Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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— Un instant, dit-il, je voudrais, au pr'ealable, vous poser, madame, une petite question. N’y voyez pas une curiosit'e malsaine, mais simplement l’int'er^et que je vous porte. Je suis J'er^ome Fandor et mon nom vous dit peut-^etre quelque chose, s’il est exact que vous ^etes M me Delphine Fargeaux ?
La jeune femme r'epondit affirmativement : les deux interlocuteurs s’assirent sur un banc.
Ils y pass`erent pr`es d’une heure.
Fandor et son interlocutrice pouvaient avoir, en effet, bien des choses `a se dire, et si Delphine Fargeaux avait voulu parler, elle aurait pu mettre Fandor au courant de quantit'e d’aventures et d’incidents qui auraient singuli`erement int'eress'e le jeune homme qui, depuis qu’il s’'etait 'echapp'e miraculeusement des ruines du phare de l’Adour, ne savait en r'ealit'e que fort peu de choses sur les dramatiques aventures qui avaient rendu Delphine Fargeaux veuve, l’avaient forc'ee `a quitter les Landes pour venir `a Paris.
Peut-^etre, un jour, Delphine Fargeaux parlerait-elle, lorsqu’elle conna^itrait mieux Fandor ; cela 'etait dans les choses possibles ; peut-^etre m^eme Delphine aurait-elle dit tout ce qu’elle savait au journaliste si, le matin de ce m^eme jour, le courtier Coquard n’'etait venu lui annoncer le d'ec`es de la ni`ece de l’infant d’Espagne, la mort d’une certaine Merc'ed`es de Gandia, dont Delphine ne soupconnait m^eme pas l’existence.
Delphine savait encore autre chose. Elle savait, pour l’avoir entendu dire `a Juve, quelques semaines auparavant, que Fandor 'etait 'epris d’une jeune fille nomm'ee H'el`ene, laquelle n’'etait autre que la fille de Fant^omas. Or, Delphine avait vu, de ses yeux vu, les hommes de l’infant d’Espagne enlever H'el`ene pour la conduire de force `a leur ma^itre.
— Si jamais, pensait Delphine Fargeaux, Fandor se doutait de ce que je crains pour lui, s’il apprenait que peut-^etre, `a l’heure actuelle, la soi-disant ni`ece de l’infant d’Espagne n’est autre que son H'el`ene ?… le malheureux !
La nuit 'etait tomb'ee tout `a fait que J'er^ome Fandor et Delphine Fargeaux s’entretenaient encore, et si Delphine n’avait pas communiqu'e ses appr'ehensions `a Fandor, elle lui avait n'eanmoins racont'e par le menu son existence depuis le jour o`u la mort de son mari l’avait rendue libre, mais ruin'ee aussi, ce qui l’obligeait `a venir `a Paris, `a y gagner sa vie, `a accepter le poste qu’on lui proposait aux pompes fun`ebres, et `a mener cette existence qu’elle t^achait d’oublier chaque soir, en menant joyeuse vie `a Montmartre.
2 – L’ENTERREMENT DE MERC'ED`ES
La rue Erlanger 'etait d'eserte. Au beau temps de la veille avait succ'ed'e une pluie diluvienne, une de ces pluies du printemps, qui chargent le ciel d’encre et font ruisseler des flots d’eau brune dans le caniveau.
Les fen^etres de l’h^otel de don Eugenio 'etaient jalousement ferm'ees. On avait tir'e les volets. `A l’int'erieur c’'etait aussi le silence, `a peine troubl'e par quelques chuchotements discrets. La nouvelle s’'etait vite r'epandue, en effet, dans le quartier, que la ni`ece de l’infant d’Espagne, do~na Merc'ed`es de Gandia, 'etait d'ec'ed'ee apr`es une courte maladie. On connaissait peu cette jeune fille que la rumeur publique, cependant, disait ^etre admirablement belle ; beaucoup ignoraient m^eme son existence ; la plupart des voisins s’imaginaient que l’infant d’Espagne, c'elibataire, vivait seul dans son h^otel de la rue Erlanger. Quelques-uns, cependant, avaient not'e que ces temps derniers, l’infant, apr`es une longue absence, 'etait revenu `a Paris accompagn'e d’une dame, mais tandis que don Eugenio s’en allait au Bois, d'ejeunait en ville, ou se montrait au th'e^atre, jamais, ou tr`es rarement, il ne se faisait accompagner de cette personne que l’on savait d'esormais ^etre sa ni`ece.
