avais peur d’avoir fait une gaffe.
— Continuez, Jacquinet.
— Je continue, monsieur le Procureur… Pour lors, M. Pradier m’a dit : « L’extrad'e que l’on am`ene et qui passe aux yeux de tous pour ^etre Fant^omas, n’est donc autre que M. Juve. Comme il faut que tout le monde l’ignore, lorsque les gendarmes vous am`eneront le d'etenu, vous le mettrez dans une cellule `a part et vous le surveillerez en personne ; vous aurez l’air de faire la plus grande attention `a ce prisonnier, car, je vous le r'ep`ete, il faut que tout le monde soit convaincu que c’est bien Fant^omas qui est enferm'e sous votre garde. Toutefois, comme il s’agit de M. Juve, lorsque minuit sonneront, vous vous rendrez `a sa cellule, vous lui ouvrirez la porte et vous le ferez sortir de la maison d’arr^et, et ceci dans le plus grand myst`ere, avec les plus grandes pr'ecautions. Il ne faut pas qu’on le voie, qu’on le sache, avez-vous bien saisi ? »
Sans doute, l’excellent gardien chef avait bien compris les subtiles recommandations du faux Pradier, et Juve et le procureur qui entendaient le gardien chef rem'emorer ces instructions de Fant^omas avaient bien compris aussi.
Ah ! cette fois, l’audace du bandit et son habilet'e se manifestaient d’extraordinaire facon. Pourquoi diable le Roi du Crime avait-il donn'e un tel ordre au gardien de la prison ?
Oh, ce n’'etait pas difficile `a comprendre, si l’on admettait pour un moment que Fant^omas 'etait l’homme des r'esolutions rapides, des d'ecisions spontan'ees.