Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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C’'etait l`a, en effet, dans l’esprit de M me Drapier, que se cacheraient assur'ement les cambrioleurs… si d’aventure ceux-ci s’avisaient de venir d'evaliser l’appartement !
Cette visite derri`ere les rideaux, Eug'enie Drapier la faisait r'eguli`erement chaque soir, et ce n’'etait jamais sans une certaine appr'ehension qu’elle s’approchait de ces redoutables tentures qui, la nuit venue, lui faisaient l’effet de repaires de bandits, car elle les attendait en somme chaque soir, ces fameux cambrioleurs ; elle n’aurait pas 'et'e 'etonn'ee de d'ecouvrir un homme dissimul'e dans l’embrasure de ses fen^etres ou cach'e sous un meuble ; elle pressentait dans son for int'erieur qu’infailliblement cela se produirait un jour… de m^eme qu’il y a des gens qui se consid`erent comme certains de mourir 'ecras'es, ou de p'erir en mer !
Ce soir-l`a, l’'emotion de M me Drapier 'etait plus grande qu’`a l’ordinaire, car il y avait un nouveau venu dans la maison…
En r'ealit'e, bien qu’elle s’accus^at souvent de pusillanimit'e, M me Drapier se convainquit que rien n’'etait dangereux comme d’introduire du jour au lendemain, sous pr'etexte qu’il 'etait
Et puis enfin, son mari n’avait-il pas remarqu'e, comme elle d’ailleurs, les yeux de cet homme, son regard intelligent, myst'erieux, inquisiteur, regard qui n’'etait pas celui d’un valet de chambre ordinaire ?
L’appartement 'etait grand, il paraissait immense ce soir-l`a `a M me Drapier.
D’autant plus que sa chambre et son cabinet de toilette se trouvaient tout `a l’oppos'e de la chambre de son mari, laquelle 'etait voisine du cabinet de travail.
Il fallait, pour aller de chez M me Drapier `a la chambre de M. Drapier, traverser le grand salon, le petit salon, le fumoir et la salle `a manger, ou alors suivre cette interminable galerie sur laquelle s’ouvraient toutes ces pi`eces.
Revenue enfin dans son cabinet de toilette, apr`es avoir depuis longtemps souhait'e le bonsoir `a son 'epoux, M me Drapier, qui se sentait un peu fatigu'ee, se mit en devoir de se d'ev^etir.
Elle alluma toutes les ampoules 'electriques, fit beaucoup de lumi`ere pour avoir moins peur ; puis, machinalement, par habitude, et parce qu’elle faisait cela depuis vingt ans, elle se mit, non sans ennui, `a couvrir son visage, sa poitrine, ses mains et ses bras de p^ates et d’onguents destin'es, lui assurait la marchande, `a donner `a sa peau l’'eclat et le velout'e d’une peau de vingt ans !
H'elas ! malgr'e tous les artifices, la peau de M me Drapier avait bien pr`es de cinquante ans et tous les onguents 'etaient inutiles…
Ayant orn'e sa chevelure d’une quantit'e incommensurable de bigoudis, M me Drapier finit par aller se coucher.
Elle voulut lire un journal, elle n’y trouva que des histoires de crimes ; elle le rejeta dans la ruelle de son lit et, ayant mis sa lampe en veilleuse, chercha `a s’endormir.
Elle y parvint ais'ement.
M me Drapier dormait d’un sommeil lourd et profond, lorsque brusquement elle sursauta dans son lit.
Sa gorge se serra, ses paupi`eres battirent, elle sentit sur son front et ses mains courir les frissons pr'ecurseurs d’une transpiration d'etermin'ee par l’inqui'etude.
Puis elle pr^eta l’oreille, doutant de ce qu’elle avait cru entendre alors que peut-^etre elle dormait encore.
M me Drapier avait l’impression qu’on avait march'e dans la galerie de l’appartement.
Sous les tapis 'epais, le plancher avait craqu'e, puis c’avait 'et'e le bruit d’une porte qui s’ouvre et se referme lentement.
— Mon Dieu ! balbutia M me Drapier qui se signa, est-ce possible ? Il y a quelqu’un dans l’appartement !
Chose extraordinaire, `a ce moment pr'ecis elle avait moins peur qu’elle se l’imaginait…
Il lui semblait qu’une chose n'ecessaire, indispensable, attendue quoique redout'ee, se produisait enfin.
Il y avait si longtemps qu’elle avait cette 'emotion d’avoir peur, qu’elle en 'eprouvait presque une satisfaction !
Mais cette tranquillit'e d’esprit ne durait point.
Tout d’abord, apr`es avoir entendu ces bruits, M me Drapier douta qu’ils se fussent produits.
— J’ai r^ev'e ! dit-elle.
Elle alluma sa lampe 'electrique, qui projeta une lumi`ere 'etincelante dans la chambre `a coucher.
M me Drapier vit l’heure `a la petite pendule qui se trouvait sur une console voisine : il 'etait cinq heures du matin.
Elle 'ecouta encore, aucun bruit ne se faisait entendre.
— Certainement, j’ai r^ev'e ! se dit-elle.
Et apr`es avoir song'e `a sonner, `a crier au secours, elle d'ecidait de n’en rien faire.
Le sommeil la gagnait, elle 'eprouvait une immense lassitude d’^etre r'eveill'ee si t^ot, elle s’'etendit dans son lit, appr'eciant la volupt'e des couvertures ti`edes, lorsqu’elle sursauta encore.
Cette fois, il n’y avait pas de doute, elle avait entendu quelque chose de net, de pr'ecis et d’horrible.
Un bruit sourd, soudain, un bruit inimitable qui ne ressemblait aucunement au bruit singulier de l’appartement pendant la nuit, le bruit de quelque chose qui tombe sur le sol, le bruit d’un corps peut-^etre qui s’'ecroule…
S'erieusement alarm'ee, cette fois, pendant dix minutes M me Drapier demeura immobile, aux aguets.
Elle n’entendait plus rien ; c’'etait le silence absolu, mais elle 'etait certaine qu’il s’'etait pass'e quelque chose, et instinctivement son doigt chercha le bouton de la sonnette.
Tout d’un coup M me Drapier esquissa une moue de d'epit.
— Mon Dieu, fit-elle, j’oublie que je n’ai pas de femme de chambre dans l’appartement !