Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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— Eh bien, grommela-t-elle, en voil`a un qui n’est pas curieux, par exemple !
Et elle lui toucha du doigt l’'epaule.
Firmain tressaillit. Voyant la cuisini`ere, il eut une expression farouche qui 'epouvanta la vieille femme.
— Il n’a pas l’air aimable, ce garcon ! pensa-t-elle. Puis c’est des dr^oles de mani`eres que d’'ecouter aux portes. Enfin ca ne me regarde pas !
Au surplus Caroline connaissait mal Firmain et, bien qu’il y e^ut entre eux, une grande diff'erence d’^age, elle ne pouvait gu`ere lui faire d’observations.
— Je vous cherchais, disait-elle, c’est l’heure de manger, voulez-vous ?
Caroline repartait pour la cuisine, Firmain la suivit.
Install'es l’un en face de l’autre, ils absorb`erent en silence du potage `a peu pr`es froid, tandis que la cuisini`ere s’en allait remettre sur le fourneau le plat de viande `a moiti'e consomm'e par les ma^itres et dont la sauce 'etait fig'ee.
En attendant qu’il f^ut r'echauff'e, les deux domestiques engag`erent la conversation.
— Alors, demanda Caroline, comme ca, vous venez de province ?
Le valet de chambre eut un air 'enigmatique, il consid'era la vieille bonne, puis d’une voix l'eg`erement grasse et 'eraill'ee, presque faubourienne, il r'epliqua :
— J’en arrive, en effet !
Caroline Continuait :
— Vous allez vous plaire `a Paris… Il y a du mouvement, de l’entrain, quoique dans notre quartier ce soit bien tranquille. On n’est pas g^en'e par le tapage…
— Oui, reconnut Firmain, les murs sont 'epais dans les maisons…
Caroline avait toutefois un petit sourire ironique `a l’adresse du valet de chambre.
— Les portes aussi ! Mais heureusement qu’il y a le trou des serrures, par lequel, en y collant son oreille, on peut entendre ce qui se passe `a c^ot'e, hein ?…
Le domestique prit un air vex'e.
— C’est pas des choses qu’il est n'ecessaire d’aller r'ep'eter aux patrons ! Quand j’'ecoute comme cela, de temps en temps, c’est par curiosit'e, c’est histoire de savoir ce qu’on pense de moi. Un homme averti en vaut deux !
— Vous n’avez pas tort, fit Caroline, apr`es tout, moi, pour mon compte, je sais bien que ca me g^enerait d’aller ainsi les espionner, mais chacun fait comme il veut !
Apr`es un silence elle demanda :
— Ont-ils parl'e de moi ?
— Non ! d'eclara Firmain, mais de moi. Ils sont 'epat'es, que j’aie de bons certificats… Ca les emb^ete que je m’appelle Firmain… Ils se demandent s’ils ne vont pas m’obliger `a r'epondre au nom de Charles, et enfin il est question de m’acheter des v^etements neufs… Mais ca finira probablement par le rafistolage de ceux que portait le pr'ec'edent valet de chambre.
Un coup de sonnette imp'erieux retentit, qui interrompit le d^iner des serviteurs.
— Allez voir, fit la cuisini`ere, c’est pour vous, voyez le tableau : c’est le patron qui sonne !
Et elle concluait :
— Moi, j’ai bien assez de m’occuper du service de la femme de chambre qui est malade en ce moment !
Firmain, cependant, 'etait all'e prendre les ordres de ses ma^itres. Il revint au bout d’un quart d’heure.
Le domestique avait l’air tout guilleret, il but d’un trait le caf'e bouillant que la cuisini`ere avait pr'epar'e dans un verre, puis lui souhaita le bonsoir.
— Vous avez votre cl'e ? demanda Caroline. Vous savez o`u est votre chambre ?
— Mais oui ! s’'ecria Firmain. Je connais la t^ole ! N’ayez pas peur !
— `A quelle heure qu’on vous a dit de descendre ?
— Pour sept heures du matin.
— Eh bien, alors, bonsoir !
Le domestique cependant montait rapidement dans sa chambre, au septi`eme.
Mais il ne s’y installait pas, et loin de se disposer `a se coucher, s’il enlevait son gilet ray'e jaune, c’'etait pour y substituer un gilet ordinaire, sur lequel il rev^etait un veston.
Firmain se coiffa d’une casquette, puis, ayant allum'e une cigarette, il descendit par l’escalier de service.
Il 'etait environ dix heures du soir. Comme l’avait dit Caroline la cuisini`ere, le quartier 'etait tranquille.
Quelques rares voitures passaient… La plupart des lumi`eres aux fen^etres 'etaient 'eteintes, et s’il y avait quelques personnes sur le trottoir, c’'etait surtout des domestiques, des coll`egues de Firmain qui promenaient des chiens ou alors venaient `a des rendez-vous d’amour !
Par les soupiraux des cuisines, plac'ees au sous-sol, des colloques s’engageaient entre des gentilles femmes de chambre et des m'ecaniciens, ou alors parfois c’'etait la cuisini`ere qui, furtivement sortie, venait conf'erer `a voix basse avec le ma^itre d’h^otel d’un immeuble voisin…
Firmain descendit la rue de l’Universit'e, puis, par le boulevard Saint-Germain, gagna les quais.
Il affectait une d'emarche nonchalante, toutefois il semblait vouloir avancer assez vite. 'Etant arriv'e `a l’entr'ee du pont de la Concorde, il obliqua brusquement sur la droite, longea la berge de la Seine, assez 'elev'ee `a cet endroit au-dessus du niveau du fleuve, puis, par un petit escalier m'etallique, descendit au bord de l’eau.
Il faisait tr`es sombre, `a cet endroit. Mais Firmain paraissait conna^itre `a merveille cette berge de la Seine cependant encombr'ee de mat'eriaux, de grosses pierres et de cahutes en planches r'eserv'ees aux agents de la navigation.
Il alla se dissimuler derri`ere l’une d’elles et attendit en fumant une cigarette.
Pour un garcon qui arrivait de province, Firmain semblait bien au courant des d'etails de Paris !
Sur le quai au-dessus de lui passaient `a intervalles irr'eguliers des tramways 'electriques. On entendait le bruit de leurs timbres aigus retentir dans le silence de la nuit…