L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Mais une ombre venait de se glisser, rapide et silencieuse dans le couloir de la maison, sans s’arr^eter, comme d’usage, devant la loge.
Le balai `a la main – car la concierge 'etait une femme prudente – elle bondit hors de son r'eduit obscur, et d’une voix aigre, cria :
— Qu’est-ce que c’est ? qui c’est qu’on demande ?
— Vous bilez pas la petite m`ere, on ne vient pas pour vous barboter votre escalier, ni les tapis qui sont absents.
— Ah c’est toi, Riquet ? Sale petite fripouille, qu’est-ce que tu fiches encore par ici ?
— Bon Dieu, que vous ^etes curieuse, c’est vrai que ca fait partie de votre m'etier. Eh ben voil`a, j’me prom`ene. Je m’en vais voir une copine, la petite Blanche.
La concierge rentra un instant dans sa loge, puis en ressortit pr'ecipitamment :
— Ca se trouve bien, fit-elle, subitement radoucie, puisque tu montes chez elle, tu lui donneras cette lettre `a Mlle Perrier. D'ep^eche-toi, fit-elle, tu vois bien qu’il y a 'ecrit dessus :
— Qui c’est, interrogea-t-il, qui lui 'ecrit ?
— Comment veux-tu que je le devine ? Ca vient s^urement du proprio.
— Alors, conclut Riquet, en mettant froidement la lettre dans sa poche, les lettres de proprio ca ne peut ^etre que des emb^etements, je la lui donnerai le plus tard possible.
Sans s’inqui'eter des protestations de la concierge, Riquet sifflant la derni`ere chanson `a la mode s’'elanca lestement dans l’escalier et gravit `a toute allure les deux premiers 'etages. Apr`es quoi, il ralentit son ascension, fuma une cigarette puis se d'ecida enfin `a monter encore deux 'etages. Il parvint `a la porte du logement de Blanche Perrier, frappa un coup discret. Ce fut la jeune femme qui vint lui ouvrir.
C’'etait une blonde au teint p^ale, diaphane, aux yeux 'etrangement brillants. Elle sourit en apercevant Riquet, et lui fit signe d’entrer, tout en s’excusant du l'eger d'esordre qui r'egnait dans son modeste logis.
— Alors, ca va ? demanda Riquet.
— Ca va. Ce n’est pas une heure pour faire les visites, aussi tu m’excuseras de te recevoir comme ca, en n'eglig'e.
— Non mais, c’est-y que tu vas faire des mani`eres avec moi ? on est tous les deux des ouvriers et pas des gens du grand monde. Manquerait pus que tu m’offres de m’asseoir dans un fauteuil et de prendre une tasse de th'e.
Riquet, d’ailleurs, s’'etait avanc'e au fond du logement constitu'e par deux pi`eces. La premi`ere servait d’antichambre et de cuisine, la seconde de chambre `a coucher et de salle `a manger. Riquet avait avis'e le petit Jacques qui jouait sur le tapis us'e jusqu’`a la corde avec une vieille poup'ee toute fan'ee. Il prit l’enfant dans ses bras, l’'eleva jusqu’`a la hauteur de son visage et appliqua sur ses joues rebondies deux baisers retentissants :
— Ca boulotte le gosse ? Il a l’air joliment solide ton sal'e.
— Ah, s’'ecria Blanche Perrier, c’est pas faute de le nourrir, et ca co^ute, va ! Tu comprends bien que je mets tous mes sous dans sa nourriture. J’ach`ete ce qu’il y a de mieux comme lait cachet'e pour l’'elever et dame…
— Et dame, les sous, c’est rare, n’est-ce pas, Blanche ?
— Oui, d’autant plus qu’il m’est arriv'e une sale histoire.
— Je sais, dit-il, le p`ere Landry, mon dab, t’a donn'e ton compte `a l’usine. C’est justement pour ca que je viens te voir… II ne faut pas que tu lui en veuilles. C’est pas de sa faute.
— Oui, fit Blanche, il avait recu des ordres de la patronne, et c’est rapport `a Didier qu’on m’a jet'ee dehors.
— Tu crois qu’il a parl'e `a sa famille ? interrogea Riquet.
— J’en suis s^ure.
Les deux interlocuteurs s’arr^et`erent de parler, on venait de frapper `a la porte. Une grosse voix annonca :
— C’est la Compagnie laiti`ere.
Blanche tressaillit :
— Mon Dieu que faire ? Voil`a trois fois qu’ils reviennent et je leur dois de l’argent.
— Laisse-moi les recevoir, dit Riquet, qui se pr'ecipitait `a la porte.
Un garcon livreur se trouvait l`a, une bouteille de lait d’une main, une facture de l’autre.
— C’est Mme Perrier, fit-il que je demande, rapport `a la note. Si elle ne paye pas, la Compagnie ne livrera plus.
— C’est bon, c’est bon, fit Riquet, donne toujours ta fiole, mon vieux.
— C’est quinze francs fit l’homme.
— Quinze francs le litre ? s’'ecria Riquet scandalis'e.
— Non, expliqua le livreur, mais il y a eu du retard dans les paiements, et aujourd’hui, ca fait une note de quinze francs.
— Voil`a toujours une thune, fit-il, en acompte.
Le garcon livreur h'esitait, mais Riquet insista, lui frappant sur l’'epaule :
— Prends toujours ca, et donne la bouteille, demain on paiera, c’est couru d’avance.
Riquet lanca une plaisanterie qui fit rire le livreur, et celui-ci c'eda.
Blanche Perrier, toute tremblante, avait 'ecout'e avec anxi'et'e cet entretien, se demandant quelle allait en ^etre l’issue. Elle remercia chaleureusement Riquet :
— Sans toi, dit-elle, je ne sais pas comment j’aurais fait. Et je me demande ce que je vais devenir. Plus de travail, des dettes de tous les c^ot'es.
— Bah, on se d'ebrouillera pour t’aider et puis tu as un bon m'etier dans les mains, tu trouveras une nouvelle place.
— C’est si difficile, et avec mon gosse, je ne peux pas travailler r'eguli`erement comme une autre.
— Fais autre chose : des m'enages, t^ache d’aller figurer au cin'ema, vends des fleurs.
Cependant, Riquet pr^etait l’oreille. `A travers la cloison, on entendait de temps `a autre une sorte de roulement, de l'eger grondement, qui s’interrompait, puis recommencait, s’arr^etait encore pour reprendre ensuite :