L’infant d’Espagne, s’'etait retir'e dans un grand salon dont on avait fait une sorte de cabinet de travail, et, en cette pi`ece plong'ee dans l’obscurit'e bien qu’il f^it encore jour, l’infant d’Espagne 'etait occup'e `a d'epouiller de nombreux papiers en pr'esence d’un homme aux apparences modestes. L’infant 'etait assis, l’homme se tenait debout `a c^ot'e de lui et lui signalait, au passage, des documents que l’Altesse royale feuilletait d’un air distrait.
— Voici, disait l’homme, encore un titre de propri'et'e de la princesse votre ni`ece.
Puis, il ajoutait sur un ton de na"ive et respectueuse admiration :
— L’h'eritage de do~na Merc'ed`es de Gandia est encore plus consid'erable que mon patron ne se l’imaginait.
— Votre patron, mon notaire, sait cependant exactement l’'etat de nos fortunes `a tous.
— C’est exact, mais l’ouverture des meubles appartenant `a do~na Merc'ed`es a fait d'ecouvrir des titres de rente dont on ne soupconnait pas l’existence.
Le clerc de notaire poursuivit :
— Le d'ec`es de votre ni`ece, qui meurt sans enfants et sans ascendants directs, fait de vous, Monseigneur, son seul et unique h'eritier. Vous ^etes d'esormais `a la t^ete d’une immense fortune.
— `A quel prix, dit l’infant.
Enfin l’employ'e du notaire se retira. Il venait `a peine de quitter la pi`ece qu’un coup discret 'etait frapp'e `a la porte.
— Entrez.
C’'etait un vieux domestique qui, s’inclinant devant son ma^itre, lui annonca :
— Monseigneur, c’est quelqu’un qui demande `a parler `a Votre Altesse.
— Je ne recois personne.
— Monseigneur, c’est encore ce monsieur qui est d'ej`a venu hier matin, M. Coquard, l’homme des Pompes fun`ebres.
— Il fallait me le dire plus t^ot. Qu’il entre.
Quelques instants plus tard, le courtier de la maison de Villars 'etait en pr'esence de Son Altesse royale.
Le gros homme jovial, apr`es s’^etre confondu en salutations et avoir balbuti'e quelques maladroites paroles de condol'eance, interrogeait son auguste client sur les mesures qu’il daignerait prendre au sujet des obs`eques :
— J’ai fait pr'eparer les lettres de deuil et les ai laiss'ees dans le vestibule, Monseigneur. Maintenant, si vous n’y voyez pas d’inconv'enient, on fera la mise en bi`ere demain matin de bonne heure. 'Etant donn'e l’importance de la c'er'emonie, il ne faudra pas trop de toute la matin'ee pour dresser les tentures, mettre les 'ecussons, pr'eparer la salle de couronnes.
— En ce qui concerne la mise en bi`ere, c’est une affaire entendue, mais je vous r'ep`ete, monsieur, que je ne veux pas d’obs`eques tapageuses. Faites le n'ecessaire et pas plus.
— Cependant, expliqua le courtier d’un air d'esol'e, il s’agit d’une troisi`eme classe, et l’on pr'evoit pour de semblables c'er'emonies un certain d'eploiement de luxe.
— Je n’en veux pas. Do~na Merc'ed`es de Gandia doit avoir des obs`eques conformes `a ses volont'es, c’est-`a-dire aussi modestes que possible.
L’excellent Coquard 'etait navr'e. Machinalement, il ^ota, puis remit dans sa poche, les catalogues qu’il avait apport'es pour faire choisir `a son Altesse royale des d'ecorations fun`ebres compliqu'ees.