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L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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— Zut.

— Ah, tu vas voir.

— Je ne vais rien voir du tout. D’abord y a trop de fum'ee et puis ensuite si vous approchez, je me laisse d'egringoler sur vous avec ma muraille.

'Evidemment, il n’y avait rien `a faire pour intimider un pareil gavroche.

L’inconnu qui ne semblait plus pr^eter la moindre attention au danger qui l’environnait de tous c^ot'es, haussa les 'epaules, et reprit sur un ton plus doux :

— R'eponds-moi donc… d’abord, comment se fait-il que tu ne travailles pas aujourd’hui ? Tu es ouvrier ? Apprenti ?

— Oui, mon prince.

— Alors ?

— Alors, mon prince, on ne travaille pas aujourd’hui, parce que, mon patron a clamec'e, on l’enterre. L’usine est ferm'ee. Et comme ca et vous ?

— 'Ecoute, petit, fit-il, je suis ton ami et tu vas le voir… Mais il faut me r'epondre. Dis-moi seulement ce que tu es venu faire ici ?

— C’que je suis venu faire ? De la police. Oui, mon prince. N’ouvrez pas des yeux si grands, vous allez tomber dedans. Parfaitement. On sait ce qu’on sait. Fant^omas est une crapule et Juve, tout carbonis'e qu’il est, 'etait un grand homme. Tiens, j’ai lu toutes ses histoires. Je connais toutes ses aventures `a lui et `a son poteau, Fandor. Hier soir, on annonce sa mort. Bon, que je me suis dit, c’est extraordinaire que Juve se soit fait r^otir, s’agit d’aller voir si c’est vrai, et me voil`a. Je suis venu. Tout `a l’heure, on ne voulait pas me laisser passer. Bah, je ne suis pas si gros qu’un flic puisse m’emp^echer de me glisser sous ses pattes. Et en avant la fanfare, monseigneur, je suis entr'e dans les d'ecombres, pour y faire une enqu^ete comme on dit. J’voulais savoir si Juve 'etait mort. Voil`a sa t^ete `a ce pauv’ vieux. Juve est mort : dommage.

L’homme haussa les 'epaules, derechef :

— Juve n’est pas mort, d'eclara-t-il simplement. Viens, Juve, c’est moi. Viens. Nous avons `a causer.

— Vingt dieux, c’est pas du boniment `a la graisse d’oie ? vous ^etes Juve ? C’est bien vous ?

— C’est moi.

***

La main sur l’'epaule du petit, le policier se frayait un chemin `a travers les d'ecombres.

Deux heures plus tard, dans un cabaret des quais, attabl'es devant des verres o`u fumait un m'elange noir pompeusement intitul'e

« caf'e » Juve causait encore avec l’enfant.

Mais ce n’'etait plus deux ennemis qui s’entretenaient et le titi parisien 'etait d'esormais bien loin de railler.

Adroitement questionn'e par le ma^itre-policier, il avait confess'e toute son histoire :

— Mon nom, c’est Riquet. Je suis apprenti `a l’usine Granjeard, une riche t^ole. C’est des marchands de fer, `a Saint-Denis. Je gagne bien ma vie, mais ca m’emb^ete, le m'etier. Ce que j’aime par-dessus tout c’est la police. Tout ce que vous avez fait, monsieur Juve, je le sais par coeur. Enfin, bref, comme je vous l’ai dit, quand hier soir j’ai appris votre mort, je me suis dit, sauf vot’ respect : pas possible qu’il se soit fait griller comme une andouille. Et tout de suite, j’ai caval'e par ici. Mais tout de m^eme j’avais bien peur que vous ne soyez dans l’autre monde. Ah mince, tr`es peu de stup'efaction, quand je vous ai apercu. Et comme ca, puisque vous n’^etes pas mort, il y aurait pas moyen que vous me fassiez entrer dans la police ?

— H'e, h'e, tu vas vite en besogne, Riquet. Je ne suis pas mort ? Oui, sans doute, mais je suis mort tout de m^eme. Quel ^age as-tu, Riquet ?

— Quinze ans.

— Bon. Tu es un homme. Tu sais garder un secret ?

— Comme une tombe.

