L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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— Tiens, Taxi n’est pas encore descendu ?
— Je ne sais pas, dit Blanche, j’ai eu tant `a faire ce matin que je ne me suis pas occup'ee de lui.
— Ces mendiants-l`a, c’est toujours riche comme Cr'esus, j’ai bien envie d’aller taper `a sa porte pour taper ensuite `a sa bourse.
— Ah, je t’en supplie, ne lui demande rien. De toi je veux bien accepter, parce que je te connais depuis longtemps et que je ne fais pas de mani`eres avec un ami.
— T’occupe pas, Blanche, fit-il, c’est pas des choses qui te regardent, je suis bien libre, pas vrai, d’aller demander `a Taxi de m’avancer une thune ou deux. Quand je les aurai, je les d'epenserai comme il me plaira.
Blanche Perrier voulait protester encore, car elle savait bien que l’argent emprunt'e par Riquet ne tarderait pas `a lui ^etre donn'e de force. Mais le gamin 'etait d'ej`a hors du logement, et il tambourinait `a la porte de la pi`ece voisine.
Le m^eme roulement que l’on avait entendu quelques instants auparavant recommencait. Puis, la porte s’entreb^aillait, Riquet p'en'etrait chez le voisin et 'eclatait de rire en l’apercevant. Peut-^etre y avait-il de quoi. L’individu en face duquel Riquet se trouvait d'esormais et qui n’'etait connu que sous le sobriquet de Taxi, 'etait une sorte de mendiant aux allures d'epenaill'ees, qui, sans doute, devait avoir quelque infirmit'e, quelque paralysie des jambes, car il circulait sans cesse, m^eme dans son logement, accroupi ou pour mieux dire assis en tailleur sur une sorte de petit tra^ineau `a trois roues qu’il faisait avancer ou reculer en le poussant avec des fers `a repasser qu’il tenait dans les mains, et avec lesquels il se dirigeait, semblable en tous points `a un cul-de-jatte qui aurait eu des jambes, mais des jambes inutilisables. Il paraissait jeune encore, portait une chevelure hirsute et une barbe longue aussi mal faite qu’il 'etait possible d’imaginer.
— Bonjour Taxi.
— Bonjour Riquet.
— Alors, ca va ?
— Ca va.
L’infirme avait recul'e son v'ehicule, puis il tendait le bras vers une bouteille `a demi pleine, qui se trouvait sur une table encombr'ee d’objets. Il la posait par terre et, extrayant de dessous l’armoire deux verres `a peu pr`es propres, il les emplit jusqu’au bord.
— Tu vas prendre le vin blanc avec moi, Riquet.
— Ce n’est pas de refus, faisait le gamin qui s’assit sur le plancher.
« Sacr'e Taxi, fit-il, toujours du bon vin dans ta cave.
— Qu’est-ce que tu veux ? fit l’infirme, c’est mon seul luxe, et je n’ai pas d’autres d'epenses. Tu comprends bien qu’avec une acad'emie comme la mienne, j’ai pas beaucoup `a compter sur les affaires de coeur.
— Parbleu, et tu t’en consoles en soignant ton ventre.
— Comme tu dis, jeune fripouille.
— C’est 'egal, tu dois ramasser pas mal de fafiots au bout de ta semaine.
— C’est selon, ca d'epend des quartiers. Mais pourquoi me demandes-tu tout cela ?
— Tiens, fit Riquet, histoire de savoir s’il y a du bl'e dans tes profondes.
— Bois donc, Riquet.
— Puisque tu es plein aux as, faudrait voir `a me refiler quelque pognon, rapport `a une gerce qui se trouve dans la d'ebine.
— Nom d’un chien grommela le mendiant, si tu crois que je vais turbiner pour t’aider `a faire le coq dans un poulailler dont je ne peux m^eme pas voir les poules, ce qui me rincerait l’oeil de temps `a autre.
— La m^ome Perrier est dans une mouise, tout ce qu’il y a de tass'e. Elle avait m^eme pas un rond dans sa t^ole tout `a l’heure, et il faut raquer une douloureuse demain matin pour le biberon du sal'e.
— Ca, c’est une autre affaire. Du moment qu’il s’agit d’une aminche.
Avec des gestes difficultueux, l’infirme tira du fond de sa poche une vieille bourse en cuir o`u il prit deux pi`eces d’or.
— Ca fera-t-y le compte ?
Tout joyeux Riquet s’empara de l’argent :
— C’est tout ce qu’il y a de bien, c’est m^eme mieux que ce que j’aurais pens'e. Attends, Taxi, que j’aille lui porter ca tout de suite, s^ur que pour te remercier elle voudra t’embrasser.
— Pas besoin de remerciement, fit-il d’abord, il est temps que j’aille au turbin. J’ai fait le l'ezard ce matin, faudra rattraper ca tant^ot. Aide-moi `a arriver jusqu’`a l’escalier.
Riquet s’empressa de rendre service `a Taxi. Au surplus, c’'etait pour le gavroche un amusement toujours nouveau que de voir l’infirme descendre ses six 'etages. Taxi commencait par s’assujettir le chariot autour des reins, par une solide courroie. Puis, ayant travers'e l’'etroit palier qui le s'eparait des premi`eres marches, il laissait rouler le v'ehicule supportant tout son poids jusqu’au bas des 'etages, en ayant soin de se maintenir pour en mod'erer l’allure, en se cramponnant aux balustres de fer de la rampe de l’escalier. Cette descente quotidienne faisait grand tapage et ameutait g'en'eralement les locataires de la maison. Mais cela n’'etait pas pour d'eplaire `a Taxi, qui 'etait la gaiet'e en personne, ayant toujours une blague `a dire ou `a faire aux comm`eres et aux camarades sur son passage.
Taxi, lorsqu’il atteignit le trottoir, roula jusqu’`a la rue de la Chapelle, puis, tranquillement, il attendit le passage du tramway, se hissa sur la plate-forme `a la port'ee de ses bras et, d`es lors, attendit d’arriver dans les quartiers 'el'egants o`u il allait faire sa collecte habituelle.
Auparavant, Taxi avait d^u accepter d’entrer un instant chez la jeune femme. `A toute force, celle-ci voulait le remercier. Elle 'etait rougissante et honteuse d’accepter de semblables avances.
— Didier ne tardera pas `a venir et je pourrai rembourser.
— J’y compte bien, d’ailleurs, avait d'eclar'e Taxi, et je sais que tu rends toujours l’argent qu’on te pr^ete. C’est pour ca que je ne me fais jamais prier pour t’en donner, lorsque j’en ai, il faut s’entraider.
Blanche, toutefois, avait quelque chose `a demander `a l’infirme. Profitant d’un moment o`u Riquet jouait avec le petit Jacques dans la pi`ece voisine, elle s’agenouilla sur le sol pour ^etre `a la hauteur du quasi-cul-de-jatte et interrogea :
— Toi qui circules beaucoup dans Paris, Taxi, as-tu pu faire ma commission ?
— Quelle commission ? demanda-t-il.
— Tu sais bien, poursuivit Blanche, il s’agissait d’aller porter une lettre au domicile d’une jeune fille que j’ai connue autrefois lorsque j’habitais `a Belleville. Une fleuriste, on la surnomme La Gu^epe `a cause de sa jolie taille, mais de son vrai nom, c’est H'el`ene.
— Non, j’ai pas pu faire ta commission, j’ai toujours ta lettre dans ma poche. C’est tr`es difficile pour moi d’aller `a Belleville, c’est loin, ca monte et les clients y sont rares. D’abord, qu’est-ce que tu lui veux, `a cette fille ?