Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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PIERRE SOUVESTRE
ET MARCEL ALLAIN
LE MAGISTRAT
CAMBRIOLEUR
12
Arth`eme Fayard
1912
Cercle du Bibliophile
1970-1972
1 – DES BIJOUX DISPARAISSENT
`A peine un tilbury d’assez bonne mine, conduit par un cocher portant une livr'ee modeste, avait-il fait son apparition sur la grande place d'eserte de Saint-Calais, que le marquis Maxime de Tergall qui jusqu’alors fumait d’un air d'esoeuvr'e `a la terrasse de l’ H^otel Europ'een, se leva brusquement, traversa la petite salle, se dirigeant vers l’escalier qui conduisait aux 'etages.
Maxime de Tergall marchait `a grands pas et pourtant, dans son attitude, on devinait un certain embarras.
Il mit la main sur le bouton d’une porte, parut h'esiter quelques secondes, puis se d'ecidant `a ouvrir, passa la t^ete :
— Vous ^etes pr^ete, Antoinette ? Voil`a la voiture.
Une voix r'epondit, maussade :
— Je suis pr^ete. Oui.
Maxime de Tergall entra.
La chambre 30 de l’ H^otel Europ'eeno`u il venait de passer la nuit en compagnie de la marquise Antoinette n’avait rien de somptueux.
C’'etait une pi`ece proprette, garnie d’un mobilier de pitchpin r'eduit aux pi`eces essentielles : lit, table de toilette, armoire `a glace, commode, quelques chaises.
Il y avait une raison au s'ejour que les Tergall venaient de faire dans le petit h^otel de Saint-Calais. C’'etait une raison p'eremptoire, une raison d’
— Ainsi, c’est d'ecid'e ? Vous attendez ce M. Chamb'erieux ?
Maxime de Tergall haussa les 'epaules.
— Naturellement d'eclara-t-il. Je ne vais pas changer d’avis `a la derni`ere minute. Et puis, nous avons besoin de ces fonds.
— Vous avez bien r'efl'echi que je n’aurai plus un seul bijou ?
— Allons donc, vous exag'erez.
— `A peine.
— Mais si, ma ch`ere amie.
Antoinette de Tergall alla prendre dans une valise encore ouverte et demeur'ee sur la commode, une grande bo^ite en maroquin qu’elle tendit `a son mari :
— Eh bien, dit-elle d’une voix r'esign'ee, qu’il en soit selon votre d'esir. Tout de m^eme, c’est dommage, que vous ne vouliez point, au lieu de vendre ces bijoux, emprunter quelque argent sur nos terres ?
Maxime de Tergall ne r'epondit pas.
Il avait pris l’'ecrin que lui tendait sa femme, il s’'etait assis dans un vaste fauteuil, il ouvrait la bo^ite et s’absorba dans la contemplation des joyaux.
Antoinette de Tergall avait, sept ans plus t^ot, 'epous'e le marquis Maxime de Tergall, plus peut-^etre pour la joie de pouvoir 'ecussonner ses voitures que par amour v'eritable.
Mariage de convenance, o`u l’une apportait une dot en 'echange du nom de l’autre, mariage s'erieux, aussi, car la bonne entente r'egna en g'en'eral entre la marquise toujours amoureuse de son mari et Maxime de Tergall, fid`ele relativement, et tr`es conscient des avantages p'ecuniaires que lui avait valus son union.
Les Tergall n’'etaient pas riches pourtant. Bien que le train men'e au ch^ateau des Loges f^ut somptueux et de nature `a 'eblouir la soci'et'e de Saint-Calais, les Tergall connaissaient de mauvaises passes et des soucis d’'ech'eances comme les plus pauvres.
Or, r'ecemment une « occasion » extraordinaire avait tent'e le marquis. Attenant au parc proprement dit du ch^ateau, un bois s’'etait trouv'e `a vendre. Maxime de Tergall l’avait achet'e, il devait le payer dans quelques jours et, ses disponibilit'es 'etant restreintes, il en 'etait arriv'e `a proposer `a sa femme de vendre une collection de bijoux de famille que la marquise ne portait pas.
Antoinette d’abord, n’avait 'elev'e aucune objection, mais `a mesure que s’approchait le moment de se dessaisir de ses bijoux, elle s’'etait apercue qu’elle allait en ^etre fort priv'ee. C’est pourquoi, consid'erant son mari, la marquise reprenait :
— Nous aurions pu attendre pour acheter ce bois. En v'erit'e, je ne comprends pas du tout, Maxime, ce qui a pu vous d'ecider subitement `a cette acquisition.
On frappa `a la porte de la chambre.
— Entrez.
— La voiture du ch^ateau est l`a, madame la marquise, dit l’h^otelier.
— Merci, je descends. `A ce soir, Maxime.
— `A ce soir, ou `a tout `a l’heure, ma ch`ere amie. Je pense que je n’en aurai pas pour longtemps, nous sommes `a peu pr`es d’accord sur le prix, Chamb'erieux et moi. Je reviendrai d`es que je serai en possession des fonds. En bicyclette, vous le savez, je n’en ai pas pour plus d’une demi-heure.
Maxime de Tergall, sa femme partie, regagna la chambre 30 et, posant l’'ecrin sur le lit, se plongea dans la lecture du journal.
Le marquis 'etait soucieux, ennuy'e 'evidemment de la vente qu’il s’appr^etait `a faire, si ennuy'e m^eme qu’`a deux reprises il se leva, alla `a l’'ecrin, l’ouvrit, contempla encore la richesse des bijoux qu’il contenait, mais chaque fois il renferma les joyaux, haussant les 'epaules, tapant du pied, se d'eclarant :
— Apr`es tout, Antoinette est insupportable. Elle ne porte jamais ces diamants-l`a !
`A dix heures exactement, M. Chamb'erieux, le bijoutier convoqu'e par le marquis, arrivait `a l’ H^otel Europ'een.
M. Chamb'erieux 'etait un gros homme, de taille moyenne mais d’allure importante. Il arborait un veston de mauvaise coupe et une cha^ine de montre d’or massif, de travail compliqu'e, et `a laquelle pendait une v'eritable petite trousse : crayons, miroirs, canifs, brosses `a moustaches, qui attestaient la richesse de leur propri'etaire et t'emoignaient, mieux encore, de son mauvais go^ut. Bijoutier ? D’aucuns ajoutaient qu’il 'etait usurier surtout ; et s’il poss'edait sur la place de la R'epublique au Mans, `a quelque distance de la poste et de la c'el`ebre Taverne Gr"uber, un magasin somptueux, le plus clair de son revenu n’en provenait pas moins des trafics, pr^ets d’argent, avances d’hoiries, nantissements, qu’il consentait volontiers.