Le Voleur d'Or (Золотой вор)
Шрифт:
Pierre Souvestre et Marcel Allain
Le Voleur d’Or
FANT^OMAS 28
(1913 – Arth`eme Fayard)
BOUQUINS – ROBERT LAFFONT
I
Vers le drame
La clef tourna dans la serrure, il 'etait six heures et demie du soir environ, L'eon Drapier rentrait chez lui.
`A peine avait-il franchi la porte faisant communiquer avec l’escalier l’appartement qu’il habitait rue de l’Universit'e – un vaste appartement au troisi`eme 'etage – que sa femme Eug'enie apparut `a l’extr'emit'e de la galerie.
Elle avait pass'e la t^ete, de derri`ere une tenture, pour s’assurer que le bruit qu’elle avait entendu 'etait bien produit par l’arriv'ee de son mari.
Lorsqu’elle se fut rendu compte qu’elle ne se trompait point, M me Drapier vint `a la rencontre de son 'epoux.
Elle lui demanda :
— Tu sais la nouvelle, L'eon ?
M. Drapier qui, `a ce moment, ^otait son pardessus et l’accrochait dans l’antichambre au-dessous de son chapeau, haussa les 'epaules et, consid'erant sa femme d’un air l'eg`erement m'eprisant, r'epliqua :
— Comment veux-tu que je la connaisse ?… La nouvelle !… Quelle nouvelle ? D’ailleurs j’arrive `a l’instant…
— Eh bien, fit Eug'enie Drapier d’un air myst'erieux, j’ai recu une d'ep^eche de tante Denise cet apr`es-midi…
— Alors ? interrogea Drapier.
— Tante Denise est souffrante, poursuivit M me Drapier, elle reste `a Poitiers, elle ne viendra que dans une huitaine de jours.
« Pauvre tante, j’esp`ere qu’elle n’est pas gravement souffrante…
— C’est assommant ! gronda L'eon Drapier.
— N’est-ce pas ? fit sa femme, tante Denise a constamment quelque chose…
— Oui, sans doute, d'eclara L'eon Drapier, interrompant sa femme, et ce qui est assommant c’est que je sois revenu pour elle ; je t’avoue que si j’avais su qu’elle retardait son arriv'ee, je ne serais pas rentr'e d^iner… Nous avons au cercle une r'eunion tr`es int'eressante…
Drapier regardait sa montre, il parut h'esiter un instant.
— Ne t’en va pas ! demanda M me Drapier, j’aime autant que tu restes ce soir.
Son mari cependant paraissait ne point tenir compte de la demande de sa femme.
Mais il ne manifestait pas non plus l’intention de ressortir…
Il 'eprouvait, comme tous les hommes occup'es lorsqu’ils rentrent chez eux, cette lassitude instinctive qui les fait h'esiter `a repartir lorsqu’ils ne s’y attendent pas, et qui fait que, finalement, ils se r'esolvent `a rester chez eux en vertu de la loi du moindre effort.
M. L'eon Drapier, toutefois, passait dans son cabinet de travail qui se trouvait attenant au vaste salon de r'eception.
Sa femme ne l’y suivit point.
Voyant que son mari ne manifestait plus l’intention de sortir, elle avait rebrouss'e chemin, elle 'etait repartie vers le fond de la galerie, d’o`u elle 'etait venue.
M. L'eon Drapier ferma pr'ecautionneusement la porte de son cabinet de travail, abaissa sur le battant les lourdes porti`eres destin'ees, semblait-il, `a att'enuer le bruit des conversations, puis il d'ecrocha le r'ecepteur de son appareil t'el'ephonique et demanda une communication :
— Clichy 122.03 ?
`A deux reprises diff'erentes, M. L'eon Drapier sollicitait de la t'el'ephoniste cette communication, il ne parvenait pas `a l’avoir.
— Clichy 122.03 ne r'epond pas ! d'eclarait l’employ'ee.
Et M. Drapier, apr`es avoir eu un instant l’id'ee de demander la surveillante, y renonca, car, au fond, cela ne l’'etonnait pas outre mesure, que le num'ero demand'e ne r'epondit point.
— Je t'el'ephonerai `a nouveau ce soir apr`es d^iner, pensait-il. Dieu ! que cette histoire est assommante ! Je suis rentr'e d^iner uniquement par politesse pour tante Denise, et voil`a qu’elle ne vient pas… Ah ! si j’avais su, vraiment !… Eug'enie aurait pu me faire pr'evenir au bureau. A-t-elle 'ecrit au moins `a tante Denise, pour lui exprimer tous ses regrets ?
M. L'eon Drapier marchait vers la chemin'ee, appuyait sur un bouton de sonnette.
— Je vais le lui faire demander tout de suite.
Il attendit quelques instants.
M. L'eon Drapier 'etait all'e s’asseoir devant son bureau ; personne ne vint.
Alors il haussa les 'epaules et murmura :
— Je suis s^ur qu’elle n’a rien 'ecrit du tout, je vais le faire, cela m’occupera en attendant l’heure du d^iner !
Et M. Drapier, plongeant sa plume dans une encre violette aux reflets mordor'es, commenca une belle page d’'ecriture par ces mots :
Ma ch`ere tante, votre d'ep^eche, cet apr`es-midi, nous a plong'es dans la d'esolation…
M. L'eon Drapier noircissait quatre pages, au cours desquelles il avait multipli'e les protestations de tendresse et les expressions de sympathie les plus touchantes.
Assur'ement, lorsque tante Denise recevrait cette lettre, elle en serait 'emue jusqu’aux larmes !
`A vrai dire, si M. L'eon Drapier, qui n’aimait pas 'ecrire en temps ordinaire, s’'etait donn'e la peine de r'ediger une lettre de quatre pages pour sa tante retenue `a Poitiers par un simple malaise, c’est qu’il avait des raisons s'erieuses pour cela !
La tante Denise 'etait une vieille fille, susceptible de laisser un jour un gros h'eritage `a sa ni`ece Eug'enie et, par suite, `a son mari L'eon Drapier.
Le couple Drapier n’'etait pas dans le besoin, loin de l`a. M. L'eon Drapier, qui frisait la cinquantaine, 'etait un fonctionnaire de l’administration des finances, ayant d'ej`a fait une belle carri`ere et appel'e `a un avenir plus beau encore.
`A l’heure actuelle, il 'etait directeur de l’h^otel des Monnaies `a Paris, et on pr'evoyait, lorsqu’il quitterait ce poste, qu’il aurait soit une situation pr'epond'erante au minist`ere, soit une des plus productives recettes des finances, de Paris ou des environs.