Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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PIERRE SOUVESTRE
ET MARCEL ALLAIN
LE MARIAGE
DE FANT^OMAS
17
Arth`eme Fayard
1912
Cercle du Bibliophile
1970-1972
1 – LES DEUX VIES DE DELPHINE
— Bonsoir, mademoiselle.
— Bonsoir, m’sieu, vous m’offrez quelque chose ?
— Ma foi, je ne dis pas non. On verra tout `a l’heure.
Cette r'eponse 'etait faite par un homme d’une cinquantaine d’ann'ees environ, 'el'egant, `a la carrure imposante, dont le visage s’ornait d’une barbe grise majestueuse. Une petite femme, celle avec qui avait eu lieu ce rapide colloque, pivota sur ses patins et s’en alla de nouveau d'ecrire des courbes sur la piste.
Il y avait foule ce soir-l`a au skating de l’avenue Malakoff, une foule cosmopolite, 'el'egante, de rastaquou`eres, de gens du monde, de femmes faciles et de d'esoeuvr'es.
La petite femme, apr`es un
— Alors, disait-elle, vous venez comme ca faire la f^ete, monsieur ?
— Ma foi, on ne peut pas toujours ^etre un homme s'erieux.
— Et vous devez l’^etre, interrompit la petite femme en consid'erant son compagnon avec une admiration na"ive et se rendant compte qu’il avait toutes les apparences d’un personnage cossu : barbe poivre et sel, calvitie distingu'ee, belle cha^ine de montre, canne `a pommeau d’or.
Elle remarqua qu’il 'etait en habit :
— Vous venez de d^iner en famille ou alors au restaurant ?
— Au restaurant ? oui, je sors d’un banquet.
— C’est chic, ca, peut-^etre que vous ^etes ministre ? ou employ'e dans l’administration ?
Cependant le personnage s’enhardissait, prenait la main de la petite femme, la serrait dans la sienne :
— Vous ^etes gentille, commenca-t-il, comment vous appelez-vous ?
— Delphine ou Delphina, comme vous voudrez.
— Vous venez souvent ici ?
— Oh, mais non, monsieur, c’est la premi`ere fois. Je m’ennuyais chez moi toute seule ce soir et alors je me suis dit : « Tiens, je m’en vais faire un tour au skating. » Je venais d’arriver lorsque je vous ai rencontr'e.
Au moment o`u la gentille patineuse venait de d'eclarer qu’elle « venait pour la premi`ere fois » dans cet 'etablissement, quelqu’un l’interpella par son nom, quelqu’un l^acha un tonitruant :
— Bonsoir, mademoiselle Delphine, je compte encore sur vous ce soir, pour m’acheter des fleurs.
— Imb'ecile de Bouzille ! grommela la petite femme, tu ne vois donc pas que je suis en soci'et'e ?
Bouzille avait d'ej`a disparu.
— Vraiment, poursuivit la patineuse, c’est ennuyeux d’^etre interpell'ee par tous ces gens-l`a.
— Cela n’a aucune importance.
Puis, se rendant compte `a qui il s’adressait et certain d'esormais de ne point avoir affaire `a une vertu farouche, il proposa :
— On rentre chez vous ?
Mais Delphine ou Delphina, protesta :
— Comme vous y allez ! Faut pas vous figurer que je suis la premi`ere venue, prendre un bock ensemble, ca n’engage `a rien. Zut !
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien. Ou plut^ot si, c’est ma jarretelle qui vient de craquer.
— Si je puis vous ^etre utile en la circonstance.
— Rien `a faire, monsieur, rien `a faire ce soir, tout au moins. Cependant si vous voulez m’^etre agr'eable, eh bien, vous n’avez qu’`a me payer une autre paire de jarretelles. Ce sera une occasion de nous revoir. Si vous y tenez…
— Mais certainement que j’y tiens, poursuivit le galant compagnon de la petite femme qui, peu `a peu prenait feu. O`u pourrais-je vous retrouver ? Voulez-vous demain ? Dans l’apr`es-midi, puisque vous n’^etes pas libre ce soir ?
La patineuse salua ironiquement. Elle se pencha `a l’oreille du personnage et lui d'eclara :
— Puisque vous y tenez, faites-moi donc apporter votre cadeau 125, rue de la Croix-Nivert, demain dans l’apr`es-midi. Vous demanderez M lle Delphine, et alors, nous verrons…
Elle s’'eclipsa, disparut, tournoyante, au milieu des couples qui se succ'edaient sur la patinoire avec des rapidit'es de personnages du cin'ematographe.
Le monsieur, rest'e seul `a sa place, consid'era quelques instants d’un oeil pensif la silhouette de la petite femme. Il songeait `a part soi :
— Dommage d’avoir d'epass'e la cinquantaine. Enfin…
Il haussa les 'epaules et quitta l’'etablissement.
Ce personnage avait 'et'e si absorb'e pendant qu’il s’entretenait avec cette jeune personne qu’il n’avait pas remarqu'e quelqu’un qui, depuis un bon quart d’heure, l’observait avec une attention minutieuse.
— Parbleu ! monologuait le curieux qui, prudemment, se dissimulait pour n’^etre point vu du vieux monsieur, je ne me trompe pas, c’est notre excellent Dupont de l’Aube qui se dispose `a faire des fredaines. Il est incorrigible cet homme-l`a. `A son ^age !
Celui qui songeait ainsi 'etait un homme d’une trentaine d’ann'ees, `a la physionomie ouverte, intelligente, c’'etait J'er^ome Fandor, l’ami du policier Juve, l’adversaire de l’insaisissable Fant^omas.
Fandor avait 'et'e quelque peu surpris de voir en conversation galante M. Dupont de l’Aube, s'enateur, directeur du grand journal quotidien La Capitale, futur ministre et pour le moment ambassadeur extraordinaire du gouvernement francais en Espagne. Fandor appartenait lui-m^eme, en qualit'e de reporter, au journal dirig'e par Dupont de l’Aube.