L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
Шрифт:
Puis, Fandor s’'etait pos'e une question. Que Juve f^ut r'eellement mort, qu’il se f^ut laiss'e enfermer chez lui par Fant^omas, qu’il e^ut 'et'e victime de l’incendie, c’'etait incroyable puisque la paralysie de Juve n’'etait qu’illusoire. Discr`etement, Fandor avait enqu^et'e. Il s’'etait rendu rue Bonaparte et s’il n’avait pu p'en'etrer dans les d'ecombres, il avait pu du moins, interviewer de nombreux t'emoins. Et Fandor avait tressailli en apprenant qu’au plus fort de l’incendie, quelqu’un avait prononc'e cette phrase, surprenante `a coup s^ur :
— Juve est mort, c’est vrai, ou s’il n’est pas mort, il n’en vaut gu`ere mieux !
Fandor n’avait pas h'esit'e :
— Un seul homme a pu parler de la sorte : Juve.
D’autres faits, depuis, 'etaient venus rassurer le journaliste. Certes, les journaux avaient multipli'e les articles biographiques sur le malheureux policier d'ec'ed'e. Certes, le bruit du tr'epas s’'etait accr'edit'e, mais M. Havard non seulement n’avait pas sembl'e affect'e, mais encore, pour parler vulgairement,
— C’est tout de m^eme rigolo, se disait le journaliste, on ne songe m^eme pas `a inscrire Juve, sur la plaque des Victimes du Devoir.
Rassur'e, le jeune homme s’'etait dit alors :
— Juve ne donne pas de ses nouvelles, pour mieux rester dans l’ombre. Je vais me cacher moi aussi.
Fandor avait beaucoup ri de l’invention de Juve se faisant passer pour paralytique. Aujourd’hui, il l’avait froidement copi'e : seulement, comme le repos lui co^utait, il s’'etait donn'e une paralysie sp'eciale. Il s’'etait fait paralytique-mendiant, paralytique mobile.
Mais que faisait donc Fandor `a la porte de la prison Saint-Lazare ?
Riquet allait parler, r'ev'eler `a Fandor qu’il connaissait Juve quand le journaliste sauta dehors, lui disant :
— Le m^ome, attends-moi ici, sans faute.
Fandor cependant, remontait vers Saint-Lazare. Il arriva juste `a temps pour voir se refermer devant lui, sur le « panier `a salade », retour du Palais de Justice, les portes de la prison. Il vit une grosse vieille femme s’agitant entre deux gardiens, visiblement au paroxysme de la col`ere.
— Avec tout ca, je n’a rien vu de la rentr'ee du Palais, pourvu qu’il n’y ait pas eu une nouvelle pomme de terre.
Or, chose bizarre, la vieille femme ramass'ee par les agents songeait `a la m^eme minute :
— Je n’ai pas perdu ma matin'ee, puisque j’ai pu le voir.
Que signifiait tout cela ?
Fandor, `a pas lents, reprit, r^eveur, la direction du cabaret o`u Riquet l’attendait.
— Il est extraordinaire ce gosse, se disait Fandor, et c’est peut-^etre une excellente recrue. Vif, intelligent, aimant la police, il peut m’^etre utile. Tout de m^eme, qu’a-t-il surpris au juste ? Que j’ai ramass'e une pomme de terre tomb'ee du « panier `a salade ». Bah, cela n’est pas bien grave. J’imagine que ce fait ne le conduira pas `a inventer que je viens de prendre rendez-vous avec H'el`ene `a l’int'erieur m^eme de cette prison.
Fandor, souriait maintenant.
Dans la pomme de terre qu’il avait ramass'ee, en effet, il avait trouv'e, dissimul'e, un mince petit papier, un petit papier sur lequel celle qu’il aimait, H'el`ene, la fille de Fant^omas, toujours d'etenue `a Saint-Lazare depuis que Juve avait ordonn'e son arrestation, avait 'ecrit :
Je suis `a l’infirmerie, si vous pouvez venir me rejoindre, venez.
Et ces seuls mots, ces mots qu’il se r'ep'etait en lui-m^eme `a toute seconde, ces mots qui demandaient quelque chose de presque impossible – comment parvenir, en effet, jusqu’`a l’infirmerie de la prison ? – Fandor n’'etait pas loin de les regarder comme une promesse formelle de bonheur.
6 – L’ENQU^ETE DE JUVE
Limoneuse, car les crues de l’hiver avaient effroyablement grossi son cours, la Seine coulait `a grands flots rapides le long des flancs de la Marie-Jeanne, la vieille p'eniche amarr'ee `a quelques encablures de l’'ecluse de Saint-Denis. Le bouillonnement des eaux secouait lentement la grande barque et le patron lui-m^eme, mollement 'etendu sur le pont arrondi de son embarcation, go^utait l’oisivet'e de cette minute, sommeillant `a demi, attendant que l’'ecluse s’ouvr^it pour livrer passage `a son bateau. Il faisait beau et le vent tr`es doux irisait juste assez le sommet des petites vagues pour que le soleil p^ut s’y r'efl'echir, y allumer les scintillements d’une infinit'e de diamants.
Or, tandis que le p`ere Denis sommeillait, l’un de ses hommes, un marinier `a la figure joviale, trop souvent rougie peut-^etre par les chaleurs de l’alcool, l’apostropha :
— H'e, patron, r'eveillez-vous, v’l`a vingt-cinq francs qui passent.
— Qu'eque tu racontes ? vingt-cinq francs qui passent ? o`u ca ?
— Dans la flotte, patron, zyeutez plut^ot. `A droite l`a. Juste o`u c’est qu’il y a le morceau de bois.
En avant de la p'eniche, pouss'ee vers elle par le courant, une masse noire flottante `a demi submerg'ee, s’avancait. De prime abord, c’'etait un paquet quelconque, un amas d’'etoffe, un chiffon peut-^etre, un bois flottant. Eh non, c’'etait un noy'e.
— Vingt-cinq francs qui passent, r'ep'etait le marinier. Tout de m^eme, si on se donnait la peine d’aller les cueillir au passage ?
En parlant, le brave homme traversait le pont de la p'eniche, se disposant `a descendre dans un bachot attach'e derri`ere la Marie-Jeanne, `a l’abri de son gouvernail.
— Qu`eque qu’tu vas faire ?
— Patron, j’vais le crocher au passage. Vous ne venez pas me pr^eter la main ?
— Bouge pas, commandait-il, reste-l`a, mon vieux. Ah, plus souvent que j’irai te pr^eter la main ou m^eme que je te laisserai retirer un macchab'ee de l’eau. Ah malheur, on voit bien que tu es jeune. Pourquoi que tu veux l’arr^eter celui-l`a ? il s’en va, laisse-le s’en aller.
— C’est vingt-cinq francs patron, qu’on donne `a la Pr'efecture.
— Peuh, on dit ca. Vingt-cinq francs. Bien s^ur, c’est vingt-cinq francs qu’on donne, mais faut s’d'eranger dix fois, faut donner son nom, son adresse, faut 'ecrire des lettres, signer des paperasses et un tas de choses encore, et des histoires `a n’en plus finir. Vingt-cinq francs `a toucher, tu dis ? Dans l’temps, moi aussi, quand j’en voyais des noy'es, je les rep^echais, mais, maintenant, ah zut alors, un coup de chapeau et bonsoir monsieur, voil`a ce que je fais et ce que je leur dis. Reste tranquille. Bien du plaisir. Tu ne t’imagines pas ce que c’est que d’rep^echer un noy'e.