Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
Шрифт:
— Montez, mademoiselle, montez dans votre chambre, je vous en prie, mademoiselle, remettez-vous. Je vous jure que vous n’avez rien `a craindre.
La jeune fille leva les yeux vers lui :
— Je vous crois, monseigneur, fit-elle. J’ai en vous une absolue confiance.
Elle r'eprimait cependant d’involontaires frissons. La gorge serr'ee, et comme si les mots en sortaient avec peine, elle demanda au terme d’un silence :
— Je crois que le moment est venu. Cette boisson, o`u est-elle ?
— Je vais vous la chercher, d'eclara l’infant qui disparut pour quelques instants.
Il revint avec une fiole dont il vida le contenu dans un verre. La jeune fille prit le verre des mains de don Eugenio, le vida d’un trait. Elle releva la t^ete, et, d’un pas r'esolu, traversa la pi`ece dans laquelle elle s’'etait tenue tout l’apr`es-midi. L’infant la suivit dans la chambre voisine au milieu de laquelle se trouvait un grand lit `a colonnes autour duquel on avait dispos'e des couronnes de fleurs, des cierges, que l’infant, d’un geste machinal, d'eplacait pour livrer passage `a la jeune fille.
— Monseigneur, je n’ai plus besoin de vous, vous pouvez vous retirer.
L’infant se pencha vers elle et mit un genou en terre, lui prit les mains, les baisa respectueusement :
— Jamais, mademoiselle, d'eclara-t-il d’un ton p'en'etr'e, je n’oublierai le d'evouement que vous avez en cette circonstance, la g'en'erosit'e avec laquelle vous nous sauvez tous du d'eshonneur.
— Retirez-vous, monseigneur.
— Je vais prier Dieu pour vous.
Lorsqu’elle fut seule, la jeune fille se d'ev^etit en h^ate, elle d'enoua ses cheveux qu’elle laissa tomber sur ses 'epaules et s’enveloppant ensuite d’un grand peignoir de soie, elle s’'etendit sur le lit et ne tarda pas `a s’y endormir d’un sommeil cataleptique.
***
— Alors c’est ici, D'egueulasse ?
— Faut croire, mon vieux Fumier, pas moyen d’ailleurs de se tromper, on nous a dit la plus chic taule de la rue Erlanger et celle-ci m’a l’air d’^etre un peu l`a.
Deux hommes 'etaient descendus du grand fourgon vert. Ceux qui virent ce v'ehicule s’arr^eter au milieu de la rue Erlanger reconnurent la voiture des pompes fun`ebres qui venait apporter les tentures murales et les d'ecorations fun'eraires. Les rares passants s’'ecartaient instinctivement devant les deux hommes qui descendaient du v'ehicule. Deux ^etres aux aspects sinistres : l’un, la face rougeaude et enlumin'ee, l’autre les yeux creux comme des cavernes et le teint terreux. Tous deux v^etus de l’habit noir, coiff'es du chapeau de cuir bouilli, qui sont l’uniforme des croque-morts de Paris.
Les deux hommes, d’un pas lourd, se rapprochaient de l’h^otel de l’infant.
— Crois-tu, murmura l’un d’eux, crois-tu, D'egueulasse, qu’on en fait un m'etier ? Passer son temps `a charrier des cadavres, c’est pas une existence pour d’honn^etes gens comme nous.
— Bah, fit l’autre, philosophe, mon vieux Fumier, inutile de se frapper, ca n’y change rien. Dans le temps nous 'etions des boueux. On ramassait les ordures faites par les bourgeois. Maintenant on trimballe les bourgeois eux-m^emes. Peu importe le fourbi du moment qu’il y a toujours la thune au bout, `a la fin de la journ'ee.
« Le plus emb^etant, poursuivit D'egueulasse, c’est qu’avec ce turbin-l`a on n’a pas le temps d’aller prendre un verre avant une heure, quelquefois deux de l’apr`es-midi.
— Ca d'epend, des fois on trouve dans la client`ele des gens qui vous rincent. Mais c’est pas chez les riches que ca arrive. Rien qu’`a en juger par la taule o`u nous allons travailler ce matin, on pourra toujours se bomber pour licher quelque chose.
Un domestique en livr'ee venait au-devant des croque-morts.
— Par ici, messieurs, leur dit-il.
Et il les pr'ec'eda dans le hall de l’h^otel o`u se trouvait la bi`ere, apport'ee la veille.
D'egueulasse la chargea sur ses 'epaules.
— O`u c’est-y qu’on va ? demanda-t-il `a voix basse.
Ils entr`erent dans la chambre mortuaire.
La morte 'etait l`a, rigide, immobile, le visage blafard, les l`evres bleuies. Autour d’elle se r'epandait une violente odeur d’encens et de fleurs. La pi`ece 'etait plong'ee dans une demi-obscurit'e, `a laquelle cependant les nouveaux arrivants ne tard`erent pas `a s’habituer.
D'egueulasse posa la lourde bi`ere `a terre `a c^ot'e du lit, cependant que son compagnon, relevant le drap, enveloppait le corps souple et gracieux dans le vaste linceul. Les deux hommes se firent un signe, puis brusquement, enlev`erent le corps et le d'epos`erent sur le capiton de satin de la bi`ere.
En l’espace de quelques secondes, ils ferm`erent le cercueil, l’emport`erent, le descendirent au rez-de-chauss'ee o`u les employ'es des pompes fun`ebres achevaient de dresser la chapelle ardente.
Tous alors se retir`erent et les croque-morts all`erent se dissimuler dans un coin du jardin. Conform'ement aux ordres qu’ils avaient recus, ils devaient y attendre, l’arriv'ee du corbillard pour y placer le cercueil `a l’heure du d'epart.
***
Une foule assez nombreuse arrivait.
C’'etaient des personnages officiels, puis quelques femmes v^etues de noir qui d'efilaient silencieusement devant la chapelle ardente install'ee `a l’entr'ee de l’h^otel. Les femmes se signaient en passant, les hommes s’inclinaient. On se rendit ensuite dans une vaste pi`ece du rez-de-chauss'ee o`u l’infant et quelques personnes de son entourage recurent les condol'eances.
Jamais on n’aurait cru qu’il s’agissait des obs`eques d’une princesse de sang royal. Il devait y avoir l`a-dessous quelque myst`ere, mais nul ne paraissait autrement surpris de la chose.
D'egueulasse et Fumier, les deux croque-morts, commencaient `a s’ennuyer ferme dans le jardin dont l’ordonnateur leur avait recommand'e de ne point sortir, cela parce que leur r'eputation d’ivrognes 'etait 'etablie et qu’il 'etait av'er'e que d`es qu’ils avaient une minute de libert'e, ils se rendaient pour boire au cabaret le plus proche.