L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Ils entouraient qui ? Ils entouraient Taxi, renfonc'e dans son petit chariot, qui refusait de boire de l’absinthe, et « ses boniments », ainsi que famili`erement on d'enommait ses discours, 'egayaient l’assembl'ee :
— Plus souvent, criait le paralytique, de sa voix chevrotante, plus souvent que j’en boirai de votre truc. J’suis pas retomb'e en enfance, moi. Garcon, un demi-setier d’aramon.
Un demi-setier d’aramon ? `A c’te heure-ci, ca ne valait rien, il prendrait bien une fine ? un marc ? un calvados ?
— Eh bien, va pour le calvados. D’abord ca me rappellera la Normandie et la Normandie, il n’y a que ca. Bon Dieu de sort, merci messieurs, restez couverts. Ca fait du bien par o`u qu’ca passe.
— Ca te donne pas envie de danser, Taxi ?
— Tu cherres, c’est de la paralysie que j’ai. Pas la danse de Saint-Guy.
Peut-^etre aurait-on caus'e encore longtemps si le gros Hilaire, ayant achev'e un compte fort embrouill'e avec celui de ses clients qui venait d’offrir la derni`ere tourn'ee, n’'etait sorti subitement de son apathie coutumi`ere pour taper `a gros coups de poing sur le zinc de son comptoir :
— Et puis c’est pas tout ca, les gars, faudrait voir `a vous tirer des pattes. Allez ouste, d'ecanillez ! V’l`a presque une heure. J’ai pas de permission, si les cognes venaient `a passer, il y aurait du gras pour tout le monde. Magnez-vous dans la sorgue.
— Quoi ? verse encore une tourn'ee.
— Ouste les gars, trottez-vous, que je vous dis, l’heure c’est l’heure et j’connais qu’ca, fichez le camp, par la fen^etre ou par la porte, comme vous voudrez, allez vous pieuter ! L’heure c’est l’heure. Vous trouverez bien le temps de revenir demain, tas de licheurs que vous ^etes. Du balai, que j’vous dis ou j’m’en vas sonner.
Sonner, dans l’argot sp'ecial du p`ere Hilaire, c’'etait se mettre dans une col`ere 'epouvantable ; or, nul ne se souciait, pour des raisons diverses 'evidemment, d’exciter le courroux du cabaretier. Quand Hilaire sonnait, lui qui d’ordinaire 'etait le plus doux des hommes, il devenait terrible. On se rappelait qu’un jour, dans une dispute, un certain Gras-Double, un mec `a la redresse pourtant, avait 'et'e balanstiqu'e par lui dans la vitrine, si rudement, qu’il s’'etait cass'e les deux bras. Une autre fois, `a lui seul, Hilaire avait si bien secou'e les puces `a deux rousp'eteurs, qu’on les avait retrouv'es `a dix m`etres du cabaret `a moiti'e morts, l’un le cr^ane fendu, l’autre le ventre d'efonc'e.
Taxi 'etait d'ej`a parti. Le bruit de son chariot, vigoureusement pouss'e, s’'etait perdu dans la nuit. Un `a un, les compagnons se retir`erent.
Hilaire croyait la salle vide. Il 'etouffa un juron en s’apercevant qu’il y restait deux joueurs de dominos.
— Et vous, commenca le patron, qu`eque vous faites l`a encore ? j’ai donc pas dit qu’il 'etait l’heure de fermer ? allez, raquez voir votre d^u ! C’est quatorze sous que vous me redevez et puis, videz, nom de Dieu, c’est compris ?
L’un des deux hommes leva la t^ete, toisa le patron avec un sourire ironique. Il ordonna :
— La paix, cabaretier, et pas de cris comme ca ! On s’en ira quand on voudra.
— Tout de suite ! hurla Hilaire.
— Cela d'epend, r'epondit l’homme.
Sans affectation, avec un calme imperturbable, il avait mis la main dans sa poche et maintenant `a la lueur du seul bec de gaz demeur'e allum'e dans le bouge, le bronze d’un revolver miroitait sur ses genoux.
— Un instant, dit encore l’homme.
En m^eme temps, de sa main gauche il fouilla sous sa veste boutonn'ee, au col relev'e, prit dans son gousset une montre en or :
— Une heure, murmura-t-il. Il ne peut plus ^etre loin. C’est bien le moment.
Hilaire n’avait pas encore eu le temps de fulminer contre l’inconnu qui ne semblait tenir aucun compte de ses ordres, que celui-ci s’adressait `a son compagnon :
— Paie et viens.
— C’est l’heure ?
— C’est l’heure.
Le second inconnu paya. Il se leva. Les deux hommes, sans un mot, travers`erent la salle basse pour sortir sur l’avenue de Saint-Denis.
Au sortir du cabaret les deux hommes, apr`es avoir sembl'e h'esiter une seconde, avaient travers'e la grande avenue, puis, `a petits pas, ils remont`erent dans la direction de Paris.
— Si j’ai bien calcul'e mon affaire, disait l’homme `a la montre en or, si je ne me suis pas tromp'e, il faut `a peu pr`es un quart d’heure pour venir de la barri`ere jusqu’ici. Le dernier tramway part `a une heure moins le quart, il a d^u le manquer. S’il l’a manqu'e, il ne peut que revenir `a pied. S’il revient `a pied il va ^etre l`a.
— Et s’il ne revenait pas `a pied ?
— C’est la chance `a courir.
— Arr^ete, 'ecoute… Tu entends ?
— Rien du tout. Non ?
— Le voil`a.
— Tu crois ?
— Regarde.
La main tendue, il d'esignait au lointain une ombre qui s’avancait.
— C’est peut-^etre un passant ?
— C’est lui, je t’assure, je reconnais son pas.
En m^eme temps il forcait son compagnon `a s’aplatir contre la balustrade qu’ils longeaient.
— 'Ecoute, reprit l’homme `a la montre, tu as bien compris ? J’ai m^urement r'efl'echi, c’est n'ecessaire et c’est forc'e. En tout cas, ne m’appelle pas par mon nom, `a aucun prix, on ne sait pas. On se croit seul, et puis…
— Je ne sais pas pourquoi, j’ai peur.
— Idiot. Tiens, je te disais de m’appeler… voyons… Albert, Albert ? tu y penseras ? Moi, j’t’appellerai, hum, Louis. Albert et Louis, des noms comme tout le monde. Maintenant, silence, ne bouge plus, je vais regarder o`u il en est.
`A cinquante m`etres, le passant arrivait, marchant vite, les mains dans ses poches. Alors brusquement Albert se renfonca dans la nuit.
D’un coup de coude il attira l’attention de son compagnon. Il avait p^ali. C’est d’une voix blanche qu’il souffla :