L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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— Ton p`ere, assura Mme Granjeard, est mort sans testament, il ne t’a pas laiss'e un sou.
— Je le sais, fit-il, mais si je ne me trompe, il me revient de droit quelque chose, cela s’appelle, je crois : la quotit'e disponible.
— Ma parole, grommela la veuve Granjeard, tu es joliment bien renseign'e, mais je ne le veux pas. Tu ne quitteras pas la maison. Tu t’associeras `a tes fr`eres.
— Non, ma m`ere, je ne veux pas, je ne peux pas.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Dis-moi la v'erit'e, tu as fait des dettes ?
— Non, d'eclara Didier, mais je vais en faire.
— Pourquoi ?
— Parce que, avoua Didier, j’ai des charges et des obligations.
— Explique-toi ! Que veux-tu dire ?
— Eh bien, voil`a maman, mieux vaut, en effet, que vous le sachiez, l’heure est venue pour moi de parler, j’ai une ma^itresse, une ma^itresse que j’adore, depuis deux ans d'ej`a, nous nous aimons, nous voulons vivre ensemble, nous marier.
— Une ma^itresse ? s’'ecria Mme Granjeard. Cela se quitte une ma^itresse.
— Ce n’est pas mon sentiment, ma m`ere, tout d'epend de la femme que l’on a choisie. Lorsque celle-ci est pure, honn^ete, qu’elle s’est donn'ee `a vous comme ma ma^itresse s’est donn'ee `a moi, sinc`erement, sans arri`ere-pens'ee…
— Si c’'etait une honn^ete femme, interrompit Mme Granjeard, elle ne t’aurait jamais c'ed'e. Est-ce que j’ai 'et'e la ma^itresse de ton p`ere, moi ? Allons donc ! C’est une faiseuse qui t’a roul'e, une demi-mondaine qui t’a 'ebloui.
— Non, ma m`ere, vous faites erreur, ma ma^itresse est une simple ouvri`ere.
— De mieux en mieux, s’'ecria Mme Granjeard. Eh bien, mon petit, ouvri`ere ou demi-mondaine, tu me feras le plaisir de rompre et vivement avec cette demoiselle.
— Le voudrais-je, fit-il, que je ne le pourrais pas, j’ai eu avec elle un enfant.
— Un enfant ? hurla Mme Granjeard, tu as un enfant, mis'erable, ah c`a, mais tu es fou ? D’ailleurs, c’est bien 'evident, on t’a roul'e, na"if et stupide comme tu l’es, cet enfant n’est pas de toi.
— Je vous en prie, ma m`ere, n’insistez plus, laissons ces questions p'enibles et r'epondez `a ma demande : je d'esire ma part de fortune, je ne veux pas m’associer `a mes fr`eres, dites-moi que nous sommes d’accord et qu’il n’en soit plus question.
— Qu’il n’en soit plus question, ah, tu en as de bonnes, toi, par exemple ! Tu viens, comme cela, brutalement, m’apprendre que tu m`enes une existence scandaleuse, que tu fais des enfants `a des filles pures ou soi-disant telles, que tu veux ruiner les tiens et te ruiner toi-m^eme et tu me demandes de n’en plus parler au bout de cinq minutes ? eh bien, tu vas voir si nous allons en parler et devant tes fr`eres et devant tout le personnel, s’il le faut. Ah mis'erable !
Allant et venant comme une folle, dans la maison, Mme Granjeard appela ses fils et ceux-ci accoururent, dans la salle `a manger que Didier n’avait pas quitt'ee.
Mme Granjeard mit ses fils a^in'es au courant :
— Cet imb'ecile d’enfant, vient de m’avouer qu’il vient de se faire empaumer par une dr^olesse. Non content de cela, il veut endosser une paternit'e. Tout cela ne serait rien encore, mes chers enfants, mais voil`a que votre excellent fr`ere pr'etend d'esormais se retirer de l’association que j’ai d'ecid'e de former entre vous et qu’il me r'eclame de l’argent. Ah non, par exemple, c’est infiniment dr^ole, ma parole, je crois que Didier est fou `a lier !
Paul, d’un ton s'ev`ere, interrogea son cadet :
— Qu’est-ce que cette femme ? cette ma^itresse ?
— Je l’ai dit `a notre m`ere, c’est une ouvri`ere, vous la connaissez, c’est une ouvri`ere d’ici.
— Monstre ! hurla Mme Granjeard, tu d'ebauches mon personnel maintenant ?
— Vous la connaissez et vous savez combien elle est travailleuse, honn^ete, courageuse `a tous les points de vue, c’est Blanche Perrier.
— Blanche Perrier, hurla Mme Granjeard, oui, je la connais, une trieuse `a la clouterie, mais c’est une fille de rien, une esp`ece de manoeuvre, tu n’as pas honte, Didier ?
— Je n’ai pas honte d’aimer une femme qui m’aime et qui est la m`ere de mon enfant.
En proie `a une inexprimable agitation, Mme Granjeard venait de bondir dans son bureau, voisin de la salle `a manger, elle avait appuy'e sur un timbre.
Quelques instants apr`es, on frappait `a la porte :
— Entrez.
C’'etait Landry, le contrema^itre.
Mme Granjeard, en face de l’ouvrier, avait repris tout son calme, elle affectait un visage impassible :
— Dites-moi, Landry, interrogea-t-elle, vous avez, n’est-ce pas dans l’atelier des trieuses de la clouterie, une certaine Blanche Perrier ?
— Oui patronne.
— Eh bien, Landry, vous allez, s'eance tenante lui r'egler son compte et la flanquer `a la porte imm'ediatement. Je veux que, dans dix minutes, elle ne fasse plus partie de la maison.
— Ma m`ere ! s’'ecria Didier.
— Tais-toi ! ordonna la veuve Granjeard, qui, se tournant vers Landry, abasourdi par cet ordre inattendu, ordonna :
— Allez, je n’ai plus rien `a vous dire.
Cependant que Paul approuvait sa m`ere, Robert prenait `a part Didier et, d’un ton doucereux, il engageait Didier `a ne pas faire d’esclandre :
— Il ne faut pas heurter notre m`ere, disait-il, les choses s’arrangeront. Apr`es tout, si cette ouvri`ere est une brave femme, on pourra lui donner un petit secours, payer les mois de nourrice de son enfant.
Didier ne voulut rien entendre, il revint `a la charge au contraire :
— Ma m`ere, dites-moi une derni`ere fois : voulez-vous me permettre d’agir en homme d’honneur, me laisser faire mon devoir ? Je dois r'egulariser ma situation, 'epouser ma ma^itresse, donner un nom `a notre enfant, puis je dispara^itrai d’entre vous, je ne serai rien dans vos affaires, pour lesquelles je n’ai, d’ailleurs, aucune disposition. Ma m`ere, ne m’emp^echez pas de remplir mon devoir.