— Alors, je t’embauche dans ma police personnelle. Voil`a : c’est un miracle que j’aie 'echapp'e `a l’incendie. Tout le monde me croit mort, tout le monde doit me croire mort. Tu comprends que cela me facilitera 'enorm'ement la recherche de Fant^omas. Tr`es bien. Riquet, tu vas rentrer `a ton usine. Si. Exactement comme si tu ne savais pas ce que tu sais maintenant. Tu ne diras `a personne que tu connais Juve, et tu me pr'esenteras `a tous tes amis, pour un de tes compagnons d’atelier. Je m’appellerai, voyons, je m’appellerai : Lambert. Cela te va-t-il ? Et tu verras, continuait-il, qu’`a nous deux, le Fant^omas n’aura qu’`a bien se tenir. Riquet, tu voulais faire de la police, nous allons en faire ensemble, et de la bonne. J’ai confiance dans les gamins comme toi. Seulement, et c’est mon devoir de te pr'evenir, car tu le vois je te traite en homme, c’est la mort que l’on risque, `a lutter contre Fant^omas. Tu n’auras pas peur ?

— Bon ! r'epondait Riquet, la mort, je m’en fous, si on doit rigoler.

***

Le soir m^eme, Riquet pr'esentait son bon copain Lambert `a son p`ere et `a sa m`ere. Il y avait f^ete dans l’humble logement de Saint-Denis.

— 'Ecoutez donc, avait annonc'e Riquet, v’l`a un nouveau copain, un contrecoup d’une usine d’Aubervilliers, s’agit de lui faire une r'eception `a la hauteur !

Et Lambert trinquait avec un naturel si parfait, que par moments, Riquet se prenait `a sa com'edie.

2 – SC`ENES DE FAMILLE

Mme Granjeard donnait ses instructions `a ses fils, de cette voix br`eve, autoritaire et sifflante qui, depuis quarante ans d'ej`a, retentissait dans l’immeuble de la rue de l’Estacade `a Saint-Denis. C’'etait l’heure du d'ejeuner. On venait de passer dans la salle `a manger :

— Assieds-toi l`a, Paul, dit-elle, en s’adressant `a l’a^in'e de ses fils. Eh bien, oui, mets-toi l`a, `a la place de ton p`ere, que veux-tu puisqu’il est mort et que tu es l’a^in'e de la famille, c’est toi d'esormais qui le remplacera. Il faut se faire une raison, nous n’y pouvons plus rien.

Mme Granjeard, s’adressant au second de ses fils, `a Robert, poursuivait :

— Quant `a toi, viens `a ma droite, de la sorte tu seras `a contre-jour, ce qui est meilleur pour tes yeux qui n’aiment pas la grande lumi`ere. Et puis ca doit ^etre comme ca.

Le troisi`eme fils, Didier, un jeune homme de vingt-deux `a vingt-trois ans `a peine, s’installa sans mot dire `a la place demeur'ee libre `a gauche de sa m`ere et cependant que chacun s’asseyait autour de la table de famille, Didier r'eprimait avec peine les grosses larmes qui lui montaient aux yeux, cependant que Mme Granjeard, plus rude, plus s`eche, plus ma^itresse d’elle-m^eme encore qu’auparavant, jetait un coup d’oeil s'ev`ere sur la bonne qui passait le premier plat, et elle lui fit des reproches amers :

— Rien qu’`a les regarder, grommela-t-elle, je vois, Justine, que ces oeufs brouill'es ne sont pas assaisonn'es, passez-moi le poivre et le sel.

Le d'ejeuner d`es lors commenca lentement, dans le silence.

Les Granjeard exercaient, depuis des temps imm'emoriaux, le commerce des charpentes en fer `a Saint-Denis. C’'etait le grand-p`ere Granjeard qui, sous le second Empire, avait ouvert une petite quincaillerie dans une mis'erable 'echoppe construite en planches au bord du canal. Dans cet humble magasin, il avait vendu de tout ce qui touchait de pr`es ou de loin `a sa profession. Puis, il s’'etait adjoint un terrain vague dans lequel il avait entass'e les vieilles ferrailles achet'ees aux chiffonniers et aux d'emolisseurs. Ensuite, par quelques sp'eculations assez avantageuses, car le bonhomme s’entendait au n'egoce, il avait r'eussi `a r'ealiser de notables 'economies et `a les placer avantageusement dans des marchandises en stock qu’il accumulait dans son arri`ere-boutique.

Une hausse sur le fer survenue apr`es la guerre obligea les n'egociants `a 'elever leurs prix. Granjeard qui, d`es lors, venait de s’associer son fils, ne manqua naturellement pas de faire comme ses coll`egues et d’augmenter les prix de ses mat'eriaux. Il avait avec les fournisseurs des contrats tr`es avantageux, gr^ace auxquels il r'ealisait des b'en'efices consid'erables.

Granjeard avait eu, en l’espace de dix ann'ees, trois enfants, trois garcons, ce qui le r'ejouissait, car non seulement il n’aurait pas de dot `a donner `a ses fils comme il aurait fallu le faire pour des filles, mais encore dans l’avenir, ces trois garcons seraient 'evidemment d’excellents employ'es que l’on pourrait utiliser dans la maison de commerce.

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