L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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PIERRE SOUVESTRE
ET MARCEL ALLAIN
L’'EVAD'EE DE
SAINT-LAZARE
15
Arth`eme Fayard
1912
Cercle du Bibliophile
1970-1972
1 – UNE VOCATION
La maison flambait toujours. D’abord on avait pu croire au triomphe complet des pompiers sur l’incendie, les ruines avaient paru d'efinitivement 'eteintes. Puis, le feu 'etait revenu insidieusement et le subtil ennemi, `a nouveau, envahissait le champ de bataille, `a nouveau tout rougeoyait et dans l’^acre fum'ee s’'echappant des pans de murs 'ecroul'es, des langues de flammes apparaissaient par moment qui montaient en tourbillonnant vers le ciel.
Aussi bien cela avait peu d’importance. De la maison `a six 'etages o`u logeait depuis tant d’ann'ees le grand policier Juve, il ne restait qu’une facade `a moiti'e effondr'ee, des monceaux de pierre calcin'ee. Toute la nuit, les pompiers avaient combattu le feu qui couvait, et au matin, avait retenti l’ordre :
— Noyez les d'ecombres, faites la part du feu.
De la maison incendi'ee, il ne restait plus rien. Mais il fallait pr'eserver les voisins.
Et c’'etait, au loin, dans la rue Bonaparte barr'ee par les agents d’un imposant service d’ordre dont M. L'epine en personne avait pris la direction, un murmure confus :
— Eh bien, c’est pas pour dire, mais c’est du beau travail.
— Le propri'etaire, si c’est qu’ca lui pla^it, va pouvoir planter des choux maintenant.
Mais le gouaille 'etait retenue. Une ombre passait sur le visage des curieux. On 'etait pr^et `a admirer l’incendie. Les d'eg^ats mat'eriels ? Le propri'etaire 'etait assur'e. Mais il y avait une victime, connue, aim'ee de tous.
Juve habitait l’immeuble. Juve y avait p'eri. Les journaux du soir l’avaient imprim'e. Ceux du matin allaient s’'etendre sur la carri`ere, les exploits, la personnalit'e du d'efunt. La n'ecrologie s’emparerait de sa lutte de g'eant contre le terrible Fant^omas.
Juve, celui qui conna^it l’Audace, le G'enie, l’Intr'epidit'e, le Devoir aussi, avait trouv'e la mort b^etement, dans l’incendie qui s’achevait. 'Etait-ce possible ? On concevait mal que le policier qui, depuis tant d’ann'ees, avait acquis l’habitude de fr^oler la mort, de la narguer, e^ut 'et'e pris `a un tr'epas si vulgaire.
Et les gens bien inform'es, se disaient :
— Moi, vous savez, on ne me fera jamais croire qu’il n’y a pas quelque chose l`a-dessous. Quand la maison o`u Juve habite br^ule, on peut tout supposer, et surtout qu’il y a du Fant^omas l`a-dessous.
— Juve mort ? disait un charpentier, allons donc, encore des trucs de d'eput'es. Pas plus mort que moi. D’abord, tout le monde sait que Juve avait une villa `a Saint-Germain. Donc rien ne prouve qu’il 'etait ici rue Bonaparte, et peut-^etre bien qu’il a pas plus grill'e que vous ou moi.
Mais ceux-l`a qui affirmaient que Juve 'etait sain et sauf 'etaient malgr'e tout en petit nombre… Juve, on le savait aussi – on croyait le savoir plut^ot – 'etait paralytique. C’'etait dans son lit, dans le lit o`u sa cruelle maladie le clouait, que les flammes avaient d^u le trouver.
— H'e pompier de malheur, demandait un grand diable de terrassier qui, une demoiselle appuy'ee devant lui et ses outils de travail sur l’'epaule, stationnait depuis quelques minutes, h'e pompier de malheur ? Est-ce qu’on a des nouvelles de Juve ? Est-ce qu’on l’a retrouv'e le pauvre vieux ?
Le pompier haussa les 'epaules.
— Alors, si vous ne l’avez m^eme pas retrouv'e, `a quoi donc que ca sert qu’on vous ait foutu les pompes automobiles ?
— Vous trouvez que ca ne sert `a rien ? fit-il, eh bien, et les maisons voisines ? Comment voulez-vous qu’on retrouve Juve ? Vous croyez qu’on peut entrer dans les ruines, vous ? Eh bien allez-y donc puisque vous ^etes si malin.
— C’est vrai, on ne peut pas entrer l`a-dedans.
La fournaise, en effet, paraissait encore impraticable, fum'ee, flammes qui, par moments, r'eapparaissaient, danger des murs qui s’effondraient, des planches qui c'edaient. P'en'etrer dans les ruines, en ce moment, e^ut 'et'e vraiment braver la mort.
M. L'epine ne s’y 'etait pas tromp'e :
— Pas de d'evouement stupide, avait-il dit au capitaine des pompiers. Il ne faut pas que l’un de vos hommes soit bless'e, sans la moindre utilit'e pour personne. Que personne ne tente de fouiller les d'ecombres. Juve est 'evidemment mort. Il sera toujours temps de rechercher ses ossements par la suite.
Les pompiers se contentaient donc de monter la garde autour des d'ecombres.
Dans ces d'ecombres, toutefois, quelqu’un remuait.
'Etrange individu `a coup s^ur que celui qui avait r'eussi `a p'en'etrer dans l’amoncellement des ruines embras'ees. Il 'etait presque invisible, tant la fum'ee 'etait 'epaisse, tant la poussi`ere s’'echappant des 'eboulis de mat'eriaux 'etait ^acre et profonde. On ne l’e^ut pas vu `a un m`etre de distance, mais on l’e^ut entendu, car il fredonnait :
Les petits oiseaux chantent dans le bocage.
Les petits oiseaux chantent pr`es du ruisseau.
— Zut, voil`a une pierre. Au fait, c’est pas ca qui manque, les pierres, et quel dommage tout de m^eme de penser qu’on va geler tout l’hiver quand il y a tant de feu gratis en ce moment, et qu’on ne peut pas en fiche de c^ot'e.
Les petits oiseaux chantent pr`es du ruisseau
Les petits oiseaux ne chantent plus en cage.
— `A la fin, j’crois bien que je m’en vais me faire griller tout comme une alouette. Ca ne fait rien, qu’est-ce qu’il avait l’air 'epat'e, le cogne, quand je me suis faufil'e sous sa p`elerine, ah mince ! Il ouvrait des yeux en porte coch`ere. H'e, h'e, gare `a la manoeuvre !
Les petits oiseaux vont sous le ciel bleu
Les petits oiseaux…
— Zut, y a tr`es peu de petits oiseaux. Et puis, c’est pas tout ca, j’vas me salir.